C’est par la révolution que nous pouvons arracher le changement

Au Forum économique de Davos et aux autres grandes rencontres internationales, un thème s’invite continuellement dans les discussions : la crainte des troubles sociaux. Il plane comme une odeur de 2011. Cette année-là avait ressurgi la menace de la révolution. En quelques semaines, les régimes de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Égypte furent balayés par la colère des masses et le monde entier fut parcouru par une vague de soulèvements qui donna naissance au mouvement des Indignés en Espagne ou encore à celui d’Occupy aux États-Unis.

Par Nicolas Croes

En Tunisie comme en Égypte, seul le sommet de la pyramide fut renversé. En dépit du formidable élan des masses, l’exploitation capitaliste a poursuivi son œuvre. En Libye, les interventions impérialistes ont assuré que le feu de la contestation sociale soit éteint et que la chute de Kadhafi n’alimente pas une contagion révolutionnaire. En Syrie, le soulèvement de masse contre Assad a été dévié vers une sanglante guerre civile qui sévit encore aujourd’hui. Partout ailleurs, un certain vent de déception a succédé à l’enthousiasme initial. Pourquoi cela ?

Selon nous, le point fondamental fut l’absence d’un programme, d’une stratégie et de tactiques capables d’entrainer le mouvement jusqu’à sa conclusion logique : le renversement du capitalisme et l’instauration d’une réelle démocratie, c’est-à-dire une société où les secteurs-clés de l’économie, tels que la finance, auraient été expropriés et placés sous contrôle et gestion populaires. Tout cela se synthétise dans un parti. Comme l’écrivit Trotsky dans sa monumentale Histoire de la révolution russe : ‘‘Sans une organisation pour la guider, l’énergie des masses se dissiperait comme de la vapeur qui n’est pas emprisonnée dans une boîte à piston. Mais néanmoins, ce qui fait bouger les choses, ce n’est ni le piston ni la boîte, mais la vapeur’’.

De la même manière que les États-majors militaires prennent grand soin d’étudier en profondeur les leçons à tirer des grandes batailles historiques, les événements révolutionnaires doivent bénéficier d’une attention tout aussi rigoureuse afin d’éviter d’être pris au dépourvu dès lors que la chaine des événements s’accélère et devient plus tumultueuse. À ce titre, le parti bolchévique reste le cas d’école par excellence, puisque c’est lui qui a permis aux travailleurs et aux paysans de Russie de prendre le pouvoir dans leurs mains en octobre 1917.

Le parti bolchévique

Le premier groupe marxiste russe est né dans l’émigration en 1883. Quelques années plus tard, en 1898, fut proclamée la création du parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR). En 1903 survient une scission qui fait encore couler beaucoup d’encre entre les bolchéviques (ce qui signifie ‘‘majoritaire’’ en russe) d’une part et les menchéviques (‘‘minoritaires’’) d’autre part. En 1912, la fraction bolchévique du parti devint officiellement un parti indépendant.

Lénine était arrivé à la conclusion que, pour que les travailleurs russes puissent renverser l’État dictatorial tsariste, une force disciplinée et organisée serait nécessaire. Le parti bolchévique était un nouveau type de parti qui donnait à ses membres une formation solide basée sur l’étude des expériences et des luttes antérieures, qui prenait ses décisions au terme de discussions démocratiques et de débats à tous les niveaux du parti et qui agissait de manière unie quand il menait des campagnes et des actions. C’est ainsi que fut forgé un cadre révolutionnaire apte tout à la fois à prendre des initiatives audacieuses, comme à agir de concert.

Toujours est-il que lorsque le régime tsariste fut balayé, en février 1917, et que commença l’épreuve de force entre le gouvernement provisoire acquis à la défense des intérêts de l’élite et les soviets (conseils) ouvriers et paysans, le parti bolchévique ne représentait encore qu’une poignée de militant sur toute l’étendue de la vaste Russie. Dans son texte Classe, parti et direction, Trotsky explique : ‘‘Le parti bolchevik en mars 1917 était suivi par une minorité insignifiante de la classe ouvrière (…) En l’espace de quelques mois, en se basant sur le développement de la révolution, le parti a été capable de convaincre la majorité des travailleurs de la justesse de ses slogans. Cette majorité organisée en Soviets fut capable à son tour d’attirer les soldats et les paysans.’’ Comment cela a-t-il bien pu se faire ?

L’épreuve des faits

Contrairement aux staliniens, les bolchéviques n’ont jamais considéré le marxisme comme un dogme rigide et ossifié. Il s’agissait pour eux d’un guide pour l’action. Chaque événement était analysé et placé dans son contexte tactique et stratégique à la manière d’un sportif devant sauter une barrière et qui étudie comment il doit prendre son élan afin de passer l’obstacle avec la force nécessaire tout en se préservant pour ne pas être hors d’haleine pour la suite du parcours.

Le révolutionnaire belgo-russe Victor Serge expliquait les choses ainsi : ‘‘1917 fut une année d’action de masses étonnante par la multiplicité, la variété, la puissance, la persévérance des initiatives populaires dont la poussée soulevait le bolchevisme. (…) Les bolcheviks assumèrent le pouvoir parce que, dans la sélection naturelle qui s’était faite entre les partis révolutionnaires, ils se montrèrent les plus aptes à exprimer de façon cohérente, clairvoyante et volontaire, les aspirations des masses actives. Ils gardèrent le pouvoir, ils vainquirent dans la guerre civile parce que les masses populaires les soutinrent finalement, en dépit de bien des hésitations et des conflits, de la Baltique au Pacifique. Ce grand fait historique a été reconnu par la plupart des ennemis russes du bolchevisme. (…) Ainsi, jusqu’à la fin de la guerre civile, en 1920-1921, la Révolution russe nous apparaît comme un immense mouvement populaire auquel le Parti bolchevik procure un cerveau et un système nerveux, des dirigeants et des cadres.’’ (Trente ans après la Révolution russe)

Hélas, la révolution dégénéra et une bureaucratie parvint à prendre le pouvoir sous la direction de Staline. L’Histoire aurait été fondamentalement différente si les révolutionnaires avaient été organisés à la manière des bolchéviques en Allemagne et ailleurs avant que n’éclate la Révolution russe. Faute de cela, les soulèvements révolutionnaires en Allemagne, en Autriche et en Hongrie échouèrent en laissant la révolution isolée en Russie, ce qui a favorisé le développement de conditions matérielles bénéfiques à l’essor de la bureaucratie.

Commémorer… mais surtout appliquer !

Un parti révolutionnaire ne crée pas les conditions qui conduisent les travailleurs à entrer en lutte. Mais, lorsque ces conditions existent, le parti peut jouer un rôle clé en accélérant le développement de la conscience des travailleurs et en fixant des objectifs pour leurs luttes. C’est pourquoi il nous semble également essentiel de revenir sur les leçons à tirer de l’histoire du parti bolchévique.

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