Pourquoi attendre les élections n’est pas une bonne idée pour les syndicats

Dans les structures de la FGTB et de la CSC, nous entendons de plus en plus que ‘‘les gens ne sont plus près pour partir en action’’. D’où cela provient-il ? Comment remédier à ce problème ? Ces questions, ne parlons même pas des réponses, ne sont hélas pas posées. Résultat: les syndicats qui avaient opté pour une offensive sans précédent à l’automne 2014 sont désormais sur la défensive. Leur stratégie ? Attendre la fin de la législature et les prochaines élections dans l’espoir qu’une autre majorité puisse la remplacer, et d’ici là, essayer de limiter la casse. Le PSL estime que c’est une stratégie dangereuse qui désarme le mouvement ouvrier et qui donne des munitions supplémentaires à la droite.

Par Eric Byl, édito de l’édition de mars de Lutte Socialiste

Les dirigeants syndicaux vont naturellement mettre en avant le récent accord salarial – l’Accord Interprofessionnel (AIP) pour 2017-2018 – qu’ils qualifient de ‘‘bon pour les gens et pour l’économie’’. La pièce maîtresse de cet accord, c’est une augmentation du pouvoir d’achat pour les salariés de maximum 1,1% (en plus de l’indexation prévue de 2,9%). Comparé aux quatre accords salariaux précédents, ce n’est pas rien. Celui de 2009 a débouché sur un gel des salaires et un écochèque de 250€. Celui de 2011, sur une augmentation de 0,3%. Rien en 2013, et pour 2015 une augmentation de 0,5% brut, soit 0,3% net. Comparé à ces accords, le dernier AIP signifie pour beaucoup une bouffée d’air frais et a été voté à une large majorité dans toutes les centrales des deux principaux syndicats.

L’accord freine également le durcissement du régime de chômage avec complément d’entreprise (RCC), l’ancienne retraite anticipée. L’âge requis dans les secteurs lourds, pour les carrières longues et dans les entreprises en restructuration ne sera pas porté à 60 ans dès 2017, mais progressivement pour 2019. C’est évidemment important si vous êtes à la limite pour avoir droit à ces conditions. Enfin, les allocations sociales pourront être augmentées grâce à l’attribution d’une partie de l’enveloppe bien-être. Cette dernière est le résultat d’une décision prise lors de la réunion extraordinaire du cabinet ministériel à Ostende en 2004, mise en pratique à partir de 2007, et qui a depuis été utilisé comme monnaie d’échange par le gouvernement et les patrons pour faire pression sur les syndicats lors des négociations sur des accords salariaux.

Cependant, d’importantes critiques de cet accord peuvent être faites. En effet, l’augmentation salariale de 1,1% est un maximum, et il n’est pas du tout certain que tous les secteurs la recevront. La norme salariale a été révisée ; selon l’ancienne norme, la marge n’aurait pas été de 1,1%, mais 2 à 3%. L’ajustement à l’indexation des prix est estimé à 2,9%, mais les valeurs réelles de l’inflation seraient de 3,9% (en deux ans). L’augmentation salariale chez nos trois principaux partenaires commerciaux n’est pas estimée à 4% (2,9% + 1,1%), mais bien à 4,5%. La nouvelle méthode de calcul de la norme salariale ne prendra plus en compte les subventions salariales aux entreprises, un cadeau supplémentaire au patronat chiffré à 0,5%. L’enveloppe bien-être initialement de 900 millions d’euros pour les allocations sociales a été réduite à 506 millions €. L’âge de la ‘‘pré-pension’’ (RCC) augmente moins rapidement, mais augmente néanmoins.

Pourtant, ce n’est pas exagéré de qualifier cet accord de petit changement de tendance. Les dirigeants syndicaux ont-ils vraiment négocié de façon intelligente la manière de limiter les dégâts jusqu’aux élections ? Ou bien ont-ils, au contraire, pris cet accord salarial comme l’opportunité de calmer sa base tout en la piégeant ? Nous espérons que c’est la première option, mais craignons que ça ne soit la deuxième.

Un accord salarial suppose une paix sociale. Cela ne signifie pas qu’on ne peut plus mener aucune action. Le 21 mars, le secteur non-marchand manifestera et le 24 du même mois, c’est une manifestation contre le dumping social qui est prévue. On prévoit également des actions dans l’enseignement avant l’été. Le secteur privé fait face à une vague de fermetures et de restructurations. Des actions, y compris les grèves, sont tout à fait possibles. Cependant, des actions de solidarité discutées ailleurs dans le secteur privé seraient considérées comme des violations de l’accord salarial. D’autant plus s’il s’agirait d’une offensive généralisée des syndicats. Une lutte généralisée contre le gouvernement est donc en suspend jusqu’aux élections.

Les dirigeants syndicaux suivent bien sûr également les sondages. Ils ont constaté que le gouvernement n’aurait été qu’à 72 de ses actuels 83 sièges s’il y avait eu des élections en janvier: quatre sièges de trop peu pour une majorité. Ils partent également de l’idée que le PS sera nécessaire d’une manière ou autre, et que par conséquent la N-VA sera mise hors-jeu. Cela pourrait bien être une déception. En assurant la paix sociale, les syndicats offrent aux partis gouvernementaux la possibilité de concentrer toute leur attention avant les élections sur les thèmes sur lesquels ils espèrent bien être capables de marquer des points: l’immigration et la sécurité. Ce n’est pas un hasard si Théo Francken, qui a répété en boucle combien sa politique est dure vis-à-vis des réfugiés, est aujourd’hui le politicien le plus populaire. Tout comme Maggie De Block avant lui, jusqu’à ce qu’elle ne soit déplacée aux Affaires sociales et de la Santé.

Dans l’étude “ceci n’est pas une crise”, 80% des répondants affirmaient que les politiciens ont donné trop de pouvoir au monde financier. 74% se sentent abandonnés par l’élite. Pour le mouvement ouvrier en général et pour les syndicats en particulier, ces chiffres devraient être le motif de mobilisations massives. Des sondages antérieurs ont indiqué qu’après les mobilisations de 2014, 80% des gens étaient favorables à une taxe des millionnaires. Mais depuis que les syndicats ont cessé la mobilisation, ce mécontentement se traduit par un repli communautaire habilement exploité par toutes sortes de populistes. Les scandales autour de Publifin, Publipart et autres intercommunales n’ont fait que confirmer le gouffre qui nous sépare de l’élite, mais aussi à quel point les soi-disant ‘‘partenaires privilégiés’’ des syndicats sont étroitement liés à ce système. Plus que de la tromperie, la combinaison de la tromperie et de l’hypocrisie risque de nous infliger des punitions.

Les directions syndicales devraient s’interroger. Pourquoi ne pas utiliser le calme relatif post-accord salarial pour mener une campagne de masse sur un programme de lutte qui s’attaque au chômage, à la pauvreté, à la détérioration des conditions de travail et à l’érosion des contrats de travail ? Pourquoi ne pas lier une telle campagne à un plan d’action pour s’assurer que cette fois-ci, il ne s’agisse pas seulement de paroles, mais qu’il y ait un lien avec les mobilisations et les actions ? Enfin, les syndicats devraient également clarifier leur relation avec les soi-disant partenaires politiques privilégiés: au lieu de prêcher l’unité de gauche avec les hypocrites qui s’enrichissent pendant que nous nous serrons la ceinture, ils devraient se mettre à la tête de cette rage pour arriver à unifier toutes les victimes.

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