Actions en temps de crise
Ces derniers mois, différentes actions radicales de travailleurs ont forcé le patronat à faire des concessions. Le retour des occupations d’entreprises a constitué un développement notable, comme cela a été le cas entre autres avec les grèves des usines automobiles de Visteon (Angleterre et Irlande du Nord), des entreprises Waterford Chrystal (Irlande), INNSE (Italie), Vestas (Angleterre) et même des agences de voyage Thomas Cook (Irlande), sans oublier les nombreuses usines qui ont été occupées en France !
Par Geert cool
La crise de surproduction force les entreprises à restructurer sous peine de devoir fermer la porte et les travailleurs sont confrontés à des exigences patronales portant sur des baisses de salaires, l’allongement du temps de travail ou des licenciements. Si cette situation peut dans un premier temps mener à un sentiment d’abattement et de confusion, en même temps arrivent les premiers signes d’une résistance organisée. Cela se produit de différentes manières, mais là où elles rencontrent du succès, certaines méthodes font des émules.
Une occupation d’entreprise est-elle illégale ?
Lors de différentes actions avec occupation d’entreprise, on a vu les autorités faire usage de la répression. L’argument qui était toujours utilisé dans ce cas était le droit à la propriété privée du patronat. Cet argument est également utilisé contre les piquets de grève – il a formé le point central dans la présentation de requêtes unilatérales en justice par la direction de Carrefour lorsque celle-ci voulait agir contre les actions de solidarité menées devant plusieurs établissements de Carrefour l’an dernier.
Plusieurs gouvernements ont même fait preuve d’une grande créativité autour du droit de propriété privée. Lorsque les grandes banques et les établissements financiers ont connu des difficultés, ce n’était soudainement plus le problème de ces seules entreprises, mais aussi de la société toute entière. Dans certains pays, on a même été jusqu’à nationaliser certains de ces établissements. A ce moment-là, on n’a pas entendu un seul mot sur les principes de propriété privée, et les gouvernements ont même pu contourner toutes ces lois et règles qui auparavant étaient considérées comme quasi sacrées. Si on peut se permettre cela en faveur de l’establishment, pourquoi ne le peut-on pas pour nous ?
Dans une occupation d’entreprise, plusieurs lois sont envisagées : le droit à mener une action et le droit à un avenir décent, contre le droit du patron à organiser un bain de sang social. Le patron va évidemment utiliser tous les arguments possibles pour faire prévaloir son droit à causer un bain de sang social. Mais lorsqu’on parle de ces différents droits, ce qui permet essentiellement de décider lequel l’emporte, c’est le rapport de forces qui doit être construit dans l’entreprise et parmi des couches plus larges de la population. Toute personne qui désire un meilleur avenir, se heurte de toute évidence parfois aux règles et aux lois qui nous sont imposées. La question qui se pose alors est de savoir si les droits formels d’un individu l’emportent face aux droits d’un groupe de travailleurs et de leurs familles. Notre avis est clair : mieux vaut briser la loi que les travailleurs et leurs familles.
En lutte contre les conséquences de la crise
La bourgeoisie redoute les conséquences sociales de l’effondrement économique mais elle est en partie apaisée par l’absence d’une organisation politique des travailleurs et par l’attitude généralement passive adoptée par les directions syndicales ces dernières années. A la suite de la chute du stalinisme, la social-démocratie (les partis «socialistes» traditionnels) a subi une nouvelle vague de pertes de membres et un nouveau pas a été fait dans la transformation de ces partis en partis complètement bourgeois. Cette transformation, combinée à l’offensive idéologique de la bourgeoisie, a également eu une influence sur une grande partie des directions syndicales qui ont capitulé ou ne voient plus d’alternative à la logique néolibérale.
Sans direction ni organisation, la colère peut déborder en actions et en mouvements spontanés. Ceux-ci peuvent partir dans toutes sortes de directions, allant d’actes de protestation ou de menaces individuelles à une organisation collective de cette colère. Afin de transformer la colère en une résistance active, capable de remporter des victoires, il est nécessaire d’élaborer un programme clair, avec des revendications combatives et une organisation solide.
Le fossé qui existe entre d’une part la situation objective du capitalisme en crise, et d’autre part la situation du mouvement des travailleurs, n’a sans doute jamais été aussi grand qu’aujourd’hui. Mais après des années d’offensive néolibérale, nous allons assister à un renouveau de toute une série de traditions du mouvement ouvrier, sur le plan politique comme sur le plan syndical.
Avec une série de premières occupations d’entreprises en Grande- Bretagne, en Irlande, en France et en Italie, un lien a été renoué avec une importante méthode d’action du mouvement ouvrier, par laquelle la résistance collective peut revenir au centre des préoccupations. Bien entendu, un mouvement ne se développe pas en ligne droite, et des éléments de confusion sont toujours présents. Les socialistes de lutte tenteront de briser cette confusion grâce à un programme clair et à des propositions concrètes pour développer la lutte sur base de l’unité des travailleurs et de la solidarité.
Occupations d’entreprises : qui a son mot à dire sur le lieu de travail ?
A chaque moment, il faut réfléchir à la meilleure réponse à apporter face aux agressions patronales. Ce n’est pas parce qu’une grève avec occupation d’entreprise est une méthode efficace pour organiser les travailleurs de manière collective et exercer une pression sur la direction que cette méthode doit être employée sans réflexion préalable dans chaque situation. La méthode d’action retenue à chaque étape doit être celle qui mobilise les couches les plus larges couches de travailleurs. Alors que les travailleurs garantissent le fonctionnement quotidien de l’entreprise, ils n’ont pas ou peu de pouvoir de décision sur la manière dont le travail au sein de l’entreprise devrait être organisé. Une grève avec occupation remet en question cet état de fait. Le patron est doublement mis sous pression : d’abord, il ne tire plus de profit de son entreprise puisque la grève force l’arrêt de la production et, en plus, c’est la propriété elle-même de l’entreprise qui est mise en question au cours d’une occupation : qui sont maintenant les véritables seigneurs et maîtres?
Pour qu’une occupation d’entreprise soit un succès, il est indispensable d’impliquer au maximum les travailleurs. Un des instruments à cette fin est la mise en place d’un comité de grève, élu par des assemblées générales du personnel, lors desquelles les membres du comité de grève peuvent également être révoqués. Un comité de grève est utile pour faire reposer l’organisation pratique de la grève sur un groupe plus large, ne pas limiter cette organisation aux personnes qui sont garantes d’éventuelles négociations avec la direction et d’assurer un meilleur contrôle de la base sur les démarches et les engagements que prennent les permanents syndicaux.
Avec un comité de grève, l’implication des travailleurs peut être renforcée, et il est également possible de limiter autant que possible d’éventuelles divisions sur le lieu de travail : entre ouvriers et employés, entre syndicalistes rouges, verts, bleus, etc. Une structure unifiée pour diriger la grève peut empêcher le patronat de jouer sur les différences existantes et semer la division pour affaiblir la lutte.
Quel pas en avant ?
Une occupation d’entreprise remet en question les relations de propriété, mais pose aussi une nouvelle question, celle de l’organisation de la production. Dans toute une série d’exemples historiques, on a vu la production être reprise sous la direction du personnel. Ceci peut être une option temporaire, mais il est impossible, dans le cadre du capitalisme, de former une alternative à petite échelle, qui devra bien vite affronter la concurrence. Une occupation d’entreprise doit mettre en avant la revendication de sa nationalisation sous contrôle de la collectivité.
Avec la mise sous tutelle collective de la production, celle-ci peut s’accomplir en-dehors de la logique du profit, et il devient en outre possible de la contrôler de manière démocratique. Les structures du comité de grève constituent un embryon d’organe par lequel le pouvoir des travailleurs sur le lieu de travail peut être organisé. Ceci ne peut cependant être obtenu que sur base d’un mouvement et d’une solidarité reposant sur un large soutien.
Léon Trotsky sur les occupations d’entreprises
Dans le «Programme de Transition» qu’il a rédigé en 1938, Trotsky évoquait entre autres les grèves et les occupations d’usines. Ceci n’est pas un hasard, puisqu’en 1936 s’était produite en France une vague d’occupations d’usines, une méthode avait déjà été employée dans le passé.
“Les grèves avec occupation des usines (…) sortent des limites du régime capitaliste “normal”. Indépendamment des revendications des grévistes, l’occupation temporaire des entreprises porte un coup à l’idole de la propriété capitaliste. Toute grève avec occupation pose dans la pratique la question de savoir qui est le maître dans l’usine : le capitalisme ou les ouvriers.
Si la grève avec occupation soulève cette question épisodiquement, le COMITÉ D’USINE donne à cette même question une expression organisée. Élu par tous les ouvriers et employés de l’entreprise, le Comité d’usine crée d’un coup un contrepoids à la volonté de la direction.
(…)
Dès que le comité fait son apparition, il s’établit en fait une DUALITÉ DE POUVOIR dans l’usine. Par son essence même, cette dualité de pouvoir est quelque chose de transitoire, car elle renferme en elle-même deux régimes inconciliables : le régime capitaliste et le régime prolétarien. L’importance principale des comités d’usine consiste précisément en ce qu’ils ouvrent, sinon une période directement révolutionnaire, du moins une période pré-révolutionnaire, entre le régime bourgeois et le régime prolétarien. Que la propagande pour les comités d’usine ne soit ni prématurée ni artificielle, c’est ce que démontrent amplement les vagues d’occupations d’usines qui ont déferlé sur un certain nombre de pays.”
HISTOIRE: occupations d’entreprises ans notre pays
Au début des années ‘70, notre pays a connu une grande montée des conflits sociaux. Après “l’âge d’or” des années ‘60, les mouvements de protestation étudiants de 1968-69 ont été le signe avant-coureur d’une radicalisation parmi de plus larges couches de la classe ouvrière. En 1970-71, le nombre de jours de grèves était similaire à celui des neuf années précédentes, avec 265.000 journées. Mais entre 1970 et 1976, il y a eu en moyenne 850.000 jours de grève par an…
La lutte syndicale a été inaugurée par la grève de Caterpillar à Gosselies en décembre 1969 et par la grève des mineurs de 1970. Près de 80% de ces grèves étaient spontanées. Au début des années ‘70, la plate-forme de revendications des grèves spontanées ne se limitait pas à des revendications salariales, mais portait aussi sur les conditions de travail (cadence de travail, monotonie du boulot,…). Dans toute une série d’actions de grèves, on a eu des occupations d’entreprise, comme à Michelin (1970) et Glaverbel (1973).
En 1973, l’occupation de l’usine horlogère LIP à Besançon en France a constitué un exemple international: les travailleurs qui occupaient l’usine ont vendu leur production de montres eux-mêmes. Cet exemple a répandu l’idée d’une occupation d’usine réalisée avec la création de comités d’action ou, mieux encore, de comités de grève démocratiquement élus. Dans la foulée, une série de comités se sont ainsi créés, entre autres avec l’Avant-garde syndicale (à Caterpillar à Gosselies), et avec le Groot Arbeiderskomitee (GAK – Grand Comité Ouvrier) de l’entreprise Vieille-Montagne à Balen (pro- vince d’Anvers). Dans certains cas, les travailleurs ont temporairement repris la production entre leurs propres mains.
Un exemple intéressant d’une occupation réussie a été la lutte contre la fermeture de la raffinerie RBP à Anvers en 1978. L’occupation par les quelques 250 travailleurs a été organisée de pair avec des actions de solidarité par l’ensemble du secteur. Après un an d’occupation, RBP a été rachetée et la plupart des travailleurs ont pu retourner au travail.
La direction syndicale a réagi à ces actions spontanées en essayant de garder un lien avec cette radicalisation tout en voulant en reprendre le contrôle. Les actions étaient plus vite reconnues et la FGTB a rédigé un programme plus radical dans lequel elle se déclarait en faveur du contrôle ouvrier en tant que partie d’un programme de réformes structurelles et de planification de l’économie. Mais ce qu’elle n’a pas rédigé est un plan d’action afin de renforcer les occupations d’entreprises par un mouve- ment de solidarité national, ce qui aurait fait avancer la lutte vers la nationalisation sous contrôle ouvrier…
(Source : R. Hemmerijckx, In de geest van Mei 68. Arbeidersprotest en radicaal militantisme in België, http:// www.npdoc.be/Hemmerijckx-Rik/Hemmerijckx-Rik.htm
quelques exemples internationaux récents
Vestas : lutte pour les emplois et un meilleur environnement (Angleterre)
Les 600 travailleurs de l’usine d’éoliennes de Vestas, sur l’île de Wight (en face de la côte sud de l’Angleterre) ont occupé leur entreprise en guise de protestation face à la possible fermeture du site. Les travailleurs étaient menacés de se voir remerciés avec une prime d’adieu de moins de 1000£ par travailleur. A Vestas, les syndicats étaient à peine présents, à cause de la politique farouchement anti-syndicale de l’entre- prise.
Avec des sympathisants de l’île, une occupation de 18 jours a été organisée. Cette action a été soutenue par le syndicat RMT (Rail, Maritime and Transport workers’ Union – Syndicat des Cheminots, des Marins et des Transports), auquel de nombreux travailleurs de Vestas ont adhéré.
Plusieurs actions de solidarité ont été organisées et le gouvernement s’est vu contraint d’aller négocier avec les occupants et la direction syndicale. Le Ministre de l’Energie a déclaré que le gouvernement avait tout fait pour maintenir l’entre- prise, avec même une offre de racheter les installations de Vestas. En même temps, après 18 jours, la répression a été employée contre les occupants, qui ont été mis dehors par des huissiers.
L’occupation a déclenché un grand mouvement de solidarité. Sur cette base, la lutte pour le maintien des emplois et pour l’environnement peut être encore renforcée.
Innse : un accord après 15 mois de lutte (Italie)
Après 15 mois de lutte, l’usine de scooters d’INNSE (près de Milan) a obtenu un accord pour l’embauche des 49 travailleurs restants qui occupaient l’usine. En mai 2008, la fermeture de l’entreprise avait été décidée, les travailleurs ont immédiatement organisé une occupation. La police est intervenue, mais les travailleurs ont continué à bloquer l’usine. On a alors tenté de forcer l’enlèvement des machines, d’une manière extrêmement brutale, avec 500 agents de police. Quatre travailleurs et un délégué syndical sont montés sur une grue pour arrêter la police. De nouvelles négociations ont suivi, lors desquelles un accord garantissant le travail pour 16 ans (!) a été conclu.
Thomas Cook : une lutte courageuse (Irlande)
Fin juillet, une grève très dure a éclaté à l’agence de voyage de Thomas Cook de Dublin: près de la moitié des employés devaient y être licenciés, avec une prime de licenciement fort limitée. 60 personnes devaient perdre leur emploi dans les agences, plus 20 dans le call-center et tous les employés licenciés devaient immédiatement quitter l’entreprise. Mais les travailleurs ont réagi par l’occupation d’une des agences dans le centre de Dublin.
Les occupants ont reçu beaucoup de soutien et de solidarité. Les autorités ont ré- pondu à l’occupation par la répression. 28 employés ont été embarqués et traînés en justice. Lors de l’invasion policière (à 5 heures du matin!), aux côtés des occupants se trouvaient également des sympathisants, parmi lesquels notre camarade Matt Waine, conseiller communal du Socialist Party, qui a été embarqué. Mais aucun appel à une solidarité plus large n’a été lancé par les syndicats, ce qui laisse la porte ouverte pour plus de répression dans le futur. La répression peut sans doute s’exercer si l’action se limite à une trentaine de personnes, mais que se passerait-il si l’on avait 300, voire 3000 militants présents?