‘‘Dix jours qui ébranlèrent le monde’’, de John Reed

John Reed était un journaliste et militant communiste américain. A la chute du régime du tsar Nicolas II en 1917, il s’est rendu en Russie et a retranscrit ce qu’il y a vu et expérimenté. Son témoignage de la révolution est l’un des plus fascinants et enthousiasmants qui existe. Un siècle après la révolutuion russe, ses Dix jours qui ébranlèrent le monde restent, comme Lénine le faisait remarquer en son temps, ‘‘un rapport fidèle et animé’’ de cette révolution. “Je conseille sans retenue ce livre aux travailleurs du monde entier ”, avait écrit Lénine dans sa préface au livre.

Par Stephen Ray, Socialist Party (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en république irlandaise)

John Reed commence par replacer les évènements d’octobre 1917 dans leur contexte historique. Il décrit les principaux courants de la vie politique dans les grandes lignes, il décrit les nombreuses tensions issues des restes de l’ancien régime de même que l’antagonisme entre le Gouvernement provisoire qui avait officiellement repris les rênes du pouvoir après la chute du tsarisme en février 1917 et les révolutionnaires socialistes qui devaient conduire la prise du pouvoir par les soviets en octobre de la même année. Le rythme trépidant du récit est maintenu tout au long du livre, ce qui donne une image puissante de la vie politique de l’époque à Petrograd (Saint-Pétersbourg).

La lutte de classes croissante est résumée comme suit : “Dans les rapports entre un gouvernement faible et un peuple en révolte, un moment arrive où chaque acte du gouvernement irrite les masses et où chaque refus d’agir stimule le mépris.”

Les talents de Reed comme journaliste et comme historien s’expriment dans la façon entrainante avec laquelle les évènements sont présentés. Sa description de la prise du Palais d’hiver (où siègent les ministres du gouvernement provisoire), en grande partie pacifique, et de l’enterrement des martyres de la révolution en sont des exemples parfaits.

Le personnage principal de ce livre est sans conteste la population russe. Reed n’a pas ménagé ses efforts pour mettre les expériences subjectives des travailleurs, des soldats et des paysans au centre de son ouvrage. Il est évidemment question des discours importants des partisans du parti bolchevik, surtout Lénine et Trotsky, et de leurs opposants. Aux moments critiques de divergences d’opinion ou de discussion, le cours des débats est finalement déterminé par les masses, qui sont déterminantes pour la poursuite des évènements. Reed a fait le commentaire suivant sur un ouvrier typique de Petrograd : “Le travailleur russe est révolutionnaire mais il n’est ni violent ni dogmatique ni bête. Il est prêt à lutter contre l’oppresseur, la classe capitaliste, jusqu’à la fin. Mais il ne nie pas l’existence d’autres classes. Il demande seulement à ces autres classes de choisir leur camp.”

Le style de Reed rend justice à la politique des Bolcheviks de cette période : une politique consciente des besoins et des préoccupations de la population, combinée à une compréhension profonde de l’analyse marxiste des classes sociales en tant que guide pour l’action. C’est sur cette base que les Bolcheviks ont pu jouer un rôle prépondérant dans les soviets (les conseils ouvriers et paysans qui représentaient un autre pouvoir à côté du gouvernement provisoire). Ce livre est un excellent résumé des analyses des circonstances objectives en développement au cours de la révolution documenté à partir de l’expérience subjective vécue par les masses. Le lecteur est entrainé dans les évènements fiévreux des journées d’octobre.

Après avoir décrit le débat qui pris place au sein d’un régiment sur la question de la neutralité ou du soutien à la révolution, tranché de manière écrasante en faveur de la révolution, Reed déclare : “Imaginez-vous que cette lutte se répète dans chaque baraquement de la ville, du district, de tout le front, dans toute la Russie. Imaginez-vous le [général] Krylenkos qui en perd le sommeil et assiste impuissant à ce qui se passe dans les régiments, qui court d’un endroit à l’autre pour y argumenter, menacer et perdre. Et imagez-vous que la même chose se passe dans toutes les sections de chaque syndicat dans les usines, les villages, sur les navires de la flotte russe postée au loin ; pensez aux centaines de milliers d’hommes russes qui partout dans ce grand pays regardent les orateurs : des ouvriers, des paysans, des soldats, des marins, qui essaient à tout prix de comprendre et de choisir, qui réfléchissent intensivement et finalement, décident avec une telle unanimité. C’était ça la révolution russe.”

Une critique souvent formulée sur les ‘‘Dix jours qui ébranlèrent le monde’’ est la position de départ positive de John Reed vis-à-vis des Bolcheviks. Reed explique dans l’introduction qu’il ne peut être neutre dans ce récit du fait de son implication personnelle dans les évènements. Reed est au moins honnête depuis le début quant à ses opinions socialistes. Il essaie de ne pas les cacher derrière un vernis de soi-disant objectivité historique. Reed dit ouvertement et honnêtement dans quel contexte son livre doit être lu. Son sens étroit du détail et l’utilisation de sources de première main font de ces ‘‘Dix jours qui ébranlèrent le monde’’ un point d’orgue du journalisme du 20ème siècle.

A mesure que la crise actuelle du capitalisme continuera de faire ses ravages, les jeunes et moins jeunes tenteront avec un enthousiasme grandissant de s’emparer de cette période de l’Histoire dans laquelle de pauvres travailleurs, soldats et paysans ont renversé tout un système politique et socio-économique. Une période au cours de laquelle des opprimés sont entrés ensemble en lutte contre un système qui ne leur offrait pas d’avenir et dont ils s’aliénaient de plus en plus. Les ‘‘Dix jours qui ébranlèrent le monde’’ est une excellente introduction à l’histoire de la Révolution russe et un bon point de départ pour ceux qui ne peuvent plus se satisfaire de la manière dont notre société est organisée.

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