Lors de la dernière foire agricole de Libramont, les producteurs laitiers ont tenu à marquer l’ouverture en menant des actions pour perturber la cérémonie officielle. Ils ont à ce titre détruit l’emplacement des stands fédéraux, en particulier celui de L’AFSCA. C’était le prolongement de diverses actions de blocage menées depuis des mois par les producteurs excédés par la situation catastrophique des prix du lait. D’où vient la crise qui sévit dans le secteur agricole et quelles sont les solutions face à celle-ci.
Par Alain (Namur)
Le secteur agricole occupait en 2007, 46.500 personnes à temps plein et 42.541 personnes à temps partiel. Depuis des années, le nombre de personne occupées dans ce secteur est en diminution constante (en 2001, il y avait respectivement 53.857 et 49.011 personnes actives dans ce secteur). Il y a de plus une tendance lourde de diminution du nombre d’exploitations agricoles: alors qu’en 1998 il y avait 65.674 exploitations agricoles, en 2007 il n’en restait plus que 48.013. Il faut à ce titre noter que le nombre d’hectares de surface cultivée n’a pas marqué une telle diminution: de 1.390.801 hectares en 1998, nous sommes passés en 2007 à 1.370.285 hectares de surface agricole utilisée (avec une tendance à la baisse qui commence à se marquer en 2005). En clair, les exploitations sont de plus en plus grosses. (Les données de ce paragraphe proviennent de l’Institut National des Statistiques)
Dans le domaine agricole, la mécanisation et l’amélioration des rendements des variétés cultivées ont rendu la concurrence très acerbe. Suite à cela, la situation de ceux qu’on appelle les petits cultivateurs s’est dégradée. La responsabilité de cette situation revient entièrement à la manière dont fonctionne le système. En effet, afin de maximiser son profit, l’entrepreneur individuel investit dans des machines plus performantes, dans des variétés et des espèces plus productives et combat tout se qui pourrait attaquer son rendement, en utilisant force de pesticides, incecticides, fongicides,… (des produits phytosanitaires). Ce comportement rationnel à l’échelle individuelle, multiplié par tous les exploitants agricoles, fait que le stock de produits agricoles sur le marché, l’offre, est fortement supérieur à la demande effective. Cela a conduit les ministres des pays de l’Union Européenne à développer des mesures protectionnistes dans un premier temps et puis, les règles de libre échange forçant, à adopter des mesures d’aide à l’exportation et des systèmes de quota de production.
Actuellement, la commission européenne veut aller vers une réduction des quotas afin de permettre au libre marché d’offrir le prix juste au citoyen. Cela signifierait sans nul doute l’accroissement de la tendance à la baisse du nombre d’exploitants avec un effet d’augmentation du nombre de chômeurs (surtout parmi les ouvriers agricoles, mais également nombre d’anciens exploitants surendettés). Cette situation est un exemple des contradictions dans lesquelles la classe paysanne est engluée.
Les agriculteurs ont en effet tendance à voter massivement pour les chrétiens-démocrates et pour les libéraux. Mais ceux qui au niveau belge se présentent comme les grands défenseurs de la cause paysanne sont en réalité leurs plus grands fossoyeurs par la politique qu’ils mènent au niveau européen.
Nous n’entrerons pas ici dans les conséquences de l’agriculture intensive et chimique sur l’environnement et la santé humaine, mais il convient toutefois de noter que ce type d’agriculture est dû aux logiques économiques qui prévalent actuellement.
De manière plus concrète, on peut prendre l’exemple des producteurs de lait, ceux-ci ont un coût de production moyen de 0.33 euro par litre, alors que le prix auquel ils vendent le lait est actuellement de 0.18 euro… il y a un an le prix avoisinait encore les 0.36 euro. De plus, la spécificité du secteur laitier est que la capacité de stockage du lait est limitée dans le temps. On peut encore ajouter qu’une fois l’investissement consenti pour des races de vaches plus productives, on ne peut pas leur demander de produire moins…
Dans la production céréalière, Le Soir (édition du 22 août) nous apprends ceci: les rendements ont augmenté de 5 à 10% grâce au temps clément cette année (hivers rigoureux ce qui décime les ravageurs, alternance de pluie et de bonne période d’ensoleillement pendant l’été). Ceci devrait faire le bonheur des exploitant et, en fait, comme l’enseigne «l’effet King», c’est une catastrophe: un bon rendement agricole annuel fait baisser les prix. Le prix de la tonne de blé est à 90.5 euros, un des prix les plus bas depuis 1945, alors que la tonne se vendait encore à 150 euros l’an dernier. En 2007, la tonne se vendait encore 250 euros! Pour le secteur du blé, la capacité de stockage est plus importante (on peut vendre jusqu’au 31 mai 2010 ce qui a été récolté pour la saison 2009). Là, cela dépend de la réserve en liquidité de chaque exploitant et il n’est pas dit que le prix va aller en augmentant. Il faut espérer pour les producteurs belges que la récolte dans l’hémisphère sud soit mauvaise afin de faire remonter les prix…
Voilà où en sont les agriculteurs belges, à espérer que des crickets géants ou des pluies torrentielles ravagent les récoltes d’autres exploitants du sud qui ne sont déjà pas dans une bonne situation et qui risque aussi de tout perdre. C’est à cette situation que conduit la «main invisible» du libre marché…
La surproduction dans le secteur laitier est un problème structurel. La suppression des quotas, comme le réclame l’Union Européenne, va encore l’accentuer. Néanmoins, les revendications des agriculteurs ne vont pas non plus les sortir du gouffre. Ces derniers veulent une diminution des quotas (de 5%), ce qui rétablirait quelque peu les prix. Mais en conséquence, la consommation diminuerait, ce qui risquerait d’accroître encore la crise de surproduction par la suite. Les grandes surfaces ont accordé 0.05 euro d’augmentation aux producteurs de lait après plusieurs mois de blocage. Cela a partiellement calmé les agriculteurs qui par ailleurs ont également reçu une aide du ministre régional de l’agriculture (une enveloppe de 20 millionsd’euros). Ces 20 millions sont une goutte dans l’océan et, au vu du manque à gagner des producteurs, les 0.05 euros sont un pis-aller. De plus, les poches qui vont supporter ces maigres acquis sont encore une fois les travailleurs et les allocataires sociaux puisque les augmentations seront répercutées sur les prix en rayon.
En ce qui concerne le blé, la production mondiale pour 2009 est estimée à 660 millions de tonnes, pour une demande estimée à 640 millions, et ce sans compter les stocks… Donc, alors que la récolte n’est pas encore terminée, nous sommes déjà en surproduction. Mais aucun espoir de voir un quelconque effet positif pour nos poche, le prix du blé ne représente en moyenne que 15% du coût de production du pain!
Tout cela nous offre un aperçu de l’inefficacité du système capitaliste en ce qui concerne un des aspects les plus importants de la vie humaine: la production de nourriture. Rappelons encore qu’un enfant meurt de faim dans le monde toutes les 5 secondes…