La stabilité Merkel, une alternative à l’instabilité Trump ?

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Les médias dominants font d’Angela Merkel la garante de la stabilité et de l’ordre dans une Union européenne en déliquescence et dans un monde toujours plus inquiétant. Elle serait ainsi un rempart contre le protectionnisme et l’aventurisme de Trump, Le Pen & Co, mais aussi contre les nouvelles formations et personnalités politiques de gauche. Merkel est ainsi présentée comme la gardienne par excellence des intérêts allemands (lisez : intérêts du capitalisme allemand).

Par Stephane Delcros, article tiré de l’édition de septembre de Lutte Socialiste

Angela Merkel semble bien partie pour rempiler à son poste de chancelière après les élections fédérales allemandes du 24 septembre prochain. Les sondages lui donnent 40% d’intentions de votes pour son cartel CDU/CSU (conservateur / chrétien-démocrate), un score proche de celui de 2013.

Croissance économique & inégalités grandissantes

Croissance économique élevée, taux de chômage bas : l’Allemagne fait figure de grand gagnant de la crise économique. Cette position a été bâtie en exportant les conséquences de la crise vers d’autres Etats européens, par le biais d’une concurrence agressive reposant sur des bas salaires et l’imposition d’une politique d’austérité drastique envers le reste de l’Europe. Ailleurs, surtout en Europe du Sud, cela a signifié des coupes budgétaires abominables et une explosion du chômage et de la précarité. En Allemagne, quelques réformes sociales limitées ont pu être introduites et le nombre de chômeurs s’est réduit.

Cette apparente ‘‘redistribution’’ est cependant extrêmement faible en comparaison des richesses créées, elle masque par ailleurs la paupérisation de larges couches de travailleurs. Selon les données publiées en mai dernier par l’institut de statistiques Destatis, 20,1 % de la population allemande était menacée par le risque de pauvreté ou d’exclusion sociale en 2015, soit 16,1 millions de personnes. Un salaire minimum horaire a certes été introduit, mais de 8,84€ à peine ! Merkel reçoit des louanges pour avoir divisé par deux le nombre de chômeurs depuis 2005 et promet d’arriver sous la barre des 3% de chômage pour 2025. Mais faut-il se réjouir d’une courbe du chômage à la baisse quand celle-ci est due à la création d’emplois très bas de gamme aux conditions de travail et salariales exécrables ?

Un levier social-démocrate pour imposer l’austérité

L’Allemagne fut le pionnier de la destruction de la législation du travail en Europe. En 2005 déjà, le SPD social-démocrate de Gerhard Schröder, alors au pouvoir en coalition avec les Verts, avait lancé une offensive brutale visant à déréguler le marché du travail (l’Agenda 2010) et à s’en prendre durement aux services publics. Des millions de travailleurs ont été poussés dans le secteur des emplois à (très) bas salaires. Profitant de ses relations étroites avec les directions syndicales, le SPD a su éviter que la colère sociale ne soit réellement organisée en une énorme confrontation de classes. D’importantes mobilisations eurent toutefois lieu, avec une participation active de sans-emplois. La baisse de soutien électoral pour le SPD a alors ouvert la voie à Merkel et à la CDU/CSU.

Début 2017, le SPD a tenté de donner l’impression d’un coup de barre à gauche en choisissant comme chef de file un politicien qui était resté éloigné de la scène nationale (Martin Schulz, ancien président du Parlement européen) et en émettant quelques critiques contre les inégalités et quelques propositions sociales. Quelques semaines durant, il semblait que le SPD pouvait concurrencer la CDU. Fin août, le SPD était déjà relégué 15% derrière la CDU/CSU dans les sondages d’opinion. La rhétorique de gauche était trop timide et abstraite, particulièrement de la part d’un parti qui a trempé jusqu’au cou dans l’imposition de la politique de casse sociale et par ailleurs partenaire de la coalition gouvernementale depuis 2013. La fine brise qui a soufflé un temps illustre néanmoins la recherche parmi les travailleurs allemands de davantage de ‘justice sociale’ et illustre aussi la ‘‘stabilité’’ toute relative de la position de Merkel.

Défendre un programme de rupture anti-austérité

Die Linke (La Gauche) bénéficie aujourd’hui de 8 à 10% dans les sondages, un résultat très en dessous du potentiel existant. Ce parti a pourtant un potentiel plus grand, mais il défend trop timidement un programme de rupture anti-austérité. Il s’est par ailleurs également compromis dans certaines coalitions régionales en appliquant un programme de restrictions budgétaires. Cette attitude est toutefois dénoncée par de larges couches au sein du parti, tant à la base qu’à la direction, une pression d’ailleurs reflétée dans le nouveau manifeste électoral, plus ancré à gauche que précédemment.

Il est crucial que le parti clarifie sans la moindre équivoque qu’il n’entend pas constituer ‘‘l’aile gauche de l’establishment’’ mais bien représenter une force combative défendant avec acharnement et sans compromission les intérêts des travailleurs et des opprimés. Dans le cas contraire, un plus grand espace pourrait être offert sur un plateau d’argent à des formations populistes de droite à l’image de l’AfD (Alternative pour l’Allemagne), une formation profondément antisociale et au racisme virulent qui peut instrumentaliser et dévier la colère des laissés-pour-compte de la société.

Die Linke a le potentiel de totalement bouleverser le débat politique en Allemagne, comme Sanders l’a fait aux Etat-Unis, comme la France Insoumise et Mélenchon l’ont fait en France ou comme le mouvement autour de Corbyn l’a fait au Royaume-Uni. Mais cela exige de l’audace tant dans l’approche publique, avec des élus considérés comme des relais des luttes sociales, que dans le programme politique, à l’aide de revendications telles que l’augmentation du salaire minimum, l’augmentation du budget des soins de santé, la nationalisation de secteurs-clés de l’économie,… C’est en ce sens qu’œuvrent nos camarades du SAV en Allemagne (Alternative Socialiste).

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