INTERVIEW – Le voile et les femmes musulmanes

La question du port du voile suscite à nouveau la polémique. Le PSL s’oppose tant à l’interdiction du voile qu’à son imposition. Nous avons déjà publié plusieurs articles sur cette question, ces derniers ayant surtout abordé les communautés musulmanes situées en Europe. Dans cette interview, notre camarade Rukhsana Manzoor, du Socialist Movement Pakistan, aborde la manière de traiter de cette question dans les pays dit musulmans.

Ces dernières années, particulièrement après les attentats du 11 septembre, les dirigeants occidentaux ont utilisé le thème du port du voile pour détourner l’attention de la population, stigmatiser la communauté musulmane et recevoir le soutien des couches les plus réactionnaires de la population. De l’autre côté, les mollahs instrumentalisent cette situation pour obtenir appui de la part de la droite de la population musulmane. La droite politique et la droite religieuse utilisent donc cette question en fonction de leurs propres intérêts. D’un côté, on force les femmes à retirer leur voile, de l’autre on veut les obliger à le porter. Mais personne ne se soucie de leur avis.

Le PSL s’oppose à ces deux approches: c’est selon nous le droit de chaque femme de choisir de porter le voile ou non. L’Etat et la droite religieuse n’ont aucun droit d’interférer dans les vies personnelles des gens.


A lire:

Le voile est-il coutume ou religion?

"Il y beaucoup de confusion autour de la question du voile, si son port résulte d’une obligation religieuse ou d’une habitude. Les fondamentalistes et les mollahs illettrés prétendent que le port du voile est une obligation pour les femmes musulmanes, et que cela doit rester ainsi. Pour eux, qu’une femme montre son visage en public est contraire à l’Islam. Ce sont toutefois des arguments complètement faux, parce que le voile n’est pas une tradition islamique ou une prescription religieuse. Le voile est bien antérieur à l’Islam. Le voile a été pour la première fois porté il y a plus de 5000 ans. Selon Muazzez Cig, un archéologue turc spécialiste de la civilisation sumérienne antique, les «voiles étaient portés par des prêtresses sumériennes qui avaient comme devoir d’initier les jeunes hommes au monde du sexe»."

"Au 13ème siècle avant Jésus-Christ, les rois assyriens avaient «instauré le port du voile en même temps que la retraite des femmes au harem royal». Dans la Perse pré-Islamique, on a découvert des traces de femmes voilés (particulièrement celles mariées aux gens riches). En Arabie pré-Islamique, le voile était simplement porté pour protéger son visage des vents du désert chargés de sable. Mais tant dans le judaïsme que dans le christianisme, on trouve également le voile, associé jadis à la modestie et à la propreté (des notions qui ont changé avec le temps). En Inde, il y a environ 2000 ans, quelques tribus hindoues ont commencé à prescrire le voile pour sauver la «modestie» et «l’honneur» de leurs femmes. Les indiens Rajputes, une tribu hindoue, imposent toujours strictement le voile et la ségrégation complète des femmes. C’est donc un fait historique que le voile est une coutume et non un engagement religieux."

"Il s’agit d’une tradition tribale ancestrale et d’une tradition féodale qui est maintenant intégrée à la religion. Aucun code vestimentaire spécifique n’existait au cours de la période initiale de l’Islam. Le fondateur de l’Islam n’a jamais exigé des femmes musulmanes qu’elles se couvrent de bas en hauts d’une burqa afghane. De 632 à 661, l’Islam s’est étendu à Bassora, en Syrie, au Bahreïn, à Oman, au Yémen, en Egypte, Jérusalem, en Algérie, en Libye, au Maroc, au Soudan, en Chypre et en Tunisie, et il n’y avait aucun prescrit vestimentaire pour les femmes musulmanes. Au fur et à mesure que l’Islam progressait, les premiers musulmans ont adopté des pratiques régionales, notamment le voile. Durant le règne des dynasties d’Umayyade et d’Abbaside (les relations féodales de cette période ont été entièrement établies), une période de presque 600 ans, seule une partie des classes urbaines avaient adopté le voile et/ou la ségrégation, la plupart du temps comme un symbole de statut élevé, pour les femmes qui n’avaient pas besoin de travailler. À travers toute l’histoire islamique, les femmes musulmanes rurales et nomades, soit la majorité des femmes musulmanes, n’ont pas portée le voile."

"Dans le milieu du 18e siècle, Mouhamed ibn al Wahab, un théologien arabe, s’est appliqué à renouveler l’exégèse afin d’épurer l’Islam. Son apport principal était sa croyance que les musulmans avaient «mal compris l’Islam pendant des siècles». Mouhamed ibn al Wahab et Mouhamed ibn al Saoud se sont mis d’accord pour régner en divisant l’interprétation islamique et l’administration politique entre eux. Dès lors, les règles politiques de l’Arabie Saoudite ont été édictées de la Chambre d’Ibn Saud tandis que les grands Muftis (ecclésiastiques religieux qui ont le droit d’interpréter la religion) étaient nommés par la Chambre d’Ibn Wahab."

"Jusqu’à aujourd’hui, les gouverneurs saoudiens et les grands Muftis ont dépensé des milliards de dollars pour promouvoir les enseignements d’Ibn Wahab dans les sociétés musulmanes (ce qui inclut une grave discrimination des femmes dans l’éducation, l’emploi et la justice). Les femmes saoudiennes ne peuvent pas conduire et la police religieuse impose un code strict sur la manière de porter le voile et sur la couleur des vêtements. Tout ceci provenant des us et coutumes, ce qui n’a rien à voir avec la religion."

"Durant la deuxième moitié du 19e siècle, quelques intellectuels musulmans ont défendu que les interprétations du Coran concernant la polygamie et le port du voile n’avaient pas l’Islam pour base. En 1923, des intellectuels turcs ont commencé à dénoncer le voile. La même année, au Liban, en Syrie et en Tunisie, des manifestations durant lesquelles les femmes enlevaient publiquement leur voile se sont déroulées. En Iran, Reza Pahlvi (qui a régné de 1925 à 1941) a publié une proclamation interdisant le voile."

"Le voile n’était pas un problème dans les années ‘60 et ’70, mais l’est devenu aux environs des années ‘80 et ‘90. La question du voile est revenue avec le développement du fondamentalisme islamique, un phénomène réactionnaire. Mais aujourd’hui encore, la majorité des 700 millions de musulmanes ne portent pas de voile masquant l’entièreté du visage."

Les femmes sont-elles libres de choisir?

"Dans beaucoup de sociétés musulmanes, les femmes musulmanes ne sont pas libres de choisir de porter ou de ne pas porter le voile. La majorité de femmes voilées du Pakistan n’ont pas leur mot à dire sur cela, c’est au contraire les hommes qui prennent les décisions à cet égard. Dans les familles conservatrices, les filles commencent à porter le voile très jeune, comme une tradition et une coutume. Même les petites filles âgées de 6 ou 7 ans commencent à porter le voile, selon les décisions de la famille et pas d’elles-mêmes. Des femmes sont forcées de porter le voile sur base religieuse mais aussi selon les traditions et la coutume de la famille. Pour beaucoup de femmes, le voile est une condition pour leur permettre de sortir de la maison. En Iran, en Arabie Saoudite et dans quelques autres pays, l’arsenal législatif force les femmes à porter un habit spécifique. Ce n’est en aucun cas un choix mais bien une lourde contrainte. Dans beaucoup de secteurs, ce n’est pas une législation nationale mais les responsables religieux locaux qui forcent les femmes à porter le voile. Pour eux, chaque femme sans voile ou sans burqa n’est pas modeste et est considérée comme une prostituée. Ces religieux voient le voile comme un signe de modestie, d’honneur et de noblesse de la famille. Ainsi, les femmes ne sont pas libres de prendre leur propre décision. Cette discussion se mène chez les hommes, qui décident de ce que les femmes doivent ou ne doivent pas porter."

Est-ce la question primordiale pour les femmes?

"Les médias, les politiciens et les dirigeants religieux essayent de donner l’impression que c’est une question primordiale pour les femmes. Mais il y a des millions de femmes dans les sociétés musulmanes qui ne peuvent couvrir leurs corps, tout simplement parce qu’elles sont trop pauvres! Là-dessus, leur silence est frappant. On ne parle pas des millions de femmes qui vivent dans une pauvreté extrême, dans la faim, qui subissent une énorme exploitation et la répression en raison du capitalisme réactionnaire et du système féodal."

"La question clé pour ces femmes n’est pas le voile, mais bien de se débarrasser de ces exploitations et conditions terrifiantes. Cette question, comme quelques autres, est un effort de la classe dirigeante et des autorités religieuses de droite pour détourner l’attention des masses des vraies questions."

"La violence domestique, sociale et politique ainsi que la discrimination, le chômage, la pauvreté, la faim, l’éducation, la santé et la discrimination à l’égard des femmes sont les problèmes principaux considérés par les femmes pauvres, voilés ou non. D’une part elles font face à l’exploitation capitaliste et, de l’autre, à la culture, aux traditions et aux coutumes féodales et tribales. Seule la lutte permettra de résoudre cette question."

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