L’arrivée du film de Nicolas Hulot a été saluée par une salve d’avis favorables. Etonnamment, ceux-ci viennent moins des fans d’Ushuaïa que de ceux qui reprochent d’habitude le ton «Ah, que la nature est belle!» de cette émission et le côté narcissique et faussement aventurier de Hulot. Il faut dire que, ces derniers temps, celui-ci s’est montré de plus en plus critique face aux multiples crises auquel le monde est confronté et surtout face à la faiblesse des réactions des puissants de ce même monde. Et il annonçait à tous vents que son film avait pour but d’ouvrir les yeux sur le lien entre toutes ces crises. Qu’en est-il à l’arrivée?
La première chose qui frappe, ce sont les images. Elles sont belles, parfois étonnantes, souvent surprenantes et elles font régulièrement mouche. La confrontation permanente entre l’hyper-consommation vantée par la publicité et les dures réalités de la vie quotidienne, la plus grande richesse et la pauvreté la plus sordide, le développement monstrueux des villes et la vie des sacrifiés dans les bidonvilles et les égouts, les immenses installations industrielles et les paysages qui se désertifient, tout cela conduit régulièrement à des chocs qui remuent les tripes et font réfléchir (même si le défilé syncopé d’images à un rythme parfois frénétique finit par laisser sur le flanc le spectateur qui ne biberonne pas toute la journée aux clips de rap et de r’n’b).
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L’autre aspect, c’est le commentaire. Malheureusement, dans la forme, c’est du pur Hulot. Des interrogations existentielles profondes au «plus concerné que moi, tu meurs», de l’émotion à fleur de peau au pessimisme à tout crin, on passe par toutes les gammes. Mais, quel que soit le registre du moment, le commentaire est prononcé avec la lenteur et la compassion d’un curé sorti d’une grande école de jésuites.
Et, sur le fond, ce n’est pas tellement mieux. Certes, ne n’est pas un film «sur la nature», ni une pure réflexion écologique. A différentes reprises, Hulot évoque les liens qui soudent entre elles les différentes crises – économique, écologique, sociale, morale – mais sans jamais chercher à vraiment expliquer. A un moment, pris d’audace, il dénonce au détour d’une phrase le «capitalisme sauvage» qui «transforme tout en marchandises». Mais le reste du temps, ce sont «le progrès», «un système pris de folie», «une évolution qui nous a échappé» qui se retrouvent dans le collimateur. Une belle collection de poncifs dont l’imprécision permet de satisfaire un peu tout le monde… sans froisser personne. Et surtout sans chercher à débusquer le ou les vrais responsables de tout ce gâchis.
Et quand, à la fin du film, Hulot aborde les solutions possibles, plus de trace du «capitalisme sauvage» – et encore moins du capitalisme tout court. Ce n’est plus qu’appels à consommer «moins» et «autrement», à réapprendre à «partager» et à «économiser», à «ralentir le rythme» et à «prendre le temps», à «se fixer à nouveau des limites»,… et autres bondieuseries individualisantes et passablement culpabilisantes pour ceux qui n’ont pas beaucoup d’autres solutions aujourd’hui que de «perdre leur vie pour la gagner».
Hulot commence ainsi par expliquer que le monde est au bord de la catastrophe et que toutes les crises sont liées et il termine en suggérant qu’en achetant moins de GSM et en compostant ses restes de repas, on peut arriver à sauver la planète. Mais, il ne semble pas réaliser que si chaque citoyen du monde était sensibilisé aux problèmes de l’environnement, triait, compostait, utilisait moins de produits chimiques, achetait et mangeait bio, la planète ne s’en porterait guère mieux parce que les grosses entreprises pollueuses (industries chimiques, centrales thermiques…) continueraient de préférer payer une amende plutôt que de réduire leur pollution. Et que, si elles se comportent de la sorte, avec la bénédiction de leurs Etats, ce n’est pas parce que leurs dirigeants sont «mal informés» ou «égoïstes» mais parce que la logique de la concurrence et du profit maximum qui est au cœur du capitalisme (et pas seulement du «capitalisme sauvage» qu’il est de bon ton de critiquer de nos jours) ne laisse pas d’autre choix.
En sortant de la salle, on se dit que Nicolas Hulot – dont les productions télé sont abondamment sponsorisées par TF1, EDF, Orange, L’Oréal et autres multinationales triomphantes – ne compte pas scier la branche sur laquelle il est confortablement assis. Au fond, «crise de civilisation ou pas», son horizon reste celui d’un capitalisme «vert» et «raisonnable»… mais parfaitement chimérique.
«Le Syndrome du Titanic» est à voir parce que ses images sonnent souvent comme un appel à la révolte contre le système qui mène le Titanic à sa perte. Mais, s’il faut remplacer l’urgence le capitaine du bateau, je ne voterais pas pour mettre Nicolas Hulot à la barre.