Vic Heylen, généralement reconnu comme un brillant analyste automobile, a balayé de la table lundi soir les propositions concernant l’usine d’Opel Anvers, à la fois de la part du gouvernement flamand et des syndicats. Selon lui, l’usine d’Anvers est en soi performante, mais évolue au sein d’une «structure néfaste», celle de GM-Europe, qui est à l’agonie. Si le site était une entité distincte, affirme Heylen, il aurait un brillant avenir.
Heylen prétend que la proposition du gouvernement flamand visant à acheter l’usine d’Anvers et à la relouer à GM, n’est rien de plus qu’un slogan électoral. "GM a déjà laisé entendre qu’ils veulent même donner l’usine gratuitement pour autant que l’on reprenne avec les 3.000 travailleurs et tout le passif social qu’ils représentent. L’essentiel est qu’aucune construction ne peut garantir que les gens puissent continuer à travailler" affirme-t-il. Au lieu de cela, Heylen plaide pour que le gouvernement achète l’entreprise pour offrir des services d’assemblage à tous les constructeurs automobiles qui vendent des voitures sur le marché européen. En bref, que le gouvernement nationalise l’usine et offre lui-même des services d’assemblage. "Mais", ajoute-t-il, "ils n’osent pas." Toutefois, dans quelques années, il y aura peut être des propositions plus intéressantes de la part de quelques acteurs asiatiques, poursuit Heylen. Le Parti Socialiste de Lutte n’est pas d’accord avec Heylen sur ce qu’il voudrait faire d’Opel après un rachat par le gouvernement. Nous sommes en faveur d’une nationalisation du site, et de sa réaffectation vers un plan de mobilité public et innovant (voir ici), et non pas nationaliser aujourd’hui pour revendre plus tard à d’autres parasites capitalistes. Mais nous avons toujours eu des problèmes avec cette structure européenne.
Dès le départ, il était clair qu’une reprise de GM-Europe n’offrait pas une solution face à la crise de surproduction, et entraînerait un massacre social. Tant le Canado-Autrichien Magna-Steyr que Fiat préparent une telle destruction d’emploi. Dans les deux cas, au moins 10.000 emplois devaient disparaître. Aucun gouvernement, ni même, malheureusement, aucun syndicat n’a osé remettre cette option en question.
Il était supposé que la seule possibilité de survie pour Opel-Anvers était un rachat, et de préférence au niveau européen. Pour attirer un repreneur, il y a eu des garanties d’Etat, des crédits supplémentaires, et dans le cas du gouvernement flamand, également une opération sale-and-lease-back (le gouvernement achète l’usine que d’autres louent ensuite). Sur cette base, ils espèrent attirer les acheteurs potentiels pour éviter à tout prix une fermeture pure et simple du site. La filière européenne n’était pas remise en question, tout comme l’appât avec lequel le gouvernement flamand voulait attirer les acheteurs. Seul Dedecker a exprimé des réserves, mais pas dans une optique que l’entreprise soit prise en charge par la collectivité ; dans le but de fermer immédiatement l’ensemble du site. Ainsi va le sens commun. Du côté syndical, on s’est complètement enfermé dans la logique de l’attrait pour le "meilleur acheteur possible" pour la branche européenne de GM. C’est le cas par exemple de ce syndicaliste Rudi Kennes, Vice-président du comité d’entreprise européen, qui, même s’il porte la casquette de "gauchiste" du Spa.Rood (un groupe plus à gauche au sein du SP.a), se profile lui-même comme un fervent partisan d’une acquisition par Magna. Selon lui et son collègue allemand Klaus Franz de IG-Metall, également président du CE européen, cette option offrait de meilleures garanties sur l’emploi que Fiat.
Le fait que Magna veut supprimer 11.000 des 55.000 emplois de GM en Europe, un sur cinq donc, met les syndicats dans l’embarras. Via des pressions à l’encontre des différents gouvernements, ils tentent de déplacer le bain de sang social le plus possible vers d’autres régions. Ce n’est pas un hasard si les syndicats belges ont félicité la minutie avec laquelle le gouvernement flamand pour leur soutien, mais ce soutien n’a aidé en rien. Avec une ligne de crédit d’une valeur de 1,5 milliards d’euros, la moitié est supportée par le gouvernement fédéral, et l’autre moitié par les quatre Lander qui disposent d’usines Opel, et une garantie d’État de 4,5 milliards d’euros, le gouvernement allemand a procédé à un accord de principe. Magna prendrait une participation de 20%, son partenaire russe Sberbank de 35%. GM détiendrait quant à lui un solide pied-à-terre avec 35%, et les employés contribueraient à hauteur de 10%.
Mais par-dessus tout, des 11.000 emplois qui seraient supprimés, 2.500 seulement le seraient dans les entreprises allemandes, c’est-à-dire un emploi sur 10. Ailleurs en Europe au moins un emploi sur 4 disparaîtrait, un total d’environ 8500. De plus, l’accord de principe stipule que le russe GAZ, qui produit encore la Volga, mais bientôt aussi les Opel, serait intégré comme partenaire industriel. En Europe de l’Est et en Russie, les travailleurs de ne doivent pas s’effrayer, car Magna va produire de manière substancielle et l’emploi sera prolongé. Les licenciements seront tous supportés par les quelques 20.000 travailleurs en Espagne, en Grande-Bretagne, en Belgique, en Suède et en France.
Kennes a compris le message. Dans un premier temps, il avait plaidé pour que le Zafira soit produite en Belgique parce que "nous sommes 18% moins cher qu’à Bochum", maintenant, il veut que la Meriva, qui est produite en Espagne, soit localisée à Anvers. Ca ne peut pas fonctionner, on ne sauve pas des emplois par la concurrence entre les travailleurs, mais par l’organisation de la lutte et de la solidarité.
Klaus Franz d’IG-Metall, président du conseil chez Opel et fervent partisan de Magna, a déclaré, à la suite de l’accord de principe, que "les intérêts de tous les travailleurs ont été défendus". "Des méga fusions, dans un marché déjà saturé, ne peuvent pas fonctionner" sont ses arguments. Klaus Kranz n’a jamais proposé qu’Opel devienne un constructeur public qui se concentre sur des investissements inovateurs et écologiques. Combien de temps va encore durer cette compétition, exigeant chaque fois de nouvelles victimes dans une situation de surcapacité? Magna ne va-t-il pas, tout autant que Fiat, pousser dans cette voie? Le Parti Socialiste de Lutte est très sceptique quant à l’attitude des syndicats qui se montrent enthousiastes face à la logique de concurrence.
Les syndicats ont également appelé le gouvernement flamand pour protester auprès de la Commission européenne contre le protectionnisme allemand. Sans beaucoup de succès, d’ailleurs, parce que dans les faits, le gouvernement flamand avec son offre de 300 millions d’euros de prêt et de 200 millions d’euros pour une opération sale-and-lease-back, ne fait rien de différent de ce que fait son homologue allemand.
Des excellences libérales telles que Ceyssens et Van Quickenborne parlent de "critères objectifs". Cela ne signifie pas le bien-être des travailleurs ou le maintien d’un maximum d’emplois, mais la rentabilité! Les syndicats se font entraîner dans une position renégate, dans laquelle ils ne peuvent gagner.
L’Europe n’est pas là pour sauver des emplois, mais pour transférer la richesse des pauvres vers les riches. Combien de fois n’a-t-on pas fait appel à l’Europe pour nous faire abandonner nos acquis? Combien de fois ne nous a-t-on pas dit qu’il n’y avait pas besoin de lutter, car nos exigences ne peuvent être atteintes que dans une Europe “sociale”? Serait-il de bon ton qu’une Europe sociale nationalise “Opel-Europe”? Bien sûr, mais alors est-il encore temps d’attendre avant de procéder à la nationalisation de l’entreprise, qui pourrait servir d’exemple sur la voie à utiliser pour réaliser une autre politique en matière de mobilité ?