Des pertes de plus en plus grandes pour une guerre impossible à gagner
Les chefs militaires américains et britanniques se sont empressés de crier «victoire» après leur offensive de juillet contre les Talibans dans le Sud-Est de l’Afghanistan. Mais, en réalité, la principale conséquence des opérations «Griffe de Panthère» (GB) et «Coup d’épée» (US) a été de recentrer l’attention d’un public de plus en plus sceptique sur le bourbier militaire et l’impasse politique que constitue l’Afghanistan actuel.
Peter Hadden, Socialist Party (CIO-Irlande du Nord)
Il est vrai que les Talibans ont, pour l’instant, été poussés en-dehors de certaines zones de leur bastion du Helmand. Cette retraite est principalement due à un changement de stratégie de leur part : ils ont abandonné la confrontation directe contre une puissance de feu supérieure pour se concentrer sur des attaques de guérilla (comme poser des bombes en bord de route). Pour reprendre les mots d’un certain analyste, l’offensive «Coup d’épée» pourrait plutôt être décrite comme une opération «Coup dans l’eau».
Le coût en un mois de cette double offensive en termes de pertes humaines pour les forces d’occupation américaines et britanniques a été le plus élevé depuis le début de l’invasion, en 2001. 75 soldats US et OTAN ont été tués en juillet et le mois d’août suit la même tendance avec 6 pertes uniquement les deux premiers jours du mois.
L’ampleur de la lutte actuelle illustre très clairement à quel point les huit années d’occupation n’ont quasi servi à rien, malgré les 170 milliards de dollars dépensés par les Etats-Unis et les 12 milliards dépensés par le Royaume-Uni tout au long de cette guerre impossible à gagner et malgré les 750 soldats américains et les près de 200 soldats britanniques qui ont déjà péri.
Pour le peuple d’Afghanistan, la facture a inévitablement été bien plus salée. Tout comme en Irak, aucune des forces d’occupation ne se soucie de tenir le décompte précis des combattants et civils afghans qui ont perdu la vie. Le journal britannique The Independant a récemment estimé à 30.000 le nombre de morts en Afghanistan. Mais sans données réelles, chacun est libre de faire ses propres estimations. En attendant, 3,7 millions d’Afghans ont fui le pays, se dirigeant pour la plupart en Iran ou au Pakistan.
Une stratégie erronée
La nouvelle offensive et le changement de tactique maintenant tenté par l’administration Obama sont autant de reconnaissances de l’échec de la stratégie suivie jusqu’ici. Un rapport du Centre d’Etudes Stratégiques et Internationales (CSIS – Centre for Stategic and International Studies) a averti du danger que l’Afghanistan devienne «le Vietnam d’Obama», et conclut que «la situation s’est détériorée en une crise, dans laquelle les Talibans et les autres groupes djihadistes sont maintenant en train de gagner».
Jusqu’à présent, la stratégie des puissances occupantes a été de tenter d’écraser les Talibans et de faire respecter par la voie militaire le règne du gouvernement fantoche de Karzaï. Les Etats-Unis se sont surtout basés sur des frappes aériennes, des tirs de mortier et des raids nocturnes pour tenter de repousser les Talibans et d’étendre l’aire d’autorité de Kaboul. Ils ont aussi entrepris un programme d’éradication en vue de détruire la culture du pavot, qui compte pour 60% de l’économie afghane et fournit aux Talibans la plupart de leur revenu.
Au cours des campagnes des deux derniers étés, les bombardiers américains ont largué chaque mois quelques 22 tonnes de munitions sur le Helmand. Avec de tels assauts «à la Cambodgienne», il ne faut pas s’étonner si l’on estime que deux-tiers des personnes tuées par les forces pro-gouvernementales sont mortes des suites de raids aériens.
Une misère impitoyable
En attendant, la vie quotidienne de la majorité de la population ne vaut guère mieux que sous les Talibans. Huit ans après l’invasion, 77% des gens n’ont toujours pas accès à l’eau potable. A la campagne, cinq personnes sur six n’ont pas d’accès au réseau électrique. Et pour ceux qui y sont connectés, y compris à Kaboul, l’électricité n’est disponible qu’à des voltages fluctuants et pour quelques heures par jour seulement. Le taux d’alphabétisation des femmes – qui vaut 18% – ne s’est que très peu amélioré par rapport à ce qu’il était sous le régime réactionnaire des Talibans. Avec 42% de la population contrainte de survivre avec moins d’1$ par jour, la vie de la plupart des Afghans est une vie de misère permanente.
Lorsqu’il sont arrivés au pouvoir pour la première fois, les Talibans étaient essentiellement constitués de combattants entraînés par l’armée pakistanaise et qui recrutaient parmi la population exilée. Ayant grandi dans les camps de réfugiés de la Province Frontalière du Nord-Ouest (North West Frontier Province – NWFP) et dans d’autres endroits du Pakistan, ils avaient peu de racines sociales et une très petite base dans la société afghane.
Les méthodes utilisées par les puissances occupantes – combinées à l’échec total du gouvernement Karzaï corrompu quant à l’amélioration de la vie des gens – n’ont servi qu’à élargir la base de l’insurrection, tandis que des tribus locales et de jeunes afghans rebelles se préparent à rejoindre la lutte.
Au moment où Obama a prêté serment – et avec les élections présidentielles afghanes prévues pour le 20 août – les Talibans étaient aux portes de Kaboul, avec sous leur contrôle une grande partie des provinces pachtounes du sud et de l’est. L’autorité du gouvernement ne s’étendait guère plus loin que la capitale. La plupart du territoire officiellement sous son contrôle est en réalité dirigé par des seigneurs de guerre tadjiks, ouzbeks, hazaras et autres, qui prétendent servir le gouvernement tout en continuant à diriger eux-mêmes leur propre territoire et à s’enrichir personnellement.
Des montagnes d’opium
En ce qui concerne l’éradication de l’opium, la réalité est que depuis 2005, l’Afghanistan – et surtout dans le Helmand – produit le double de l’offre mondiale. La plupart de la production est entreposée par les Talibans afin de maintenir les prix à la hausse et de s’assurer d’un revenu annuel de 3 milliards de dollars grâce.
La réponse d’Obama face à cette situation a été de remanier l’état-major et de changer de stratégie. Selon cette nouvelle stratégie, il faut moins se baser sur la puissance aérienne, et bien plus sur les troupes au sol. L’objectif militaire est de conquérir des zones, puis de tenter de les tenir et d’y construire un soutien parmi la population locale. Le nombre de troupes doit être augmenté de 100.000 effectifs. Mais plus de troupes sur le terrain et moins de frappes aériennes signifie inévitablement plus de pertes. Et au fur et à mesure que des soldats seront rapatriés dans des cercueils et que l’opposition aux Etats-Unis montera face à ce conflit futile, le danger est que la guerre ne soit pas perdue dans le Helmand, mais bien dans les rues des villes américaines et britanniques.
Les gouvernements US et britannique ont été forcés de reconnaître qu’il ne peut y avoir aucune victoire purement militaire. Leur objectif est de porter un coup décisif aux Talibans, tout en cherchant une sorte d’arrangement politique qui pourrait «donner un visage afghan à la suite des événements». Ils espèrent ainsi que – à un certain moment dans le futur – une stratégie de sortie prendra forme petit à petit.
Ceci peut sembler très joli dans les salles de wargame du Pentagone, mais la mise en œuvre d’un tel scénario en Afghanistan même sera une toute autre histoire. Le seul «visage afghan» disponible en ce moment est celui du gouvernement Karzaï, et les chances que celui-ci gagne en crédibilité auprès de la majorité des Afghans sont très minces. Malgré le fait que son soutien ne s’élève qu’à 15% dans le dernier sondage d’opinion, il est probable que Karzaï remporte les prochaines élections – mais seulement grâce à l’absence totale d’un candidat alternatif.
Les espoirs placés dans un éventuel nouveau gouvernement Karzaï, moins corrompu et moins inapte que l’actuel, ont été battus en brèche par sa décision de nommer Mohammad Fahim, un seigneur de guerre notoire, en tant que son coéquipier pour les élections.
Selon le rapport du CSIS, pour maintenir son contrôle, il faudrait au gouvernement de Kaboul une armée de 240.000 hommes et une force de police de 160.000. Jusqu’à présent, les efforts entrepris par la Coalition pour amener en trois ans les effectifs de police et de l’armée à 134.000 hommes ont échoué. Le gouvernement de Kaboul est une fiction, le pouvoir se trouvant en réalité entre les mains des seigneurs de guerre, et le pays est en réalité fracturé selon les lignes nationales ou tribales. L’idée que ce gouvernement puisse un jour acquérir l’autorité nécessaire que pour pouvoir commander une force de 400.000 hommes ne paraît être qu’un fantasme.
Comme l’a écrit Max Hastings dans le Financial Times, «si l’Occident est vaincu, ce sera pour les mêmes raisons que les Etats-Unis ont perdu au Vietnam: «nos» Afghans pourraient se révéler n’être guère plus fiables que «nos» Vietnamiens».
La “déferlante”
La “déferlante” de George Bush en Irak n’était rien de plus qu’une déferlante d’argent offerte à ses anciens ennemis. Dans la région d’Anbar en Irak, les Etats-Unis ont payé un salaire de 300$ par mois à 100.000 insurgés sunnites afin de les recruter dans une force de maintien de la paix. Maintenant, selon certains rapports, l’administration Obama, dans sa tentative de créer des scissions chez les Talibans, considère le versement de 150$ par mois à jusque 250.000 combattants actuels s’ils acceptent de changer de camp.
L’initiative d’Anbar a fonctionné tout un temps en Irak, mais au coût de possibles conflits futurs entre les forces sunnites et les forces gouvernementales dominées par des chiites. En Afghanistan, la situation a beaucoup moins de chances de se dérouler selon le plan. Le gouvernement pakistanais a établi un précédent avec toute une série d’accords avec les Talibans et d’autres militants islamiques. Tous ont échoué – l’effondrement en février de l’accord signé avec les Talibans dans la vallée du Swat n’en est que l’exemple le plus récent.
Le Pakistan
Ce qui nous amène à ce qui est sans doute le principal obstacle dans le chemin de l’administration américaine – la situation au Pakistan. L’intervention impérialiste dans cette région au cours des dernières décennies – depuis le soutien accordé via l’armée pakistanaise aux groupes de moudjahiddines qui combattaient les Russes – a régionalisé le conflit.
La frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan est une ligne dessinée en 1983 par un Anglais, Sir Mortimer Durand, afin de marquer les limites de l’avancée militaire britannique, sans aucun souci des différences entre les peuples de cette zone. Maintenant, les zones pachtounes des deux côtés de la frontière sont en révolte. L’armée pakistanaise, sous pression des Etats-Unis, mène une offensive brutale contre les Talibans pakistanais et d’autres groupes islamiques – les mêmes qu’ils armaient et entraînaient encore il y a peu.
L’offensive récente dans la vallée du Swat a impliqué 40.000 soldats, et a eu pour conséquence la déportation de 2 millions de gens. Ces méthodes, si elles sont utilisées dans d’autres bastions talibans dans les régions tribales, menacent de créer un second Afghanistan au Pakistan même. Tout en se concentrant sur une «déferlante» limitée dans le Helmand, Obama pourrait se retrouver confronté à une bien plus grande insurrection qui pourrait amener la question non seulement de la scission de l’Afghanistan, mais aussi celle du Pakistan.
Le bourbier qui s’approfondit est l’héritage de décennies d’intervention impérialiste dans la région. Ce sont les populations d’Afghanistan et du Pakistan qui en payent maintenant le prix. A l’heure actuelle, ils n’ont le choix qu’entre l’oppression militaire par le gouvernement ou les troupes étrangères, et la domination par des seigneurs de guerre ou des fanatiques religieux réactionnaires.
Une alternative est nécessaire. Toutes les troupes étrangères doivent immédiatement être retirées de la région. C’est à la population de la région de trouver une issue. La classe des travailleurs, en particulier celle du Pakistan, a un rôle crucial à jouer dans la lutte pour une alternative socialiste qui unirait tous les opprimés au-delà des frontières tribales, nationales et religieuses.
Le Comité pour une Internationale Ouvrière, CIO
Le capitalisme est un système mondial et il doit être combattu à la même échelle. C’est pourquoi le Parti Socialiste de Lutte fait partie d’une organisation marxiste internationale: le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), un parti mondial actif sur tous les continents. Notre lutte en Belgique s’inscrit dans le cadre d’une lutte des travailleurs du monde entier pour un société socialiste car si la révolution socialiste éclate sur le plan national, elle se termine sur l’arène internationale. La démocratie ouvrière et la planification socialiste de la production ne peuvent se limiter à un seul pays. C’est d’ailleurs l’isolement de la Russie soviétique qui a conduit à sa dégénérescence à partir de 1924.
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