L’Iran est confronté à une crise révolutionnaire depuis les dernières élections présidentielles. Des millions de personnes sont descendues dans les rues. La peur de protester contre le régime dictatorial est tombée, la rage et le mécontentement retenus pendant des années ont explosé dans un mouvement qui, en termes d’ampleur, ne connaît pas d’équivalent depuis la révolution iranienne de 1978-79.
Par Geert Cool
- Crise révolutionnaire en Iran : Les divisions au sein de la classe dirigeante s’approfondissent
- Révolution iranienne: vers où aller?
- Appel à la solidarité du PSL/LSP en français et néerlandais (PDF)
- Appel à la solidarité du PSL/LSP en anglais (PDF)
- Appel à la solidarité du PSL/LSP en persan (PDF)
- Protestations de masse en Iran
- Iran 1978-79: Une révolution volée à la classe ouvrière
- Rubrique "Asie" de socialisme.be
Révolution détournée
L’Iran a connu une histoire tumultueuse au cours de ces 40 dernières années. Dans les années ’70, les pays riches en pétrole, dont l’Iran, ont profité du quadruplement du prix du pétrole: entre 1972 et 1975, le PIB iranien a grimpé de 34% par an en moyenne. Le régime pro-occidental et dictatorial du Shah croulait sous les milliards, mais cela ne bénéficiait qu’à une petite élite : 45 familles possédaient 85% des grandes et moyennes entreprises! Les 10% les plus riches recevaient 40% des revenus du pays tandis que plus qu’un quart de la population vivait dans la pauvreté absolue.
Solidarité internationale
Le PSL a participé à plusieurs actions de solidarité en Belgique. Nous avons publié un message de solidarité diffusé en néerlandais, français, anglais et persan. Nous collaborons avec des militants iraniens de gauche qui résistent au régime réactionnaire d’Ahmadinejad sans aucune illusion envers Moussavi ou l’impérialisme occidental.
Le mécontentement croissant a entraîné une explosion de rage, un mouvement qui a renversé en février 1979 le régime du Shah, considéré pourtant comme un modèle de stabilité. Tout avait commencé un an auparavant lorsque l’armée avait ouvert le feu contre une des nombreuses manifestations illégales contre le régime. Cela a conduit à une escalade de manifestations de plus en plus imposantes, marquées chaque fois par des répressions brutales, une grève générale de plusieurs semaines et une ultime manifestation de deux millions de manifestants à Téhéran suivie par la fuite du Shah aux USA.
Pendant la grève générale, la classe ouvrière a joué un rôle très actif dans la lutte contre le régime. Elle a pris conscience de sa force, mais pas de la manière de l’organiser. Il manquait aux travailleurs un programme et une alternative clairs. Le principal parti actif parmi les travailleurs, le puissant parti communiste (Toudeh), a continuellement cherché à se rapprocher d’autres forces extérieures au mouvement ouvrier et s’est mis à la remorque du clergé chiite opposé au Shah. Un large espace a ainsi été ouvert aux forces réactionnaires autour de l’Ayatollah Khomeiny.
Les religieux réactionnaires ont institué un régime totalitaire qui a brutalement opprimé le mouvement ouvrier et a mis fin aux comités ouvriers armés qui avaient pris le contrôle de bon nombre d’usines. Khomeiny a toutefois dû avancer prudemment : la répression a progressé pas à pas mais était combinée à des concessions sociales (soins de santé et transport public gratuits, subventions de l’Etat pour l’énergie et les produits de base,…). Le régime religieux s’est construit au départ sur cette double base.
Différents courants existaient cependant au sein même du régime. D’un côté, le groupe autour de Khomeyni voulait que la direction religieuse garde le pouvoir et cherchait à exporter le fondamentalisme islamique vers le reste du monde. De l’autre coté, une aile plus pragmatique plaidait pour un Etat capitaliste centralisé et moderne. Cette contradiction est toujours au cœur des confrontations entre l’Ayatollah Khamenei, héritier de Khomeiny, et le «réformateur» Rafsanjani.
Depuis lors, le fossé entre riches et pauvres n’a pas disparu : la moitié de la richesse est dans les mains de moins de 20% de la population. L’immixtion de la religion et du clergé dans la vie des jeunes et des femmes se heurte à une résistance grandissante. Cela a conduit à plusieurs reprises à des mouvements de contestation. A la fin des années ’90, une série d’actions étudiantes ont éclaté, dissipant une partie des illusions dans le président «réformateur» Khatami, qui ne s’était pas opposé à la répression. Aujourd’hui, Khatami est une des figures centrales derrière Moussavi.
Depuis 2004, les grèves et actions ouvrières ont pris de l’ampleur : dans les bus de Téhéran (où un syndicat indépendant a été mis sur pied sous la direction de Mansour Osanloo, aujourd’hui en prison), les usines de sucre de Haf Tapeh, l’enseignement, le textile et le secteur automobile. En 2005, une journée nationale de grève et d’action a même eu lieu. Le 1er mai de cette année a aussi été marqué par des manifestations et des actions auxquelles le régime a répondu par l’arrestation de plus de 80 militants. Ces actions ont constitué un prélude du mouvement qui a explosé en juin. révolte
475 candidats se sont présentés pour participer aux élections présidentielles, mais quatre seulement ont effectivement pu participer, tous membres de l’establishment. Le challenger le plus important du président Ahmadinejad était Moussavi, partisan d’une approche plus modérée face à l’Occident mais qui avait été premier ministre au cours de la guerre avec l’Irak (1980-88) et qui avait alors mené une politique très répressive.
En 2005, Ahmadinejad avait vaincu Rafsanjani sur base de promesses d’une répartition plus juste des revenus pétroliers et d’une amélioration du niveau de vie des pauvres. Il parlait même d’une « république des pauvres ». Ahmadinejad n’a pas réalisé ses promesses, mais il a continué à se présenter en ennemi des capitalistes corrompus.
Il n’a fallu que deux heures après la fermeture des bureaux de vote pour annoncer le résultat des élections. Il a été très vite clair qu’il y avait fraude. Ahamdinejad prétendait avoir obtenu 64% des votes. L’annonce de ce «résultat» a tout de suite provoqué des rassemblements et des manifestations massives, surtout de jeunes et de femmes (60 à 70% de la population iranienne n’a pas encore trente ans). Très vite, les protestations n’ont plus seulement porté uniquement sur les résultats électoraux, mais également sur le manque de droits démocratiques, sur le chômage, les problèmes de logement,…
Le thème central est devenu la répulsion ressentie face au régime, par ailleurs incapable de stopper le mouvement. Moussavi a dans un premier temps lancé un appel à arrêter les actions, mais il a de nouveau du y prendre part Une fois la résistance active enclenchée contre le régime, le mouvement semblait ne plus pouvoir être arrêté.
Le régime même était divisé sur la manière de réagir face au mouvement. Selon le journaliste britannique Robert Fisk, les milieux conservateurs du régime ont eu des discussions si tendues qu’ils en sont venus aux coups de poing. Après une semaine de manifestations, le régime semble avoir choisi la voie de la répression brutale. Au moment d’écrire cet article (fin juin), le développement à venir du mouvement est encore incertain, mais c’est un véritable processus révolutionnaire qui s’est ouvert. Pour des rapports détaillés et des analyses actualisées, nous vous invitons à consulter notre site www.socialisme.be. N néanmoins quelques leçons générales peuvent déjà être tirées.
Comment obtenir une victoire?
Une nouvelle époque a commencé en Iran : le mouvement de révolte va se développer sur une plus longue période à travers diverses crises et en connaissant de nouveaux moments-clés. La question centrale est la suivante : comment la classe ouvrière peut-elle jouer un rôle central dans la lutte pour faire progresser ce processus révolutionnaire ?
Lénine parlait de quatre conditions essentielles pour le développement d’une révolution socialiste. Premièrement, des fractures et des divisions doivent s’ouvrir au sein de la classe dirigeante et de ses représentants politiques. Deuxièmement, la classe moyenne doit se trouver dans un état d’hésitation, avec une couche importante en son sein qui soutienne la révolution. Troisièmement, la classe des travailleurs doit être organisée et afficher une évidente volonté de lutte, en se plaçant à la tête du processus révolutionnaire. Quatrièmement, il faut un parti socialiste révolutionnaire de masse, avec une direction décidée, et bénéficiant d’un large soutien pour ses idées parmi d’importantes couches de la population – et en particulier, le soutien des couches actives des salariés.
Les deux premières conditions sont présentes en Iran. Mais il serait prématuré et irresponsable d’argumenter de façon simpliste que ces conditions sont à ce moment assez développées. La troisième condition – que la classe ouvrière soit préparée à mener la lutte – n’est pas totalement claire à ce moment. La classe ouvrière n’a pas encore pu mettre sa marque sur le mouvement, en tout cas pas en tant que force indépendante. La quatrième condition dont Lénine parle, la nécessité d’un parti et une direction socialiste et révolutionnaire, doit encore être réalisée. La volonté de lutte des travailleurs doit être testée dans des comités de lutte élus et par des syndicats indépendants qui doivent être construits.
L’absence d’une conscience fortement répandue parmi la classe ouvrière de son rôle indépendant et l’absence de direction révolutionnaire sont des obstacles objectifs à la révolution. D’autre part, le mouvement en Iran n’est encore qu’un prélude à des mouvements plus importants. Même si le régime peut encore se maintenir pendant une période, la crise sociale et les contradictions vont continuer à se développer et conduire à de nouvelles montées révolutionnaires.