Syrie. La fin de la guerre est-elle en vue ?

Les nouveaux mouvements pour le changement social doivent intégrer les leçons de la tragédie syrienne

La victoire militaire du régime d’Assad et de ses alliés étrangers à Alep a été un tournant dans la guerre en Syrie. Elle a permis au gouvernement syrien de reprendre le contrôle officiel des principaux centres urbains du pays. Mais est-ce le prélude à un accord de paix qui puisse mettre fin à la litanie d’horreurs infligées au peuple syrien?

Par Serge Jordan (Comité pour une Internationale Ouvrière)

Dans les semaines et les mois qui ont suivi les soulèvements révolutionnaires en Tunisie et en Egypte en 2011, la Syrie a été le théâtre d’une révolte populaire de masse contre la dictature brutale et corrompue de Bashar El Assad. La riposte contre-révolutionnaire à ce soulèvement a initié la longue suite de tragédies qui se déroulent encore en Syrie aujourd’hui. L’absence d’organisations ouvrières indépendantes capables d’exploiter ce mouvement selon les lignes de classe et de surpasser les divisions religieuses et ethniques sur lesquelles la dynastie Assad avait consolidé son pouvoir, a créé de multiples oopportunités: Cela a permis au régime de mettre en œuvre une répression sauvage; au divers groupes sectaires d’usurper le mouvement anti-Assad; Et pour plusieurs forces capitalistes étrangères, cela a permis d’intervenir des deux côtés afin d’exploiter le conflit à leur profit. Diverses forces contre-révolutionnaires se sont entre tuées dans une guerre dévastatrice qui a déplacé plus de la moitié de la population du pays, tué des centaines de milliers de personnes et réduit ce beau pays à un gigantesque tas de ruines.

Un tournant important a eu lieu en décembre dernier, lorsque le régime et ses soutiens ont repris Alep, la ville la plus peuplée du pays avant la guerre et son bastion économique. Cela leur a permis de revenir cette année à la table de négociation avec un effet de levier beaucoup plus important que lors des négociations de paix internationales antérieures, qui avaient été en grande partie symboliques. Ces évolutions se déroulent dans le contexte de nouvelles mutations des relations de pouvoir en constante évolution au Moyen-Orient – les alliances régionales devenues encore plus volatiles après le processus de révolution et de contre-révolution au Moyen Orient et en Afrique du Nord connu sous le nom de Printemps arabe, qui a déstabilisé les arrangements politiques de longue date des élites dirigeantes.

Les pourparlers de paix sur la Syrie qui ont eu lieu récemment à Astana, la capitale du Kazakhstan, visaient à établir un cessez-le-feu à l’échelle nationale, reflétent les nouveaux réalignements. Organisés sous le parrainage de la Russie, de la Turquie et de l’Iran, ils témoignent du déclin récent de l’influence de l’impérialisme américain sur le Moyen-Orient et du rôle géopolitique plus affirmé de la Russie. Comme l’a décrit le journaliste Erika Solomon dans le Financial Times, «les envoyés occidentaux se retrouvent relégués avec des journalistes dans le pub irlandais lambrissé d’un hôtel au Kazakhstan».

Erdogan et Poutine rabibochés

Alors que les États-Unis demeurent la plus grande puissance militaire mondiale, leur domination incontestée sur les affaires mondiales a disparu depuis longtemps. Cela a conduit à une situation dans laquelle diverses autres puissances régionales et internationales sont déterminées à imposer leurs propres règles. L’un des axes pivots d’un tel développement se retrouve dans le rapprochement provisoire, depuis l’été dernier, entre deux camps opposés de la guerre en Syrie: la Russie, un allié de longue date du régime d’Assad et la Turquie, partenaire historique de l’impérialisme américain et Pilier de l’OTAN, qui avait équipé et financé un éventail de forces islamistes de droite dans l’espoir d’affaiblir le régime syrien.

Les raisons de ce tournant diplomatique sont multiples. Au-delà de l’importance du marché russe pour une économie turque qui se contracte, il existe un calcul plus simple et plus pragmatique: l’intervention militaire puissante de Poutine en Syrie depuis l’automne 2015 a contribué à renverser l’équilibre et, ce qui est assez important, Assad et son régime. Les bombardements impitoyables de la Russie ont tué de nombreux civils, détruit des infrastructures et des installations médicales, et réduit les quartiers entiers en ruines, étendant la tactique de la punition collective déjà pratiquée par l’armée syrienne et ses milices affiliées. Elle a également imposé de lourdes pertes militaires aux rebelles armés et aux guerriers djihadistes soutenus par la Turquie (ainsi que par l’Arabie saoudite et le Qatar) et balayé la possibilité immédiate d’une débâcle militaire pour les forces d’Assad.

Dans ces conditions, l’option du président turc Erdogan pour un «changement de régime» à Damas a été mise au placard. En soutenant les djihadistes, le gouvernement turc a joué avec le feu et a subit un retour de flammes colossal. Victimes d’une violence terroriste croissante, les travailleurs ordinaires paient de leur sang le prix de la mauvaise politique étrangère de leur gouvernement. Ce facteur a par exemple joué un certain rôle dans la colère d’une partie de l’armée turque, nourrissant la tentative de coup d’état contre Erdogan en août 2016.

Les Kurdes: le prix de la négociation

Outre l’armée d’Assad, la principale cible des djihadistes soutenus par l’état turc était les combattants kurdes des YPG / YPJ (Unités de Protection du Peuple / Unités de Protection des Femmes). Par l’intermédiaire de leur bras politique, le Parti Démocratique de l’Union (PYD, branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan, ou PKK), ils avaient réussi, à l’été 2012, à s’emparer du pouvoir dans le nord de la Syrie après le retrait de l’armée d’Assad.

Malgré les nombreuses faiblesses des méthodes politiques du PYD (comme une administration du haut vers le bas et une stratégie militaire à court terme basée sur des accords avec les forces impérialistes), les Kurdes qui vivent dans la région ont obtenu des droits qui avaient disparu pendant des décennies durant le règne d’Assad ? Cela a aidé à relancer la lutte du peuple kurde contre l’oppression en Turquie et ailleurs.

La tentative d’Erdogan d’utiliser l’EI et d’autres combattants djihadistes pour affaiblir le mouvement kurde dans le nord de la Syrie s’est largement transformée en un fiasco: loin de diminuer, les combattants kurdes ont acquis une réputation internationale en tant qu’ennemi le plus farouche des assassins de l’EI. L’année passée, ils étaient à deux doigts faire la jonction entre la partie orientale de Cirize et Kobane avec le canton isolé d’Afrin à l’ouest, confrontant les dirigeants turcs à la perspective d’avoir un groupe lié au PKK contrôlant une bande de terre contiguë à leur frontière.

En définitive, Erdogan a été contraint de réajuster ses priorités. En août dernier, l’armée turque est intervenue directement pour la première fois sur le territoire syrien, une campagne dénommée « Opération Euphrates Shield », dont l’objectif principal était d’empêcher les YPG / YPJ et leurs combattants alliés des Forces démocratiques syriennes (SDF) de traverser l’Euphrate et de connecter les zones sous leur contrôle.

L’absence de toute réaction forte contre une invasion terrestre de la Syrie par la Turquie, la Russie ou l’Iran est révélatrice de la volatilité des relations entre les puissances impliquées. Les dirigeants baasistes de la Syrie et les religieux réactionnaires au pouvoir en Iran partagent avec Erdogan un vif désir de remettre les Kurdes à leur place. Un membre de premier plan du parti au pouvoir en Turquie (AKP) a déclaré l’été dernier au sujet de l’autonomie kurde, « Nous ne pouvons pas nous aimer, mais sur ce sujet nous soutenons la même politique ». Ce que l’on sait des discussions secrètes tenues en Algérie entre des responsables syriens et turcs suggèrent que le gouvernement turc a probablement reçu une certaine garantie sur cette question qui a facilité un accord selon lequel la Turquie abandonnerait ses vues sur Alep en échange d’un «corridor de sécurité» dans le nord de la Syrie qui pourrait empêcher l’unification des zones kurdes.

Alep repris par Assad

La Turquie a renforcé sa frontière avec la Syrie, longtemps utilisée pour le ravitaillement des groupes armés extrémistes sunnites. Les États du Golfe, confrontés à des problèmes économiques endogènes et incapables d’en sortir, ont également réduit leur flux d’approvisionnements vers leurs milices sectaires respectives sur le terrain. Les rebelles islamistes de droite ont vu leurs sources de financement se tarir, ont été privés de missiles antiaériens ou d’une force aérienne capable de concurrencer la campagne de bombardement intensif des armées syrienne et russe, dont la supériorité militaire est évidente.

Au cours des derniers mois, le sort de l’Est d’Alep, jusqu’alors le dernier grand fief urbain des rebelles armés, a été ainsi scellé. La zone a été affamée par un siège qui a aussi stoppé les renforts militaires en plus des livraisons de nourriture et de fournitures médicales. Des dizaines de milliers de civils ont été pris dans le feu croisé des unités combattantes.

Sur le plan politique, les rebelles armés, entrés à Alep en 2012, sont tombés, victimes de leurs propres méthodes de gouvernement qui ont détourné des sections importantes de la population locale – un fait négligé par certaines sections de la gauche, louant sans scrupule la gloire d’une « révolution » qui a malheureusement tourné court.

Certaines zones de résistance populaire, des réseaux souterrains de militants communautaires et les débris des comités locaux autrefois nombreux, qui avaient émergé en 2011 dans la lutte contre le régime d’Assad, continuent d’exister. Mais la nature globale du conflit a évolué en un champs de bataille dominé par les forces réactionnaires, un conflit au sein duquel les exigences originales de la révolution sont devenues de plus en plus difficiles à entendre.

Partout dans le pays, l’influence grandissante des groupes sectaires sunnites a incontestablement contraint certaines couches importantes de la population, en particulier parmi les minorités religieuses, à soutenir le régime d’Assad par crainte que quelque chose de pire le remplace. Dans l’est d’Alep, les exactions de ces milices, qui incluent des pillages et des massacres sectaires, expliquent pourquoi elles n’ont pas réussi à assurer une base de soutien populaire.

Beaucoup d’habitants, las de la répression du régime, ont découvert que la corruption et les conditions de vie dans les soi-disant «zones libérées» ne constituaient pas une alternative digne de mourir. Les morts civils résultant de bombardements effectués par les rebelles sur l’ouest d’Alep ont également aidé les forces d’Assad à obtenir une approbation du siège dans l’autre partie de la ville.

Certains commentateurs de gauche ont fait grand cas de l’Armée syrienne libre (FSA) en la présentant comme une structure complètement différente des milices religieuses. Cela reste cependant peu convaincant. La FSA n’a jamais été plus qu’un simple nom, sans commandement central, derrière lequel on trouve une myriade de factions armées disparates, dont beaucoup ont coopéré et combattu aux côtés des djihadistes. Par exemple, dans le nord de la Syrie, la FSA est composée pour la plupart de combattants islamistes de droite qui apportent une aide directe aux plans de guerre de la Turquie visant à établir une zone tampon contre les Kurdes.

Une victoire à la Pyrrhus?

Après Alep, les opérations de guerre se déplacent maintenant vers la province du nord d’Idlib, dont une grande partie est encore contrôlée par le Jabhat Fatah al Sham (anciennement dénommé front Al Nusra) et les Salafistes d’Ahrar al-Sham ainsi que par diverses autres factions armées qui se sont récemment associées à ces deux groupes. Sur la défensive après leur défaite à Alep, ces groupes ont commencé à se tourner l’un contre l’autre. Le contrôle des fiefs locaux, des fournitures d’armes et des prélèvements fiscaux est devenu primordial pour leur survie. Le camp d’Assad pourrait intensifier ses opérations militaires dans ces régions; Mais il pourrait aussi bien se contenter de regarder l’opposition se battre pour le contrôle de zones stratégiquement moins importantes de la Syrie.

Le régime syrien a en effet un intérêt à maintenir un faible niveau de présence djihadiste dans le pays comme épouvantail qui l’aide à garder le contrôle sur sa population et pour légitimer ses méthodes de répression comme une arme justifiée dans la «guerre contre la terreur « . Cette tactique explique pourquoi jusqu’à ce jour la majorité des bombes syriennes et russes sont tombées loin des zones contrôlées par l’EI. Il est intéressant de constater que le ministère russe de la Défense a récemment parlé d’Ahrar al-Sham comme d’une «opposition modérée», montrant qu’en fin de compte, la classe dirigeante russe n’a pas davantage de problème de principe pour légitimer les milices sectaires violentes que ses homologues occidentaux.

Après tout, le régime et ses partisans étrangers partagent avec les groupes armés djihadistes un intérêt commun à empêcher qu’un mouvement véritablement progressiste et populaire pour la justice sociale et les droits démocratiques ne ressurgisse. Cette vérité dérangeante pour la gauche pro-Assad, explique pourquoi le régime syrien a méthodiquement supprimé, torturé et tué de nombreux militants pacifiques et laïques au cours des dernières années, alors qu’il a libéré des centaines de jihadistes dangereux de prison en 2011 et 2012, dont certains occupent aujourd’hui des positions dirigeantes dans des groupes tels que Ahrar Al-Sham, Jaysh al-Islam et d’autres.

L’EI, pour sa part, est encore enracinée dans certaines parties des provinces du nord et de l’est de la Syrie. Au cours des dernières étapes de la bataille d’Alep, le groupe a réussi à reconquérir la ville désertée de Palmyre, quelques mois seulement après que son théâtre romain ait été le lieu d’un concert triomphal célébrant sa reprise par les forces gouvernementales syriennes grâce au soutien de l’armée russe.

Cet épisode montre que le régime d’Assad n’est pas aussi fort qu’il le prétend, et que gagner des batailles locales ne signifie pas qu’il puisse se maintenir sur le terrain regagné. Le régime est maintenant confronté à la nécessité de rétablir l’autorité de l’État sur de grandes zones où la population lui reste hostile. Ce ne sera pas une tâche facile, puisque l’armée syrienne est maintenant épuisée et diminuée par les morts et les défections – au point que même des hommes de plus de cinquante ans sont recrutés dans ses rangs, en dépit d’une limite d’âge réglementaire de 42 ans. Le régime est fragmenté en une multitude de forces locales, de cliques, et soutenu par un éventail de milices étrangères ou domestiques qui ont leurs agendas propres. Une grande partie des derniers combats a été menée par les paramilitaires chiites d’Iran et d’Irak et par le Hezbollah libanais, avec le soutien de l’aviation russe. Tous ces gens voudront leur part du butin, jetant les bases d’un pays extrêmement difficile à administrer, déchiré par des luttes intestines et par une guerre civile continue, bien que de basse intensité.

Aussi, à moins qu’un mouvement n’émerge pour reconstruire une lutte unifiée par delà les communautés, le ressentiment général contre le régime meurtrier d’Assad pourrait bien se traduire en de nouvelles effusions de sang et d’attaques terroristes dans des régions qu’il contrôle. Le désespoir et l’oppression des couches pauvres de la population sunnite, qui avait été à l’origine de la chute d’Assad, continuera à fournir aux groupes armés extrémistes un outil de recrutement pour poursuivre leurs activités.

Même parmi les gens qui soutiennent ou tolèrent le régime, le ressentiment est probablement répandu et la peur entre pour une bonne part dans leur position . Beaucoup de leurs parents sont morts alors qu’Assad, sa famille et ses amis d’affaires sont encore dans leurs palais et sont devenus encore plus riches pendant la guerre. Le pays est en ruines et le régime est également accablé par la nécessité de prévoir la survie et l’alimentation de plusieurs centaines de milliers de réfugiés internes. Cela et la reconstruction du pays nécessiteront d’énormes ressources, ce que la Russie et l’Iran seront probablement moins enclins à fournir que l’assistance militaire, à moins, bien sûr,qu’ils n’y voient des profits pour leurs entreprises respectives, un facteur qui pourrait pousser la Syrie dans une position d’état vassal de puissances étrangères. En définitive, la victoire d’Assad à Alep peut encore se révéler une victoire à la Pyrhus.

Quel avenir pour la Syrie?

Les puissances impérialistes occidentales ont été largement en marge des discussions sur l’avenir de la Syrie, leur diplomatie étant en grande partie réduite à des gesticulations symboliques. Malgré les obsessions de la gauche assadiste à propos de l’idée d’un « changement de régime » parrainé par les impérialistes, les déclarations incendiaires contre Assad ont été abandonnées il y a longtemps. Comme l’a signalé le New York Times, «les Européens, à un moment féroces adversaires de M. Assad, ont été en grande partie muet alors qu’il rayait Alep de la carte». Bien qu’une course à l’influence a sans doute fait rage pendant des années entre les impérialismes américains et russes, une intervention militaire à grande échelle pour changer le régime n’a en fait jamais été considérée comme une option réalisable par les stratèges les plus influents de l’Amérique.

Cette tendance semble renforcée par l’élection de Donald Trump, qui pousse à prioriser la lutte contre l’EI. Le secrétaire américain aux affaires étrangères, Boris Johnson, a récemment annoncé que « Bachar al-Assad devrait être autorisé à se présenter aux élections en cas de paix en Syrie ». Bien sûr, ce genre de déclarations ne doit pas être considéré comme une fin aux tensions inter-impérialistes, dont la Syrie n’est qu’un point de mire. La concurrence féroce pour les marchés et les zones stratégiques est une tendance incontournable en temps de crise capitaliste mondiale.

De plus, les positions de Trump sont marquées du sceau de l’imprévisibilité. Ses appels récents à créer des «zones de sécurité» en Syrie illustrent cela, même si cela ne pourrait pas être réalisé à moins de provoquer une guerre plus large et diviser ses propres forces armées.

L’équilibre militaire sur le terrain implique que pour l’instant, le régime d’Assad et l’impérialisme russe ont le dessus sur le champ de bataille, et que les puissances occidentales ont été forcées de s’acclimater à cette réalité. La proposition présentée par la commissaire européenne aux Affaires étrangères Federica Mogherini d’un nouveau « Plan B pour la Syrie » suit cette logique. Il implique un soutien financier de l’UE en échange d’un accord de partage du pouvoir, où les insurgés dits «modérés» seraient autorisés à rejoindre un gouvernement, certes recomposé avec l’appareil du régime despotique actuel.

De nouveaux mouvements de la classe ouvrière

Ceci montre une fois de plus l’hypocrisie totale des puissances impérialistes, pour laquelle il n’y a qu’une seule règle qui prévale: «Pas d’amis permanents ni d’ennemis; Seulement des intérêts « .

Les Kurdes, entre tous les peuples, ont appris cette leçon de la manière dure qui soit plusieurs fois dans leur histoire. À l’heure actuelle, les impérialismes russe et américain doivent compter avec le YPG / YPJ et le FDS, car ces groupes se dirigent vers la ville syrienne de Raqqa dans leur campagne contre l’EI. À ce stade, il est également clair que l’armée d’Assad n’est pas assez forte pour déclencher une nouvelle guerre d’affaiblissement contre les Kurdes. Pourtant, le rétablissement d’un équilibre de pouvoir dans la région au profit des régimes capitalistes pourraient bien être réalisé aux dépens du peuple kurde ordinaire; Soit grâce à la coercition par des moyens militaires, soit par la domestication de leurs dirigeants via les liens étroits établis entre le régime turc d’Erdogan et le gouvernement conservateur et pro-capitaliste du Kurdistan irakien. Épouser un programme qui se dresse contre l’ingérence impérialiste dans les affaires de la région sera essentiel pour le mouvement kurde afin de trouver des oreilles attentives parmi les classes ouvrières et les communautés pauvres du reste de la Syrie et de la région. De même, le droit légitime à l’autodétermination des Kurdes doit être intégré aux revendications du mouvement ouvrier et de la gauche – afin de cimenter la communauté d’intérêts qui existe entre tous les travailleurs et les pauvres, contre tous les intérêts capitalistes et impérialistes.

Les prochains mouvements pour le changement social devront s’armer des leçons de la tragédie syrienne. Un parti politique puissant, armé d’idées socialistes, visant à transférer la richesse de la région vers la propriété collective et à la réaffecter à une planification démocratique, à défendre les droits démocratiques de toutes les composantes ethniques et religieuses de la société et à tisser des liens avec le mouvement syndical de la région, aurait pu réunir les travailleurs et les pauvres dans une lutte révolutionnaire contre la dictature, le sectarisme et l’impérialisme. L’absence d’une telle alternative a permis que la lutte des masses soit détournée et écrasée par diverses forces contre-révolutionnaires.

Des milices concurrentes et des régimes capitalistes corrompus ont fait entrer la Syrie dans un processus de fragmentation avancée, impliquant des massacres sectaires, des déplacements internes massifs et des changements démographiques forcés. Dans ces conditions, il est évident que «l’ancienne Syrie» ne sera jamais reconstituée. Les résultats finaux des pourparlers de «paix» sont susceptibles d’ancrer une «libanisation» de facto du pays, les différentes forces assises autour de la table pour décider comment se partager le gâteau.

Cependant, chaque fois que les canons se sont tus, des manifestations, quoique limitées, ont réapparu dans diverses parties de la Syrie, contre le régime, contre les fondamentalistes, contre l’intervention étrangère. Même parmi les populations alaouites situées le long de la côte occidentale de la Syrie, qui constituent le principal soutien du régime d’Assad, des manifestations ont parfois été organisées, bravant la répression étatique, s’élevant contre le gouvernement à cause des hausses de prix, de la conscription forcée de leurs fils ou pour revendiquer la levée du siège sur certaines villes.

Bien que cette résilience dans des situations extrêmement défavorables ne doit pas donner lieu à du romantisme, ces exemples demeurent un signe encourageant que les rivières de sang répandues durant les six dernières années n’ont pas été en mesure de calmer la soif de changement des masses .

Dans un article intitulé «La tragédie syrienne signe la fin des révolutions arabes», le journaliste de guerre vétéran Robert Fisk écrit: «De même que l’invasion anglo-américaine catastrophique de l’Irak a mis fin aux aventures militaires occidentales au Moyen-Orient, la tragédie en Syrie garantit qu’il n’y aura plus de révolutions arabes. »C’est une grave erreur de jugement. Alors que les masses syriennes ont connu une défaite critique, la situation dans l’ensemble du Moyen-Orient entraînera inexorablement de nouveaux bouleversements révolutionnaires qui offriront de nouvelles opportunités pour changer le cours de l’histoire et guérir les plaies ouvertes de la catastrophe syrienne.

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