La discussion finale lors de la réunion du Comité Exécutif International (IEC) du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) qui s’est tenu en Belgique du 2 au 9 décembre a porté sur le programme et les slogans. Comme l’a expliqué Stephan Kimmerle dans son introduction à la discussion, toutes les discussions politiques plus larges qui ont eu lieu au cours de la semaine ont naturellement mené à cette discussion. L’objectif était de discuter de manière approfondie et de clarifier les slogans et le programme du CIO.
D’un côté, certains parmi la Gauche internationale ne se basent que sur leur programme, sans parvenir à lier la nécessité objective du socialisme avec le niveau de conscience actuel des masses de travailleurs et de jeunes. De l’autre côté, d’autres à Gauche ne se basent que sur la conscience des masses, en ignorant la nécessité objective de la transformation socialiste de la société. L’approche du CIO, au contraire, est basée sur les expériences du mouvement ouvrier, y compris celles qui ont été faites au cours de la Révolution russe, et qui sont résumées dans le Programme de Transition de Trotsky. Les revendications transitoires sont formulées de sorte à être liées à la conscience actuelle et à constituer un pont entre la conscience existante et la nécessité objective du changement socialiste.
La discussion sur le programme n’est pas quelque chose d’abstrait, au cours de laquelle les marxistes développent un programme isolé du reste du monde. Comme Peter Taaffe l’a noté dans sa conclusion à la discussion, même le Programme de Transition de Trotsky, écrit en 1938, n’était pas le produit d’un seul homme, quelque génie qu’il fût. Il était le produit du dialogue qui vivait à l’époque entre la classe ouvrière et les rangs de la Quatrième Internationale.
La discussion a été très vive à cause de la crise profonde que le capitalisme connaît actuellement et des luttes ouvrières qui ont émergé en réponse. Dans de nombreux pays, comme l’Irlande, le programme du CIO est en train de trouver une large audience et trouve une nouvelle vigueur au cours des mouvements et actions de masse.
La conscience
La discussion a commencé avec l’évaluation de la conscience des masses, comme elle existe en ce moment. Stephan a suggéré qu’en ce moment, il y a surtout des caractéristiques d’une conscience anti-patronale ou anti-banquiers. Bien que d’importantes sections de travailleurs et de jeunes parmi les plus avancés soient en train de tirer des conclusions plus hardies, ceci ne veut pas encore dire que de larges sections de la classe ouvrière arrivent à des idées définitivement anticapitalistes ou socialistes. Toutefois, il est clair qu’à cause des perspectives définies au cours des discussions à l’IEC – qui sont des perspectives de crises et de luttes de classe qui vont en s’approfondissant – la conscience peut rapidement se développer plus en avant.
Les luttes entamées sous l’impact de la récession ont montré une tendance à se développer à vive allure et avec une radicalisation rapide. Par exemple, sous les coups de la crise économique, nous avons vu d’importantes luttes contre les fermetures d’usines. Gary, d’Irlande du Nord, a discuté ce développement en lien avec l’occupation de l’usine automobile de Visteon à Belfast. Les revendications de départ des travailleurs en occupation étaient de meilleures indemnités de licenciement. Le maintien de l’emploi n’était pas un point central. Le Socialist Party (CIO-Irlande) a participé à l’action et a amené la nécessité de sauver les emplois via la nationalisation. A travers le développement de la lutte, la confiance des travailleurs s’est accrue et la revendication de la nationalisation a gagné un large soutien. C’en était assez de se battre seulement pour de meilleurs licenciements, les travailleurs voulaient se battre pour sauver leur emploi. A la fin du conflit, l’idée de nationalisation de l’usine était majoritairement soutenue.
Cette tactique – l’occupation pour défendre les emplois – a été un point qui est revenu tout au long de la discussion. Stephan a expliqué comment son adoption illustre bien le caractère explosif de la situation dans laquelle nous sommes arrivés avec le début de la récession économique. Là où c’est approprié, les véritables socialistes doivent appeler à procéder à des occupations afin de défendre l’emploi et pour que la production s’effectue sous le contrôle et la gestion des travailleurs.
La nationalisation sous contrôle et gestion des travailleurs
Un thème central de la discussion a concerné le slogan de «nationalisation sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs». Stephan a souligné en quoi la revendication de la nationalisation est cruciale pour les travailleurs, en particulier lorsqu’ils sont confrontés aux licenciements. Toutefois, puisque les gouvernements capitalistes ont effectué des «nationalisations capitalistes» afin de sauver les banques, avec en vue une reprivatisation future, il est nécessaire de clarifier la nature des nationalisations pour lesquelles nous nous battons.
Le point essentiel que de nombreux orateurs ont mis en avant est que nous sommes en faveur d’un type complètement différent de nationalisation – la nationalisation sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs. On a beaucoup parlé du besoin d’insister sur le caractère démocratique de cette revendication, tout en restant flexible par rapport à la manière dont cela est exactement posé, mais en insistant essentiellement sur la nécessité de représentants directement élus du personnel de l’entreprise concernée, de même que de représentants des intérêts des travailleurs de l’ensemble de la société en général.
Par exemple, dans certaines circonstances, nous avons parlé de la nécessité de représentants des utilisateurs, des consommateurs, des militants environnementaux, etc. Afin d’insister sur le fait que nous appelons à ce que les intérêts des travailleurs en général soient pris en compte, Nikos de Grèce a expliqué comment notre organisation grecque, Xekinima, utilise le slogan de «contrôle ouvrier et social».
Dans sa conclusion, Peter Taaffe, de la part du Secrétariat International, a parlé de la distinction entre la revendication du contrôle ouvrier et celle de la gestion ouvrière, la première étant une revendication d’en bas – contrôle de l’embauche, des pratiques d’entreprises, etc. – tandis que la deuxième est une revendication pour la gestion de l’entreprise par le personnel. C’est en particulier cette deuxième revendication qui pose la nécessité centrale d’une économie démocratiquement planifiée.
Une des questions qui émergent de la relation avec la revendication de nationalisation est lorsqu’il y a une demande insuffisante pour les marchandises produites. Ceci est particulièrement le cas pour l’industrie automobile actuelle, lorsque même les travailleurs pourraient considérer la nationalisation comme étant irréaliste à cause de l’absence d’un marché. Les orateurs ont mis en avant le fait que, dans ce cas, il faille soulever la question de la réorientation de la production vers quelque chose de socialement nécessaire, tel que le plan développé par les travailleurs de Lucas Aerospace au Royaume-Uni en 1976, où le personnel de l’usine d’aéronautique militaire avait proposé le passage à une production utile, dans le cadre de la lutte pour défendre l’emploi.
Les gouvernements de gauche
L’absence, en général, de puissants partis des travailleurs a un effet important sur les revendications qui sont mises en avant. Un slogan crucial pour la plupart des sections du CIO est la revendication de nouveaux partis de masse des travailleurs et des propositions afin d’aider à construire les nouvelles formations de gauche existantes afin d’en faire des partis de masse. Là où des mouvements de masse se développent et qui ont le potentiel de faire chuter des gouvernements, la question de qui devrait être au gouvernement est implicitement posée.
Là où des forces de gauche existent, l’appel large à un gouvernement ouvrier, ou à un gouvernement des pauvres et des travailleurs, peut être rendu plus concret par la revendication d’un gouvernement de Gauche des forces basées sur un programme socialiste. En Grèce, au cours des élections qui se sont déroulées il y a quelques mois d’ici, la section grecque du CIO a appelé à un gouvernement de Gauche basé sur un programme socialiste, et qui inclurait le KKE (Parti Communiste Grec) et Syriza (une coalition de gauche large à laquelle collabore notre section grecque).
Dans les années à venir, la question du «moindre mal» et de la politique des coalitions va également être une autre question cruciale pour la Gauche. Parfois, cela peut vouloir dire que des travailleurs vont rejeter les partis de gouvernement et se verront forcés de soutenir à contrecœur des anciens partis ouvriers, afin de maintenir à distance les plus droitiers des partis capitalistes. Les classes dirigeantes vont elles aussi tenter d’incorporer des formations de gauche à leur establishment, afin d’agir en tant que «soupape de sécurité» capable d’accomplir en même temps des coupes sociales drastiques.
Etant donné le niveau des mouvements et de la conscience de classe actuels, il se pourrait parfois que d’importantes sections des travailleurs poussent des partis de gauche à participer à des coalitions gouvernementales, en particulier aux côtés d’ancien partis ouvriers, tels que les partis sociaux-démocrates et ‘communistes’. C’est une discussion cruciale en Allemagne en particulier, où l’idée de ce qui serait appelé un gouvernement de «Gauche» composé du SPD (parti social-démocrate), des Verts et de la formation de gauche Die Linke pourrait susciter un soutien massif. Comme l’a expliqué Sascha, d’Allemagne, nous sommes opposés à toute participation à des gouvernements qui gèrent le capitalisme, ce qui dans cette période signifie de profondes coupes sociales. Dans certaines circonstances, les socialistes peuvent mener campagne en faveur d’une série de revendications spécifiques à imposer à un gouvernement de «Gauche», tout en se réservant toujours le droit de s’opposer et de voter contre toute mesure anti-ouvrière.
La rubrique «Ce pour quoi nous luttons»
Un autre point qui est revenu dans la discussion a été la remise à jour des rubriques «Ce pour quoi nous luttons» dans nos journaux.
Judy d’Angleterre a expliqué en quoi cette rubrique n’est qu’un avant-goût de notre programme global, puisqu’il est impossible d’expliquer en quelques mots l’ensemble de notre programme concernant toute une série de problèmes différents. Elle a décrit comment la formulation dans le Socialist de la revendication «Lutte syndicale pour accroître le salaire minimum à 8£ de l’heure sans exceptions, en tant que transition immédiate vers 10£ de l’heure» est liée à la nécessité d’une lutte par les syndicats et par la classe ouvrière pour réaliser cette revendication et d’autres.
Philip, des Etats-Unis, a relaté la discussion en cours dans sa section quant à la rubrique «Ce pour quoi nous luttons». Cette discussion a énormément apporté à la section, car elle a permis à beaucoup de membres de mieux se former. Philip a souligné le besoin d’être ferme en substance, mais flexible dans la manière dont nous formulons nos revendications, d’une manière fraiche, capable de se connecter avec le niveau actuel de compréhension et de conscience, tout en mettant en avant nos revendications, y compris celles qui vont un, deux ou trois pas en avant de la conscience, afin d’aider le développement du mouvement ouvrier.
La discussion continue
La discussion a clairement illustré à quel point les sections du CIO sont étroitement connectées aux luttes de la classe ouvrière, et à quel point notre programme a trouvé une réelle audience et un réel soutien au cours de cette période. Elle a aussi souligné la nécessité d’affiner et d’adapter nos slogans dans la crise économique actuelle.
Dans sa conclusion, Peter Taaffe a souligné la pertinence croissante de notre programme de transition, et le fait que la discussion sur le programme est permanente, afin de développer la participation du CIO dans la lutte de classe qui est en train de se développer.