Etat turc. Seule l’unité des progressistes et des syndicats en lutte peut stopper le régime présidentiel

Photo : Wikipédia

L’oppression brutale des minorités, la forte influence de l’armée et l’exportation des conflits politiques turcs en Europe n’ont jamais fait le poids face aux intérêts économiques, militaires et politiques turco-européens. Les élites européennes n’ont toutefois jamais pu se permettre d’entretenir des relations avec le régime turc sans émettre quelques critiques de temps à autre. A l’occasion du referendum turc du 16 avril portant sur la révision de la constitution – referendum qui revient dans les faits à un coup d’Etat présidentiel – ces relations chargées ont viré en engueulades et en succession de représailles.

Par Eric Byl

Tout semblait pourtant plein de promesses pour l’Occident. En 2009, le gouvernement AKP a présenté son ‘‘Initiative kurde’’. Il semblait que la langue kurde allait être autorisée. Une sixième chaîne émettant en kurde s’est ajoutée à l’offre de la télévision publique. Le gouvernement a promis d’investir dans la région et des frigos ont même été distribués gratuitement.
En 2007 déjà, l’AKP avait coupé l’herbe sous le pied du Parti kurde (DTP) et était parvenu à sortir grand vainqueur des élections législatives dans les territoires kurdes. Au moment des révolutions et mouvements de masse en Afrique du Nord et au Moyen orient (2011-2012), l’AKP et Erdogan semblaient représenter un islam modéré et moderne considéré par les puissances occidentales comme une alternative aux tendances plus fondamentalistes.

Erdogan montrait cependant déjà régulièrement son vrai visage. ‘‘Un musulman ne peut commettre de génocide’’, a-t-il déclaré en défense d’Omar al-Bashir (Soudan) alors poursuivi par la cour pénale internationale pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’Humanité. En 2012, il comparait la contraception à la haute trahison. En 2013, un petit sit-in à Istanbul pour le maintien du parc Gezi s’est transformé en protestations de masse contre Erdogan. La répression policière a causé des morts et fait plusieurs milliers de blessés. Fin 2014, le palais qu’Erdogan s’était fait construire pour 600 millions de dollars dans un domaine protégé à Ankara a été ouvert. Il est impliqué dans plusieurs scandales de corruption et impose personnellement une censure sur les médias turcs. Erdogan en est même venu aux mains avec les proches des victimes de la catastrophe minière de Soma (2014).

Mais ce sont surtout les succès militaires des Kurdes syriens et la crainte du développement d’un Etat kurde indépendant qui ont provoqué un revirement, en plus du fait que l’AKP n’a pas obtenu de majorité absolue aux élections de 2015 étant donné le succès du HDP pro-kurde. La forte croissance économique du pays s’est aussi effondrée fin 2015, de parfois plus de 10%. L’inflation a atteint les 8%, le chômage presque 13%. La fuite des capitaux fut massive. Le coup d’Etat manqué du 15 juillet 2016 a fourni l’excuse à Erdogan pour imposer un état d’urgence permanent. Plus de 45.000 personnes, dont 59 députés du HDP et 162 journalistes, ont été jetées en prison. 130.000 fonctionnaires ont été licenciés. 2100 établissements scolaires et 149 journaux ont été fermés. Des actions pour une valeur de 10 milliards de dollars ont été saisies et distribuées aux oligarques fidèles à Erdogan. Le prochain referendum vise à instaurer un régime présidentiel pour consolider son emprise sur la société.

En cas de réussite, Erdogan pourrait alors régner par décret, déterminer le budget, déclarer l’état d’urgence et nommer personnellement qui il veut. Il serait chef de l’armée et des services secrets. Les ministres ne seraient responsables que vis-à-vis de lui et le parlement serait mis hors-jeu. Les tribunaux et même la Cour constitutionnelle perdraient toute indépendance. Selon ses propres termes : ‘‘Il s’agit d’une chance historique. Grâce à un pouvoir fort, notre pays sera libéré de toute tutelle, des groupes de pression et des coups d’Etat.”

Pour la gauche, la défaite serait cuisante. Jusqu’à il y a un mois, le camp du ‘‘non’’ était en tête dans les sondages (45,7%, contre 43,7% et 10,6% d’indécis). C’est pourquoi Erdogan veut mobiliser les presque 2 millions d’électeurs turcs en Europe qui sont généralement plus en sa faveur. Mais son coup d’Etat constitue une telle violation ouverte de tout ce que l’UE prétend défendre que les gouvernements de l’UE ne peuvent pas simplement fermer les yeux. L’interdiction des meetings avec des représentants gouvernementaux turcs en Allemagne à Gaggenau et Hamburg et ensuite, l’interdiction à Rotterdam et l’expulsion par le premier ministre néerlandais Rutte d’un ministre turc pour des raisons purement électorales sont tombées à point.

Il est compréhensible que certains progressistes turcs et kurdes espèrent que des sanctions et des interdictions d’entrée pour des représentants gouvernementaux turcs renforcent l’opposition démocrate en Turquie. Ils se trompent.

Cela pourrait au contraire jouer sur le scepticisme – justifié – de la population turque à l’égard de l’impérialisme occidental et de sa politique au Proche-Orient. Cela soulignera qu’il y a deux poids, deux mesures par rapport à Trump, Poutine ou aux Saoudiens dont on n’entrave pas l’action. Erdogan pourra se présenter en ‘‘victime des intérêts occidentaux’’ et détourner l’attention de l’effondrement économique ainsi que de l’échec de sa politique syrienne.

La gauche ne doit pas tomber dans le piège de la surenchère réciproque entre les gouvernements occidentaux et turc et tomber dans le camp de l’une des puissances capitalistes. Ces interdictions pourraient créer un précédent qui pourrait se retourner contre des activités des Kurdes ou des Turcs progressifs. L’opposition turco-kurde doit au contraire pouvoir faire appel au mouvement ouvrier et à tous les progressistes. La solidarité avec les représentants du HDP emprisonnés, le mouvement féministe et les grèves de protestation en faveur des droits démocratiques sont cruciaux pour contrer la division nationale et religieuse de la population dans l’Etat turc. De grandes mobilisations communes des Turcs, Kurdes, de la gauche européenne et des syndicats ainsi qu’une campagne commune dans les quartiers et les entreprises pour un ‘‘non’’ au referendum sont les réponses qu’il faut donner aux meetings organisés par le régime dans l’Etat turc et en dehors.

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