COURRIER des lecteurs: Elections en Tunisie – Quels enjeux et perspectives?

Le 25 octobre de cette année se dérouleront les élections législatives et présidentielles en Tunisie. Un lecteur de socialisme.be nous a envoyé un article à ce sujet, que nous publions ici.

1) Enjeux principaux des ces élections et politiques face à la crise économique

L’enjeu principal de ces élections est politique et consiste à démocratiser la scène politique en Tunisie. Face à la crise économique, il manque une alternative cohérente et fiable pouvant acquérir la conscience des travailleurs, des paysans laborieux et des jeunes. Néanmoins, l’opposition réellement démocratique met l’accent sur la question de l’emploi pour tous, des salaires et de l’augmentation de ceux-ci pour atteindre un niveau convenable, la critique de la politique de privatisation et plus généralement des politiques néo-libérales menées depuis 1986, mais sans proposer une alternative concrète et fiable.

2) Analyses des principaux candidats et solutions qu’ils avancent dans ces élections

Pour l’opposition de façade légale (i.e Mouvement des Socialistes Démocrates (MDS), le Mouvement pour l’Union Populaire (MUP), les Verts, le Parti de l’Union Populaire (PUP)), il n’y a pas de revendications concrètes, à moins de réclamer un peu plus de réformes allant dans le sens du «changement» selon le discours du régime en place. Mais l’opposition démocratique (Mouvement Ettajdid, ex Parti Communiste Tunisien –seul parti légalisé-, le Parti du Travail Patriotique et Démocratique et le Parti Socialiste de Gauche (PSG), tous illégaux) a formé une coalition qui se nomme «Initiative Démocratique» et a présenté un candidat, le secrétaire général du Mouvement Ettajdid, Ahmed Ibrahim, qui prétend être le concurrent principal du président Ben Ali en place depuis 1987. Concernant les revendications politiques de cette coalition, elles s’articulent autour de six points essentiels:

  • Promulgation d’une amnistie générale pour tous les prisonniers politiques;
  • L’arrêt immédiat des pratiques portant atteinte à la dignité humaine, en particulier la torture et le jugement des tortionnaires, ainsi que la réforme du système pénitentiaire selon les normes internationales figurant dans les traités internationaux (ratifiés par le gouvernement tunisien)
  • L’annulation de toutes les lois et législations liberticides et en contradiction avec la constitution et les traités internationaux (aussi ratifiés par le gouvernement tunisien);
  • La levée de toute sorte de liens pesant sur les associations libres et les institutions de la société civile;
  • La révision du code électoral en se basant sur des critères internationaux dans les élections et la formation d’un comité indépendant qui contrôle les étapes des élections, se substituant au ministère de l’intérieur;
  • Pour l’indépendance de la justice vis-à-vis de l’exécutif et du législatif en garantissant l’immunité fonctionnelle des juges ainsi que le respect du principe de la non-révocabilité et l’élection de tous les membres du conseil supérieur de la justice;

Ces revendications sont purement démocratiques mais abstraites et insuffisantes.

3) Qui défend les intérêts de quelle classe sociale, voire de quelle fraction de la bourgeoisie?

En principe, la coalition « Initiative Démocratique » est censée défendre les intérêts des classes populaires (classe ouvrière, classe moyenne et paysannerie) mais va en pratique dans le sens d’une conciliation des classes, soit vers un compromis social avec la bourgeoisie. Quand à l’opposition de façade, elle ne défend que les intérêts de la bourgeoisie, ainsi que le pouvoir en place.

4) Quelles sont les solutions objectives nécessaires qui s’imposent au monde du travail?

Pour le monde du travail, ce qui s’impose, c’est:

  • Trouver un emploi et lutter sérieusement contre le chômage et la précarité et le sous emploi qui prend des dimensions inquiétantes;
  • La hausse des salaires, le gel des prix et l’indexation des salaires sur les prix;
  • L’amélioration conditions de travail et l’octroi à tous d’un travail décent;
  • L’arrêt des licenciements et des privatisations;

5) Comment défendre ces objectifs et avec quels instruments?

Pour défendre ces objectifs, nous devons utiliser tous les moyens pacifiques et démocratiques nécessaires, tels que l’action syndicale, politique et associative, la grève, les manifestations, et la forgation d’un nouveau parti des travailleurs de masse soudant et défendant réellement les intérêts démocratiques et ouvriers, des paysans laborieux et de la jeunesse.

6) Cadre dans lequel se déroulent ces élections:

Concernant le cadre juridique, le code électoral a connu des modifications qui sont nettement en contradiction avec les revendications démocratiques, en particulier la dernière modification qui impose aux partis de l’opposition de présenter comme candidat le dirigeant du parti ayant au moins deux ans d’expérience dans la fonction de dirigeant du parti, ce qui a été considéré par l’opposition démocratique comme une intrusion dans les affaires internes des partis. Selon la coalition de l’Initiative Démocratique, ces élections vont se dérouler dans un cadre juridique très détérioré mais malgré cela, elle va y participer et profiter du maximum possible de la «marge» que procure la loi électorale en vigueur. Cette marge consiste en des possibilités d’action, de contrôle, etc….. et à faire des élections une action politique et non pas une simple routine administrative comme le veut le pouvoir en place. Elle insiste sur trois points essentiels:

  • Le secret électoral qui n’a jamais été respecté auparavant;
  • Le tri des bulletins qui doit se faire en public ainsi que la déclaration des résultats, alors que les expériences précédentes ont montré que ces opérations se déroulent sous le seul contrôle administratif du pouvoir et donc loin d’une surveillance véritable;
  • La sensibilisation des citoyens pour participer à ces élections et la présence d’un nombre suffisant d’observateurs électoraux;

Enfin parmi les revendications, il y a aussi la libération inconditionnelle de tous les prisonniers de la lutte du bassin minier de Gafsa et quand à la coalition Initiative Démocratique, elle est consciente que ces élections se déroulent dans un cadre juridique truqué, mais selon le porte-parole du Parti Socialiste de Gauche (PSG) Mohamed El Kilani il faut y participer malgré les obstacles, car une telle participation est un moyen de pousser le pouvoir à changer ses positions et à reconnaître des droits à la différence et à la réalisation des acquis démocratiques. Il insiste aussi sur le fait que les élections sont un moyen de communiquer avec la population.

La position de la gauche tunisienne est divisée sur la question de la participation aux élections. Ceux qui ont boycotté les élections voient dans la participation à celles-ci un moyen de cautionner le pouvoir sachant que ces élections ne sont pas vraiment libres et plurielles.

7) Marxistes en Tunisie :

Ceux qui se réclament du marxisme en Tunisie sont marqués soit par le stalinisme soit par le maoïsme, et défendent généralement des revendications «transitoires» démocratiques mais négociées avec le pouvoir, ou purement démocratiques et sociales mais abstraites. Il manque donc une alternative socialiste authentique cohérente et conséquente élaborée par et pour les travailleurs, les paysans laborieux et la jeunesse ainsi qu’un véritable parti de masse des travailleurs défendant un programme démocratique et socialiste. Les marxistes en Tunisie défendraient donc l’alternative socialiste en tant que seule alternative réelle et viable et capable d’apporter réellement les solutions démocratiques et des acquis sociaux réels et durables dans un pays néo-colonial tel que la Tunisie. Ils défendraient des mesures telles que l’annulation de la dette, l’annulation des politiques néo libérales, comme la renationalisation des secteurs essentiels ayant été privatisés, un emploi décent pour tous et correctement rémunéré et effectué dans de bonnes conditions, ainsi que les libertés démocratiques élémentaires telles que la liberté d’expression et d’association, le libre discours, la liberté de circuler, l’inviolabilité du domicile et du secret de la communication, etc…. ainsi que bien sûr la fin des pratiques portant atteinte à la dignité humaine.

Il est donc grand temps de surmonter les amalgames politiques qui divisent la gauche et les démocrates authentiques et d’élaborer pour cela une vision et une plateforme autour d’un programme authentiquement démocratique et socialiste.

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