Révolution iranienne : vers où aller ?

La classe des travailleurs doit rejoindre la lutte pour y jouer un rôle décisif

Trente ans après la révolution de 1979, l’Iran a de nouveau explosé en convulsions révolutionnaires, avec des millions de personnes défilant dans les rues pour protester contre la manipulation certaine des élections présidentielles. Quelques heures seulement après la fermeture des bureaux de vote, le Président Mahmoud Ahmadinejad et ses cohortes au sein de la dictature théocratique ont annoncé leur victoire écrasante, avec 64% des voix pour un taux de participation de 85%.

Tony Saunois, CIO

Les manifestations de masse se poursuivent

Cette seule annonce a suffi à faire surgir des centaines de milliers de personnes dans les rues – selon certaines sources, jusqu’à trois millions de personnes ont pris part à ce qui est la plus grande manifestation jamais vue à Téhéran. Les étudiants, la classe moyenne et des couches entières de la population de chômeurs, de pauvres et d’employés ont submergé les rues, exigeant qu’on leur «rende leurs votes» et qu’Ahmadinejad quitte le pouvoir. Quelle que soit la manière dont cette crise révolutionnaire se développe au cours des semaines à venir, il est clair que l’Iran ne sera jamais plus le même. Ce mouvement de masse pour le changement marque le début de la fin de la dictature en place.

Évidemment, aucune analyse précise du résultat des élections n’est possible, mais l’étude des données avancées par le régime – effectuée par l’Université de Saint Andrews en Écosse – donne des résultats incroyables. Dans certaines zones, le taux de participation aurait été de 100%. Ahmadinejad aurait apparemment mobilisé assez de soutien pour accroître son vote de +113% par rapport à 2005. Pour que les chiffres mis en avant par le régime s’avèrent correctes, Ahmadinejad aurait dû remporter les votes de tous ceux qui n’ont pas voté en 2005, de tous ceux qui avaient alors voté pour le candidat «centriste», Rafsanjani, et 44% des voix de ceux qui avaient voté pour Karubi, un candidat plus réformiste.

Une caractéristique frappante de ce mouvement et de la période précédant les élections a été l’apparition sur le terrain de la lutte de jeunes femmes – un événement sans précédent dans l’histoire iranienne récente. Ce facteur s’est reflété au cours de la campagne électorale: pour la première fois en Iran, la femme de Mir Hoseyn Moussavi, Zahra Rahnavard, a joué un rôle dirigeant et a attiré des foules massives, surtout composées de jeunes femmes, demandant «l’égalité».

La censure de la presse et la restriction du droit de se rassembler n’ont pas empêché la diffusion des nouvelles de ce mouvement. La jeunesse en particulier a utilisé Facebook et Twitter pour organiser les manifestations, promouvoir la cause et rendre publique la répression utilisée contre elles. L’Iran dispose du plus grand nombre au monde de «bloggeurs» par personne.

Les manifestations de masse qui ont inondé l’Iran à la suite de l’annonce des résultats électoraux marquent un tournant crucial. Défiant la «loi» et la répression brutale des forces de sécurité étatiques, elles illustrent le fait que les masses ont commencé à perdre leur crainte du régime et sont prêtes à le défier et à le provoquer. Ceci représente un changement décisif dans la psychologie des masses de tout mouvement dirigé contre une dictature. Confrontés au déploiement des forces paramilitaires brutales que sont les Basiji, les manifestants de Téhéran ont lancé le slogan «Tanks, fusils, Basiji: vous êtes maintenant impuissants!»

Jusqu’à présent, il ne fait aucun doute que ce sont les étudiants et la jeunesse qui se sont trouvés à l’avant plan de ce mouvement. Les couches éduquées et cultivées de la jeunesse bouillonnent de mécontentement face à la nature étouffante et répressive du régime théocratique qui leur a ôté la liberté de choisir leur habillement, leur musique, leurs relations personnelles et leur communication. Pour les jeunes gens dans les rues, une tenue trop moulante, des cheveux trop hérissés, ou un «mauvais goût» en matière de musique suscitait la colère des matraques des Basiji. Avec une population composée selon les estimations de 60 à 70% de moins de trente ans, de telles restrictions étaient impossibles à maintenir indéfiniment. Quelle que soit l’importance de ces facteurs, ce mouvement les surpasse, réclamant tous les droits démocratiques et illustrant une soif de changement à travers l’ensemble de la société iranienne. Ceci est reflété dans la participation et dans le soutien larges en faveur de ce mouvement et qui vivent parmi les couches plus âgées de la population.

Outre tout cela, se trouve toute la frustration et la déception accumulées par de larges couches de la population au cours des premières années de la Présidence d’Ahmadinejad. Ahmadinejad a été élu en 2005 et a conservé une base de soutien importante, en particulier parmi certaines couches dans les régions rurales et pauvres. Même au cours de ces élections, il semble y avoir une fracture entre les zones urbaines, plus larges, et les zones rurales. L’ampleur de cette division n’est pas encore complètement apparente. Par exemple, l’International Herald Tribune a publié un rapport provenant d’un petit village du nom de Bagh-e-Iman, près de la ville de Shiraz, au sud-ouest du pays. Selon ce rapport, la majorité des 850 villageois soutenaient Moussavi; pourtant c’est l’inverse qui a été déclaré lors du décompte des voix. Ceci, malgré le fait que les partisans d’Ahmadinejad y ont été hués au cours des assemblées électorales. Des convois entiers de voitures de villageois pleines à craquer se sont alors rendus à Shiraz pour y rejoindre les manifestations. Qui plus est, l’Iran dispose maintenant d’immenses centres urbains où vit aujourd’hui la majorité de la population, qui conserve des liens importants avec leur famille demeurée à la campagne. Selon des estimations récentes, près de 70% de la population habite en ville.

Un populiste réactionnaire

Le soutien d’Ahmadinejad parmi la population pauvre a été bâti sur base d’un populisme réactionnaire, dénonçant la corruption, la riche élite libérale et utilisant une politique nationaliste bruyante dirigée contre l’impérialisme occidental et en particulier américain.

Lors des élections de 2005, il a repris un des slogans de la révolution de 1979, «Une République des pauvres». Après la révolution, d’importantes sections de l’économie iranienne ont été remises entre les mains de l’État, mais plutôt qu’une République des pauvres, c’est une République des riches, de l’oligarchie corrompue des Mollahs qui est apparue. En 2005, Ahmadinejad a aussi fait la promesse de redistribuer la manne pétrolière de manière plus équitable, en faveur des pauvres, et a introduit des subsides pour certains biens de consommation. Après son élection, toute une série de projets d’infrastructure ont également été entrepris. Cette rhétorique contrastait avec celle de Rafsanjani, son opposant «réformiste», lequel a été battu en 2005 sur base de son caractère corrompu et de ses liens avec les riches oligarques.

Pourtant, la campagne populiste d’Ahmadinejad en faveur des pauvres n’a pas empêché son régime de brutalement attaquer les chauffeurs de bus de Téhéran et d’autres lorsqu’ils ont entrepris des actions de grève afin de défendre leurs intérêts.

Toutefois, avec une inflation galopante qui s’élève à 30%, la hausse du chômage, qui aujourd’hui touche environ 25% des moins de trente ans, et le récent abandon des subsides pour l’essence et certains produits alimentaires, la frustration et la colère se sont accrues au cours de la dernière période.

Ahmadinejad a aussi militarisé le gouvernement tant au niveau local que national, ce qui a mené à une répression accrue ainsi qu’à une hostilité croissante, surtout de la part de la jeunesse. Sur vingt-et-un postes ministériels, il en a octroyé quatorze à d’anciens officiers des Gardiens de la Révolution, comme lui. Le Basij a aussi reçu des droits d’extraction pétrolière, ce qui a mené à des allégations de corruption, alors qu’il était justement censé l’éradiquer.

Jusqu’ici, la force du mouvement, inédit en Iran depuis la révolution de 1979, a contraint le régime à effectuer toute une série de zigzags en guise de réponse, et a ouvert des fractures et des divisions en son sein. Au départ, le Conseil des Gardiens s’est contenté d’officialiser le pseudo-résultat des urnes, et a rejeté les demandes de recomptage. Il a ensuite fait marche arrière et a concédé un recomptage partiel de certaines urnes «contestées». Très récemment, il a accepté le fait qu’un peu plus de six cents urnes contestées soient recomptées. Toutefois, même si l’on obtenait par miracle la concession d’un recomptage complet, cela ne voudrait en réalité rien dire. Après tout, qui serait chargé de contrôler les contrôleurs? Selon Robert Fisk, un journaliste anglais, une bagarre a éclaté parmi les parlementaires réactionnaires sur la réponse à donner face à la phrase d’Ahmadinejad selon qui les manifestants ne sont rien de plus que «poussière et cendres».

Comme Trotsky l’a fait remarquer dans son œuvre monumentale qu’est «L’Histoire de la Révolution russe», l’arrivée des masses sur le terrain de la lutte avec l’ampleur que nous voyons en ce moment constitue une des caractéristiques d’une révolution. Dans ce sens, l’on peut dire que c’est une révolution qui se déroule en ce moment en Iran.

Khamenei

Quel type de révolution?

Toutefois, il y a différents types de révolution. Historiquement, il y a eu les révolutions bourgeoises des 17e et 18e siècles en Europe, qui ont balayé la société féodale. Il y a également eu la révolution socialiste comme celle qui s’est par exemple déroulée en Russie en 1917, et qui a eu pour conséquence le renversement du capitalisme et du féodalisme, et la mise en place d’une démocratie ouvrière. Celle-ci a été suivie par une contre-révolution politique, lorsque le régime bureaucratique de Staline a émergé et a ôté son pouvoir politique à la classe salariée.

Il peut également y avoir des troubles révolutionnaires qui ont pour conséquence un changement de pouvoir politique, mais qui conservent intactes les anciennes relations sociales et de propriété. En Iran pour l’instant, c’est une révolution politique qui est entrain de se produire, dans le cadre du capitalisme. Toutefois, une révolution est un processus, et au cours de ce développement peuvent émerger des questions et des revendications sociales qui l’amènent en conflit avec le système social du capitalisme. Les débats et les disputes qui se sont déroulés à la télé entre Moussavi et Ahmadinejad lors de la campagne électorale ont joué un rôle central dans l’essor de la population et surtout de la jeunesse, qui a été ensuite entraînée dans le mouvement de manière active, et est devenue une force motrice, qui conduit la lutte depuis que les soi-disant résultats des élections ont été annoncés.

La question cruciale maintenant en Iran est de savoir comment ce mouvement va se développer, et le type du nouveau régime qui va en ressortir. A ce stade des événements, on ne peut pas dire avec certitude comment la crise actuelle va se dérouler et se développer. La classe salariée va-t-elle surgir à l’avant-garde de la lutte pour la tirer en avant? Il est toutefois clair que c’est une nouvelle ère qui s’ouvre en Iran, et que les troubles et la révolution vont se développer tout au long d’une période prolongée, avec de nombreuses crises et de nombreux revirements de situation.

Lénine a défini quatre principales conditions pour le développement d’une révolution socialiste.

Premièrement, des fractures et des divisions doivent s’ouvrir au sein de la classe dirigeante et de ses représentants politiques. Deuxièmement, la classe moyenne doit se trouver dans un état d’hésitation, avec une couche importante parmi elle qui soutienne la révolution. Troisièmement, la classe salariée doit être organisée et doit afficher une évidente volonté de lutte – se plaçant à la tête du processus révolutionnaire. Quatrièmement, il faut un parti socialiste révolutionnaire de masse, avec une direction décidée, et un large soutien pour ses idées parmi d’importantes couches de la population – et en particulier, le soutien des couches actives des salariés.

Il ne fait aucun doute que les deux premières conditions sont présentes en Iran à l’heure actuelle. Cependant, il serait idiot et irresponsable de prétendre que, dans l’état actuel du mouvement en Iran, ces deux conditions y ont déjà muri. La troisième condition – la volonté de lutte de la part de la classe salariée – n’est pas clairement évidente à ce stade-ci. La classe ouvrière n’a pas encore clairement marqué ce mouvement, agissant en tant que force indépendante. La quatrième condition de Lénine – celle d’un parti de masse et d’une direction socialistes révolutionnaires – doit encore y être construite. Le degré de volonté de lutte par les travailleurs doit encore être mis à l’épreuve par des comités de lutte démocratiquement élus et des syndicats indépendants, qui sont encore inexistants.

L’absence d’une conscience de masse chez la classe salariée quant à son rôle indépendant, et l’absence d’une direction révolutionnaire, deviennent des obstacles objectifs à la révolution. Sans une estimation précise de ces facteurs, il est impossible d’estimer correctement les perspectives pour la révolution qui commence à se dérouler en Iran.

Fractures au sein du régime

Il ne fait aucun doute qu’une fracture majeure s’est ouverte au sein du régime au pouvoir en Iran. Elle s’est même étendue aux forces qui soutiennent Ahmadinjad, jusqu’à y provoquer des bagarres, concentrées autour de la réaction à adopter face au mouvement de masse qui semble les avoir prises par surprise. L’arrestation de membres de la famille de l’ancien Président Rafsanjani indique la profondeur de cette fracture ouverte au sein de l’élite dirigeante.

Le conflit entre Ahmadinejad et Moussavi représente également une division parmi les dirigeants. Tandis que les masses dans les rues se sont ralliées à Moussavi et placent de grands espoirs et illusions en lui, lui-même, ainsi que ses principaux partisans, a fait partie du régime théocratique. Moussavi, qui était Premier Ministre à l’époque de la crise des otages de 1979, a été responsable pour la répression contre les militants de gauche, et n’a rien fait pour s’opposer à la «fatwa» prononcée contre l’écrivain Salman Rushdie par le Guide Suprême de l’époque, l’Ayatollah Khomeini.

Lors de cette campagne électorale, il a promis la réforme du système existant, une plus grande libéralisation économique, la baisse du chômage et une «plus grande égalité» entre hommes et femmes, mais tout cela au sein du régime théocratique clérical actuel. En essence, son programme consiste en un plan de réformes d’en haut pour empêcher une révolution d’en bas, afin de maintenir l’ordre existant.

Pourtant, cette division importante et cruciale a ouvert la porte à travers laquelle les masses se sont déversées dans l’arène de la lutte. La détermination d’Ahmadinejad et de ses partisans à se maintenir au pouvoir coûte que coûte a encore plus élargi la fracture entre eux. Le fait que l’Ayatollah Khamenei, Guide Suprême de la nation, décide de conserver Ahmadinejad à son poste, et exige la fin des manifestations sous peine de voir la répression s’aggraver, menace de renforcer le conflit et de le porter un cran plus haut. Après avoir commencé par réclamer une réforme du système, le mouvement se trouve maintenant directement confronté à la figure de Khamenei, ce qui l’amène en collision avec l’ensemble de l’État théocratique.

Au début de la guerre civile espagnole, Trotsky a expliqué qu’en 1931, le général Berenguer avait agit en tant que portier, ouvrant la porte à travers laquelle les masses se sont engouffrées dans la lutte. On peut aujourd’hui dire la même chose de Moussavi, lequel, ayant ouvert la porte, tente maintenant de la refermer à nouveau. Malgré ses tentatives, la pression demeurera, et risquera de la faire voler en éclats.

Au moment où nous écrivons, il n’est pas encore très clair de savoir si les masses sont prêtes à aller encore plus loin, pour porter le mouvement vers une telle confrontation directe. Toutefois, les indications données par les personnes interviewées, de même que les rapports qui nous parviennent via Twitter et Facebook – et qui sont une caractéristique de ce mouvement – montrent que la déclaration de Khamenei a enragé une couche importante de la population. Les étudiants de l’Université de Téhéran ont déclaré une occupation permanente du campus après la déclaration du vendredi 19 juin. Ils ont appelé à une grève pour le mardi 22 juin. Cependant, confrontées à un déploiement massif des forces de sécurité, les manifestations du week-end des 20 et 21 juin ont semblé bien plus petites. Alors que les étudiants ont fait montre d’un grand héroïsme tout au long du mouvement, le niveau de la répression semble avoir intimidé d’autres couches de la population, qui préfèrent rester en-dehors du mouvement de protestation. Ceci n’aurait pas été le cas si la classe salariée avait marqué ce mouvement en tant que force indépendante et organisée.

Il est maintenant possible que, confronté à une répression féroce, le mouvement ralentisse et s’interrompe temporairement pour une certaine période. Ceci est d’autant plus probable que la classe salariée tarde à rejoindre la lutte de manière décisive. Si une telle situation devait se produire, nous pouvons être certains que ce mouvement fera à nouveau irruption dans un futur proche.

Toutefois, le mouvement de protestation qui s’est déroulé jusqu’ici s’est accru malgré les tentatives de démobilisation effectuées par Moussavi – qui a même appelé à l’annulation d’une manifestation de masse. Malgré cela, des centaines de milliers de gens sont descendus dans les rues, illustrant le fait que ce mouvement se développe d’en bas, malgré les tentatives de sa direction de l’empêcher. Moussavi est tout comme Ahmadinejad terrifié par le mouvement de masse – encore plus à l’idée qu’il puisse se transformer en un mouvement indépendant de la classe salariée.

La classe des travailleurs

La question cruciale qui se pose maintenant est de savoir si oui ou non la classe salariée est prête à rejoindre la lutte de manière décisive. Si un tel cas se produisait, alors le renversement du pouvoir d’Ahmadinejad serait clairement mis à l’ordre du jour. Bien que, selon certains rapports, les chômeurs et d’importantes couches de la population pauvre aient rejoint les manifestations à Téhéran nord (une zone plutôt habitée par des classes moyennes) et que les ouvriers du bâtiment aient acclamé la manifestation de l’opposition tandis qu’elle passait, nous n’avons encore reçu aucun rapport faisant état de travailleurs partant en grève ou formant leurs propres organes de lutte. Toutefois, certains indices montrent qu’un tel processus serait en train de se mettre en place.

Les chauffeurs de bus de Téhéran, qui jouissent d’une longue histoire de lutte contre le régime, ont publié une déclaration soutenant le mouvement et ceux qui combattent la répression du régime. Ils ont appelé à une journée de protestation pour le vendredi 26 juin. Il semblerait également que les ouvriers de l’usine automobile de Khowdrow ont imposé une grève de 30 minutes au début de chaque pause en guise de protestation contre la répression contre les manifestants.

En outre, les chauffeurs de bus, dont le chef Mansur Osanlu purge une peine de cinq ans de prison pour les grèves qu’il a organisées dans le passé, tout en soutenant les manifestations, ne soutiennent aucun des candidats à l’élection présidentielle, puisqu’aucun d’entre eux ne représente la classe des travailleurs. Selon d’autres rapports, des discussions quant à l’organisation d’une grève générale se déroulent en ce moment.

La révolution est un processus vivant qui se développe d’heure en heure et de jour en jour. De nombreux mouvements révolutionnaires ont commencé par l’entrée en lutte des étudiants universitaires et de couches de la classe moyenne, qui ont ensuite été rejoints par classe salariée, laquelle porte l’ensemble de la lutte à un niveau différent et supérieur. Cela a été le cas en France en 1968, et en Iran en 1979. La question, maintenant que la répression s’intensifie, est de savoir si le mouvement est prêt à se battre jusqu’au bout et à prendre les mesures nécessaires pour défier et renverser le régime.

Au cas où Ahmadinejad et son régime adoptent une politique encore plus répressive et brutale, causant de nombreux décès, cela pourrait mettre le feu aux poudres et lancer les travailleurs dans la lutte. Certaines sources mentionnent une douzaine de personnes tuées par les forces de sécurité le 20 juin. La déclaration de Khamenei et le déploiement de l’appareil d’État constituaient une stratégie hautement risquée. Si de plus gros combats avaient eu lieu, provoquant le décès de plusieurs centaines voire milliers de personnes, ceci aurait été le détonateur pour la classe salariée qui serait entrée en lutte de manière plus consciente et décisive.

Beaucoup d’étudiants proviennent de familles pauvres et bénéficient de bourses et d’aides afin d’accéder à l’université. Confrontées à l’explosion de la classe salariée alliée à la jeunesse, il n’est guère assuré que les forces répressives de la machine étatique demeureraient intactes.

Bien qu’il y ait eu des tirs et des attaques brutales sur les étudiants de l’Université de Téhéran, surtout de la part des Basiji, il y a aussi des témoignages de Basiji refusant d’attaquer les manifestants. La composition sociale des Basiji en fait une force extrêmement peu digne de confiance lorsqu’il s’agit de l’utiliser contre les manifestants. Le gouvernement prétend que ses effectifs s’élèvent à 12 millions de miliciens (sur une population totale de 70 millions d’Iraniens). Pour beaucoup d’analystes, il s’agit là d’une exagération, et les effectifs réels ne s’élèveraient qu’à la moitié de ce nombre. Le Basij est une organisation relativement facile à rejoindre, ne requiert finalement que peu d’entraînement, et n’exige pas un service à plein temps. Selon une source, son noyau dur ne s’élèverait qu’à environ 90.000 personnes. Le reste des miliciens proviennent de leurs familles, parmi lesquelles nombreuses sont les personnes qui ont participé aux manifestations d’opposition.

Au cas où le mouvement gagnerait encore plus de force, et surtout si la classe salariée devait rejoindre la lutte de manière organisée et déterminée, alors les différentes ailes de l’appareil étatique pourraient scissionner et se fragmenter. D’importantes couches de cet appareil passeraient du côté des manifestants. C’est là sans nul doute ce que craignent les gros bonnets au sein du régime.

Ce mouvement a mis à jour les divisions de classe et sociales massives qui existent dans la société iranienne. Si la crise devait se poursuivre et si la révolution ne prend pas les mesures décisives pour aller de l’avant et pour finalement obtenir que la classe salariée, soutenue par la classe moyenne, la jeunesse et les paysans pauvres, prenne en main la gestion de la société, alors de nouvelles divisions peuvent également commencer à apparaître.

Il y a une forte conscience nationale iranienne. Cependant, la population est composée de toute une série de groupes ethniques. On estime qu’elle est constituée de 52% de Perses, de 24% d’Azéris, de 8% de Gilakis et de Mazandaranis, et de 7% de Kurdes. Moussavi lui-même a parlé en Azéri lors de certains rassemblements (1). C’est là un nouveau point de fission qui pourrait s’ouvrir à un certain stade.

L’éruption du mouvement en Iran représente un point tournant dans la lutte des masses. Il n’est encore qu’à ses stades initiaux, mais va déjà plus loin que les événements de 1999 et se développe rapidement. Il reste à voir si cette crise révolutionnaire, qui comporte d’importants éléments d’une situation pré-révolutionnaire, est à comparer avec celle de Russie en 1905 ou en 1917. La révolution de 1905 a été vaincue car elle ne bénéficiait pas du soutien des paysans des zones rurales. Elle a été une anticipation de la révolution de 1917. La révolution de 1917 a été menée par la classe ouvrière, avec le soutien et l’implication actifs de la paysannerie. Cette différence entre 1905 et 1917 est peut-être également présente dans la crise qui se déroule en Iran aujourd’hui. En 1905, les masses, et en particulier la classe salariée de Saint-Pétersbourg, s’étaient mises en action. Au début, elles désiraient simplement plaider auprès du Tsar, menées par un prêtre du nom de Père Gapon. Aujourd’hui en Iran, les masses ont demandé des droits démocratiques et la réforme du système existant, et reprenaient de même des slogans religieux. Toutefois, dans la Russie de 1905, les travailleurs avaient formé leur propre organe de direction, le Soviet (conseil populaire), qui joua un rôle décisif, et qui refit surface lors des grandes révolutions de 1917. Ce genre de développement ne semble pas encore avoir pris place en Iran.

Toutefois, la révolution de 1905 fut vaincue, et une période de contre-révolution et de répression a suivi. Pourtant, 1905 fut un précurseur décisif pour la révolution de 1917, qui eut pour conséquence finale la prise du pouvoir par la classe salariée.

L’Iran de 2009 pourrait n’être qu’une anticipation d’un mouvement encore plus grand à venir. Si tel devait être le cas, quand bien même le régime actuel parviendrait à se maintenir pour une certaine période, la crise et les antagonismes sociaux demeureront et s’intensifieront, et mèneront certainement à de nouveaux troubles révolutionnaires. L’absence d’un véritable parti et d’une véritable direction socialistes révolutionnaires, couplée à la confusion politique qui existe assurément après trente ans de régime théocratique et à la retraite idéologique organisée internationalement quant à l’idée d’une alternative socialiste, signifie que la révolution en Iran va nécessiter un développement plus prolongé.

Une alternative socialiste

Le fait que Hugo Chavez, le Président “socialiste” du Venezuela, a, de manière scandaleuse, soutenu et défendu Ahmadinejad, ne peut qu’ajouter à la confusion. Ceux qui, parmi la gauche, ont de manière opportuniste décidé de garder le silence quant à la politique erronée de Chavez vis-à-vis d’Ahmadinejad et d’autres régimes et quant à d’autres enjeux n’ont pas aidé les masses iraniennes à suivre la bonne voie et à adopter l’idée d’une alternative socialiste authentique.

La tâche cruciale qui se pose maintenant en Iran, afin de vaincre Ahmadinejad et de mener le mouvement en avant, est d’assurer que des organisations réellement démocratiques soient formées afin de diriger la lutte. Des comités de grève, impliquant la classe moyenne, doivent être élus dans chaque entreprise, chaque université et chaque quartier. Plus que tout, ces comités doivent être prêts à appeler à la grève générale et à appeler la base de l’armée, des Gardiens de la Révolution, du Basij, et des autres organisations répressives de l’État, à rejoindre le mouvement, à renverser leurs officiers et à former leurs propres comités.

L’appel à un recomptage des voix par l’appareil étatique actuel ne résoudra pas la crise et ne peut pas remporter la confiance du peuple. Des comités de lutte élus pourraient poser la base pour l’organisation d’élections à une Assemblée constituante révolutionnaire afin de déterminer l’avenir du pays. Le comptage de toutes les voix pour une telle Assemblée doit être supervisé par des comités démocratiquement élus.

L’édification d’un gouvernement ouvrier et paysan, sur base d’un programme socialiste révolutionnaire, visant à rompre avec le capitalisme, est la seule voie qui puisse mener à la conquête de véritables droits démocratiques et à l’égalité pour l’ensemble du peuple iranien, exploité par le système actuel et par le capitalisme.

De telles revendications doivent inclure la liberté d’assemblée, le droit de former des partis politiques, de former des syndicats indépendants, de produire des journaux et des programmes télévisés sans censure étatique, de même que la libération de tous les prisonniers politiques et de tous ceux qui ont été arrêtés pour s’être dressés contre le régime.

La nouvelle ère qui s’ouvre en Iran ouvre la perspective de travailleurs et de jeunes tirant les conclusions nécessaires quant à quel programme et quelle organisation sont nécessaires pour assurer une victoire durable et mettre un terme à la dictature et à la pauvreté subies sous le régime actuel. Le rôle des socialistes révolutionnaires est d’aider ces jeunes et ces travailleurs à trouver cette voie.


(1) Musavi lui-même est natif de la province iranienne d’Azerbayjan oriental, principalement peuplée d’Azéris

(2)En juillet 1999, les étudiants de l’Université de Tehran ont organisé une manifestation contre la fermeture d’un journal, qui fut fortement réprimée par les autorités. Les émeutes qui s’ensuivirent durèrent une semaine et se propagèrent dans les autres grandes villes iraniennes.


Le Comité pour une Internationale Ouvrière, CIO

Cette analyse est issue du CIO.

Le capitalisme est un système mondial et il doit être combattu à la même échelle. C’est pourquoi le Parti Socialiste de Lutte fait partie d’une organisation marxiste internationale: le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), un parti mondial actif sur tous les continents. Notre lutte en Belgique s’inscrit dans le cadre d’une lutte des travailleurs du monde entier pour un société socialiste car si la révolution socialiste éclate sur le plan national, elle se termine sur l’arène internationale. La démocratie ouvrière et la planification socialiste de la production ne peuvent se limiter à un seul pays. C’est d’ailleurs l’isolement de la Russie soviétique qui a conduit à sa dégénérescence à partir de 1924.

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