Il y a quarante ans : La séparation des Beatles

Il y a maintenant quarante ans que les Beatles se sont séparés, après sept ans, trente albums studio, 21 singles au top du classement américain et en ayant atteint une renommée mondiale jamais encore obtenue par un groupe de musiciens issus du milieu ouvrier. Alors que le dernier sursaut de la Beatlemania s’apaise, Greg Maughan se penche sur l’intérêt durable porté à John Lennon, le membre le plus emblématique des «Fab Four».

Greg Maughan

La popularité des Beatles est encore très forte – la version remasterisée de leur œuvre complète est entrée récemment dans les charts en masse, avec le record de vingt albums différents dans le Top 75 au même moment. La couverture médiatique de l’anniversaire de la séparation a été énorme.

Bien que tous les Beatles étaient des personnes de grand talent, le membre le plus emblématique était certainement John Lennon. Son travail avec les Beatles et son travail en solo (jusqu’à l’album «Double Fantasy» qui est sorti à peine un mois avant son assassinat en 1980) affiche un assaut verbal, une verve musicale et de l’expérimentation, mais surtout une empathie et une capacité à absorber et à illustrer les événements aussi bien personnel qu’internationaux.

C’est cette tendance qu’avait Lennon à être interpellé par les événements mondiaux, combinée avec sa sympathie instinctive pour les «moins que rien», qui l’a conduit vers des questions politiques et qui le vit, pendant une période au moins, se décrire comme un socialiste. C’est un aspect des Beatles qui n’a jamais été abordé dans aucun des grands médias lors de la couverture de leur 40e anniversaire. La contradiction principale est qu’en même temps d’être un groupe commercial, dont l’image a orné d’innombrables marchandises et a été commercialisée agressivement, les expériences personnelles des Beatles et les évènements mondiaux les ont poussé, et plus particulièrement Lennon, hors de cette réalité.

Né en 1940, Lennon est élevé par sa tante Mimi dans un cadre confortable. Loin d’être riche, Lennon est tout de même certainement le «plus chic» des Beatles. Il est, lors de son enfance et de son adolescence, un crâneur et recherche sans cesse l’attention, ce qui peut s’expliquer dans une certaine mesure par l’abandon de ses parents.

Dans un certain sens, la montée fulgurante de la popularité des Beatles nourrit son ego, mais Lennon se sent de plus en plus étouffé par sa renommée. L’énorme controverse aux États-Unis, en particulier autour de sa déclaration selon laquelle les Beatles sont «plus célèbres que Jésus» est un bon exemple de cela. L’image de marque que le manager des Beatles, Brian Epstein, tient à entretenir signifie qu’une pression énorme est mise sur Lennon pour éviter les controverses, et la réaction brutale contre ces commentaires semble renforcer cela.

Mais à cette époque, le mouvement contre la guerre du Vietnam se développe et Lennon, de plus en plus influencé par la «scène Hippy» et les idéaux pacifistes, sent qu’il doit utiliser sa position. Ray Coleman en parle dans sa biographie «Lennon»: «Lennon voulait condamner publiquement l’agression américaine au Vietnam à l’apogée de la gloire des Beatles. Epstein l’a averti de ne pas le faire, et John, qui à ce moment là ne voulait pas voir dégringoler la Beatlemania, s’est rétracté et s’est rangé derrière la ligne d’Epstein. Ça a été une pilule amère à avaler».

Mais Lennon ne peut se contenir qu’un moment comme il l’explique dans un entretien ultérieur avec le journal de gauche Red Mole: «Il est arrivé un moment où George et moi nous disions «quand ils demandent la prochaine fois, on va dire que nous n’aimons pas la guerre et nous pensons qu’ils doivent en sortir». C’est ce que nous avons fait. À l’époque, c’était une chose assez radicale, surtout pour les «Fab Four». C’était la première occasion que j’ai eu d’agiter un peu le drapeau».

Bien que Lennon continue à avoir des convictions anti-guerre et pacifistes, l’effet de la scène psychédélique alimentée par la drogue dont il prend part le pousse vers des réponses individualistes, idéalistes et même religieuses aux questions qu’il se pose. Elles sont à la fois de nature politique, sur la souffrance des masses dans le monde néo-colonial en particulier, mais aussi personnelles, sur la nature éphémère de sa gloire extrême notamment.

En 1968, les Beatles participent à une retraite spirituelle en Inde organisée par le Maharishi Yogi. A cette époque, ils écrivent beaucoup de chansons qui vont composer l’album Blanc. L’expérience que Lennon a vécu la-bas l’amène à perdre confiance en un grand nombre des idées spirituelles qu’il entretient. Cela est résumé dans la chanson «Sexy Sadi », qui est un dénigrement sarcastique du Maharishi. Cette retraite coïncide également avec les événements historiques de Mai 1968 en France, durant lesquels la plus grande grève générale de l’histoire se déroule. Étant un avide lecteur de journaux, Lennon suit ces événements de loin et est poussé à se poser des questions pertinentes sur la manière dont la société peut être modifiée et quel type de société nous pourrions avoir à la place.

Sa réponse ambigüe à ces questions se retrouve dans la chanson «Revolution», dont deux versions différentes existent. Les idéaux pacifistes de John Lennon suscite sa crainte que les appels à la révolution puissent alimenter une oppression violente de l’Etat et dans la première version parue de la chanson figure «You can count me out.» (« Tu ne peux pas compter sur moi »). Toutefois, dans la version figurant sur l’album blanc, les paroles disent « You can count me out… in» (« Tu ne peux pas compter sur moi… Tu peux ! »). C’est un grand pas pour Lennon, qui passe d’un désir de changer le monde centré sur l’idéalisme et le changement individuel – «faire la révolution dans l’esprit» – à regarder vers des mouvements de masse et de lutte collective.

A partir de là, Lennon et sa compagne Yoko Ono deviennent plus impliqués dans le mouvement de protestation, conscients de la manière dont leur situation et leur profil peuvent être utilisés pour inspirer la lutte. Le «bed-in» de protestation, par exemple, bien que excentrique et un peu naïf, est sincèrement motivé.

L’éclatement des Beatles en 1969 coïncide avec une désillusion croissante envers les idéaux hippies et un désir de changement réel. Lennon résume cela lui-même: «Bien sûr, il y a beaucoup de gens qui se promènent avec les cheveux longs maintenant et quelques enfants de la classe moyenne qui portent des jolis vêtements. Mais rien n’a changé sauf que nous sommes déguisés en laissant les même salauds diriger tout».

La période de 1970-1973 est probablement la période musicale de Lennon la plus ouvertement politique. Lyriquement et rythmiquement, il est influencé par les chants et les slogans entendus lors de manifestations. Il compose certaines chansons dans le but explicite de les voir utilisées par les travailleurs et les jeunes en lutte. «Power To The People» en est un excellent exemple: «Dites que nous voulons une révolution / Nous devrions la faire tout de suite / Et bien nous défilerons dans la rue en chantant / Le pouvoir au peuple».

Il est certain que d’autres musiciens ont résumé plus efficacement la vie de la classe ouvrière dans leurs chansons et ont exprimé le besoin de changement de manière plus subtile. Mais l’aspiration de John Lennon d’aider à pousser en avant les mouvements de masse et les slogans de certaines de ses chansons de cette période provenait d’un engagement envers l’idée de lutte et d’un questionnement personnel sur la façon dont il pouvait s’y engager, ce qui devrait être respecté.

Il exprime également ce soutien financièrement, comme Roy Coleman l’explique: «Les troubles civils en Irlande du Nord ont dégénéré en guerre civile. L’administration Nixon a nié sa responsabilité quant au meurtre de quatre étudiants de la Kent State University lors d’une manifestation en 1970. Les Lennon devenaient de plus en plus actifs dans la politique radicale. Ils ont donné de l’argent à la «Black house» de Malcolm X («Armée de libération noire»), ont enregistré un single, «Do the Oz», pour les accusés du procès infâme «Schoolkids Oz»».

La société alternative à laquelle il aspire, et qu’à l’époque il voit comme le socialisme, est résumée dans la chanson «Imagine». La popularité persistante de ce titre témoigne de l’écho que ces idées ont parmi les gens.

Par la suite, John Lennon déménage aux États-Unis. Il poursuit son implication en politique, en chantant à des concerts de bienfaisance organisés par le mouvement syndical américain, en enregistrement des chansons, et en recueillant des fonds pour les mouvements de droits civils irlandais et en continuant son implication dans la politique anti-guerre .

Lennon prévoit une tournée américaine de 33 dates dans la perspective de l’élection de 1972, dans le cadre d’une campagne visant à chasser Nixon de la Maison Blanche. Toutefois, craignant l’effet que cela peut avoir, l’administration Nixon met sur écoute le téléphone de John Lennon, le place sous la surveillance du FBI et enclenche des procédures d’expulsion.

Épuisé de la lutte contre son expulsion, les plans pour la tournée sont abandonnés et Lennon est désillusionné après la réelection de Nixon. A cause de la combinaison de la fatigue due à la lutte contre l’expulsion et l’éloignement de la classe ouvrière organisée du mouvement radical américain, Lennon devient de moins en moins actif politiquement.

Mais les idéaux que Lennon chérit lors de cette période restent ancrés en lui jusqu’à sa mort. La question centrale qui lui fait face est de savoir comment concilier sa position dans la société et sa renommée avec l’idée de lutte de masse. Près de trente ans après sa mort et quarante ans après la séparation du groupe qui a provoqué sa gloire, nous pouvons encore profiter d’un corpus d’œuvres musicales, sans pareil, qui sont inspirées par les mêmes luttes qui l’ont inspiré, et qui ont aidé à bâtir un mouvement qui peut effectivement amener le changement dans la société vers lequel il se tourna.

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