La recette de vacances réussies : un polar par semaine (6)

La recette de vacances réussies : un polar par semaine (6)

A l’heure où les médias font frémir la planète à la perspective des ravages que provoquerait une pandémie de la grippe A(H1N1), voici un polar hautement recommandable.

Jean Peltier

À la veille d’une échéance décisive, les dirigeants du laboratoire pharmaceutique Santaz emmènent tous leurs cadres en Thaïlande pour la grand-messe annuelle de leur séminaire de « motivation ». Sur le sable blanc, près de la piscine, entre les persiennes des bungalows de l’hôtel, se préparent à la fois le lancement d’un nouveau médicament, le Zépam, qui inquiète même ses inventeurs, et le rachat imminent de la société par le géant Planchett Ltd, laboratoire australien de renommée internationale.

Ces incertitudes plombent un peu toutes ces réjouissances exotiques. D’autant que le remaniement, inévitable, de l’équipe dirigeante préoccupe davantage les esprits que l’innocuité non garantie du nouveau traitement et les tâtonnements de l’industrie du médicament. C’est alors que les rancoeurs s’exacerbent, que les rivalités s’attisent, que les manipulations se planifient, et que Verbois, un cadre supérieur, après avoir été brutalement viré, disparaît…

Dans le jeu de massacre qui s’annonce, chacun va chercher par tous les moyens à gagner du galon ou à sauver sa peau.

La description du comportement des cadres du labo, de leurs relations avec leurs patrons, les « communicants » et la population locale est hilarante. Mais, féroce satire du monde du travail à l’heure de la mondialisation et roman noir de l’arrivisme débridé, Chères Toxines est aussi, et même surtout, une enquête minutieuse sur le lobby pharmaceutique et ses pratiques réelles. Car Jean-Paul Jody a réuni une documentation serrée sur son sujet et son bouquin est aussi un réquisitoire terrible qui met en accusation tous les profiteurs du monde de la santé, du médecin au ministre en passant par les labos.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Jody a choisi un labo comme point central de son roman, car c’est sans doute l’endroit où se dévoile le plus clairement toute l’histoire de la marchandisation de la santé.

Son laboratoire Santaz a en effet d’abord été une affaire familiale – peuplée d’employés idéalistes dont le but principal étaient tout de même de produire des substances à même de servir le bien-être et la santé de la population – avant de devenir une société florissante et cotée en bourse, peuplée de directeurs, de commerciaux, de communicateurs et de visiteurs médicaux. Et, en chemin, l’objectif de la boîte a radicalement changé : désormais il ne s’agit plus de fabriquer des médicaments mais bien des molécules qu’il faut faire breveter au plus vite afin qu’elles puissent être utilisées le plus longtemps possible dans des médicaments « nobles » – et chers – avant de tomber dans le domaine beaucoup moins rentable des « génériques ». Car c’est là le véritable objectif d’un laboratoire pharmaceutique aujourd’hui : chasser la molécule et la garder pour soi parce que tant qu’elle nous appartient, on en fixe nous-mêmes le prix. Et qu’importe le malade, qu’importe le système de santé qui rembourse aux frais de la princesse, qu’importent les pandémies qui ravagent le tiers-monde, qu’importent les souffrances de ceux qui ne peuvent pas se payer un traitement. L’important, c’est la cote en Bourse et le paquet de pognon qu’on peut palper en fin d’année.

Un très bon thriller donc, doublé d’une solide mise en accusation de la logique du profit. De quoi donc amorcer en souplesse le passage des vacances qui se terminent à une rentrée sociale et politique qui s’annonce mouvementée…

Jean-Paul Jody, Chères toxines

Editions du Seuil, 356 pages, environ 20 EUR.

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