Etat espagnol : Pour un Podemos orienté vers la lutte et la transformation sociale

L’Assemblée Citoyenne de Podemos (son Congrès), appelée Vistalegre II, aura lieu les 10, 11 et 12 février prochains. Il y aura un avant et un après cet événement concernant l’avenir de la formation violette. Des milliers de travailleurs, de jeunes et de militants sociaux sont en attente face au conflit qui a éclaté au sein de Podemos. Les grandes entreprises et leurs partis interviennent ouvertement dans cette bataille, en la faveur de certains dirigeants. En dépit des commentaires dominants, cette crise ne représente pas qu’une lutte de « pouvoir » entre fractions. Il s’agit du reflet de pressions de classes sociales antagonistes.

Par Izquierda Revolucionaria (en savoir plus sur IR et le Comité pour une Internationale Ouvrière)

L’explosion sociale qui a donné lieu à l’émergence de Podemos

Le 15 mai 2011, la rage accumulée des années durant a soudainement émergé à la surface, conduisant à l’une des périodes les plus mouvementées de la lutte des classes dans l’Etat espagnol. Pendant une longue période se sont succédé les grèves générales, les marées citoyennes, les marches pour la dignité, les conflits dans les quartiers et dans l’enseignement, les grandes manifestations pour le droit de à l’autodétermination. Ces luttes furent des exemples de combativité et de participation démocratique qui ont remis en question l’appareil syndical et les sociaux-démocrates garants de la paix sociale. Cette rébellion gigantesque arévélé au grand jour quelle était l’indignation contre la récession économique dévastatrice, mais elle a également généré la plus grande crise de gouvernance de la soi-disant transition démocratique (le régime instauré après la fin dictature en 1978, NDT) et a représenté un saut qualitatif dans la conscience politique de toute une génération.

C’est ce contexte explosif qui a créé l’espace vital pour l’irruption de Podemos sur la scène politique, un événement qui a bouleversé la carte politique et le rapport des forces dans la gauche. Le discours du dirigeant de Podemos Pablo Iglesias – contre la caste, contre les privilégiés et leur système, en défense de la majorité travailleuse, des droits et des services sociaux – a fait appel à l’imagination et aux sentiments de millions de personnes, de la base la plus active de la gauche sociale et politique aux novices qui s’approchaient pour la première fois du militantisme. A cette époque, Podemos a connu une croissance explosive et des dizaines de milliers de personnes se sont organisées dans les cercles qui ont peuplé tous les territoires de l’Etat.

Après les résultats spectaculaires des élections européennes de mai 2014 et des élections régionales et locales de 2015, cette dynamique a vite été brisée. Au lieu de renforcer une alternative de rupture avec le système, la direction a entrepris un virage à 180 degrés et a placé tous ses espoirs dans le domaine institutionnel. La force essentielle de Podemos, issu de la capacité de mettre à genoux le régime, a été bloquée. Les conséquences négatives de cette stratégie sont évidentes au regard du bilan des prétendues « mairies du changement ». Les bonnes intentions et les belles déclarations sur la «gestion efficace» des ressources publiques se sont heurtées au mur des intérêts capitalistes et du très dense réseau des grandes entreprises qui ont accumulé des profits fabuleux grâce à la privatisation des services publics essentiels. Ce mur ne peut être rompu qu’avec une politique ferme de reprise en mains publiques afin de placer les besoins de la majorité au dessus de la logique de profit du secteur privé.

La lutte de classe reflétée au sein de Podemos

Après les élections générales du 26 juin, où Podemos a perdu un million de voix, les divisions au sein de la direction de Podemos ont éclaté jusqu’à atteindre une virulence difficile à imaginer. Certains ne voient dans cette bataille qu’une lutte pour le pouvoir. Pour une large couche d’arrivistes qui sont arrivé à Podemos pour bénéficier d’une vie tranquille et confortable, les miels de la politique parlementaire et institutionnelle sont une fin en soi qu’ils défendront bec et ongles. Mais ce conflit reflète, surtout, les pressions de la lutte des classes. On trouve d’une part des pressions provenant des capitalistes et de la droite, qui essayent de transformer Podemos en une formation social-démocrate honorable, respectueuse du système et de ses lois. D’autre part, on voit la pression de la base sociale de Podemos, des millions de personnes qui estiment que c’est avec la mobilisation que nous pourrons transformer la société et rompre avec la logique du capitalisme.

Dans cette lutte interne, Íñigo Errejón et ses partisans défendent clairement l’idéologie et la pratique social-démocrate de Podemos. Le « numéro deux » de la formation a déclaré à plusieurs reprises que l’engagement à travailler dans les « institutions » est au cœur de leur stratégie politique. Il parvient même à mettre en question le rejet de Podemos du défunt pacte entre le PSOE (la social-démocratie) et Ciudadanos (C’s, formation populiste de droite) – antécédent frustré de la grande coalition PP-PSOE-C’s qui gouverne aujourd’hui. Il s’oppose au maintien de la confluence électorale entre Izquierda Unida et Podemos, mais il a par contre montré son inclinaison à conclure un pacte avec le PSOE, dont la direction a pourtant réalisé un coup d’Etat interne destiné à faciliter l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de droite. Ses déclarations vont toujours dans le même sens, en affirmant que « nos adversaires aiment voir » en Podemos « une force formellement très radicale mais matériellement incapable de transformer les conditions de vie du peuple ». Il identifie ainsi une position de confrontation au système avec une gesticulation stérile.

Il n’est pas étonnant que cette « musique » sonne si douce aux oreilles des capitalistes et de leurs porte-paroles. Comme toujours, El País (un des principales journaux espagnols) donne le ton: « Errejón défend un Podemos beaucoup plus moderne, démocratique et ouvert, complètement différent de la confusion générée par Iglesias autour d’une stratégie de radicalisation idéologique et de mobilisation dans la rue qui dilue la force et la capacité de négociation du parti au Parlement et dans les institutions ».

Le modèle défendu par Errejón & Co a déjà été testé par le PSOE pendant les quarante dernières années. Mais, il est important de signaler que si Errejón est allé si loin, c’est principalement dû aux erreurs et hésitations de Pablo Iglesias. La vision du « changement » politique comme un simple exercice électoral dans lequel la lutte de masse avait déjà joué son rôle. Elle a également été préconisée par Iglesias. Ses déclarations publiques justifiant la capitulation de Tsipras en Grèce, sa prise de distance avec la révolution vénézuélienne en faisant écho du message de la réaction, son empressement à faire montre de « responsabilisation » pour se montrer « à la hauteur » en tant que dirigeant,… tout cela a renforcé le discours et l’audace des couches les plus modérées et à droite de Podemos dans l’actuelle crise interne. Cela explique aussi en grande partie de ce qui est survenu aux dernières élections générales.

Tout juste après avoir perdu un million de voix à ces dernières, Pablo Iglesias a déclaré que le travail parlementaire et institutionnel serait sa priorité. Mais il a vite constaté que cette approche ouvrait la porte à la droite – tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de Podemos – et offrait un tapis rouge à tous ceux qui voulaient l’affaiblir et finalement l’écarter. Au cours de ces derniers mois, Iglesias a émis des réflexions assez précises. Il a publiquement questionné si l’image de modération que Podemos avait adoptée n’était pas la cause des résultat électoraux. Il a parlé de l’erreur d’essayer d’occuper l’espace de la social-démocratie pour pas « effrayer » une couche des électeurs. Plus récemment, il a insisté sur la nécessité de retourner dans la rue et sur la nécessité d’une grève générale contre la politique antisociale du PP. « La tranversalité ne veut pas dire de ressembler à nos ennemis, mais de ressembler à la PAH (Plateforme d’Affectés par les Hypothèques) » dit-il correctement.

Le document de Pablo Iglesias pour Vistalegre II souligne: « … La construction d’un mouvement populaire n’est pas un fétiche, mais la seule voie pour avancer (…) Disposer seulement de députés, de porte-paroles et d’un bon discours connecté aux besoins de la majorité, ce n’est pas suffisant (…) Pour gagner, nous avons besoin des gens organisés, actifs et capables de se mobiliser (…) Le rôle des représentants publics ne peut pas se limiter à travailler dans les différents parlements. Sa principale fonction devrait être de représenter des « militants institutionnels » (…) Nos représentants dans les institutions ne peuvent pas devenir des politiciens, ils doivent rester des militants et accomplir leur tâche au service de l’intérêt collectif… ».

Un Podemos pour la transformation socialiste de la société

Le plus grand danger pour Podemos est de s’accommoder au système, comme l’affirme Iglesias. Pour cette raison, il est absolument nécessaire d’élaborer une ligne politique claire de même qu’un programme qui propose des mesures telles que la nationalisation des secteurs stratégiques de l’économie, qui est opposé aux coupes budgétaires et à l’austérité, qui défend la santé et l’éducation publique, le droit à un logement décent et des libertés démocratiques, y compris le droit à l’autodétermination. Faire des clins d’œil à la gauche de temps en temps ne suffit pas. Les réflexions sans aucune conséquence pratique ne suffisent pas. La seule façon de se connecter solidement aux masses, la véritable force de Podemos comme gauche transformatrice, c’est de défendre une alternative socialiste contre la crise capitaliste et de s’impliquer directement dans les luttes quotidiennes des travailleurs et des mouvements de la jeunesse.

Beaucoup des choses ont été exposées dans cette bataille. Bescansa (co-fondatrice de Podemos) a démissionné en essayant d’imposer l’image d’un « choc de trains » entre frères. Cela est dépourvu de sens mais, surtout, à qui cela profite-t-il ? En fait, ses idées et ses pratiques ne sont pas très différentes de celles d’Errejón.

D’autres courants, tels qu’Anticapitalistas, émettent des critiques qui ont du sens. Mais il y a une contradiction entre les paroles et les actes. Anticapitalistas a le contrôle de la mairie de Cádiz, celui de la direction de Podemos en Andalousie et il dispose de plusieurs députés et conseillers municipaux. Où est leur impulsion vers la mobilisation sociale? Leurs mesures concrètes au profit des classes populaires et en faveur de la désobéissance civile aux lois capitalistes ? Il est vrai qu’Anticapitalistas peut finalement faire incliner la balance vers Pablo Iglesias. Mais il est devenu évident que, pour bon nombre de ses dirigeants, la stratégie prioritaire est de gagner du terrain dans le dispositif et d’obtenir des meilleurs positions dans les listes pour députés ou conseillers, en abandonnant complètement l’idée de convertir Podemos en une gauche capable de transformer la société.

En tant que marxistes révolutionnaires, nous ne maintenons pas une position neutre dans cette bataille. Izquierda Revolucionaria soutient Pablo Iglesias face à ceux qui ont l’intention de transformer Podemos en une formation social-démocrate classique.

Nous les faisons de la seule façon cohérente: en l’appelant à défier ses adversaires sur le terrain de l’action. Pablo Iglesias devrait axer sa politique sur la mobilisation des masses contre les politiques de droite et leurs alliés dans le parlement (PSOE et C’s). Il doit promouvoir une campagne active dans toutes les entreprises, les centres d’études et les quartiers pour une grève générale pour la nationalisation de l’électricité (et finir avec la pauvreté énergétique), pour des revenus décents, pour l’augmentation drastique des pensions, pour la création d’un parc de logements publiques avec des loyers sociaux, pour l’abrogation de la LOMCE (loi de l’enseignement) et la défense de la santé publique,…

Si Pablo Iglesias part à al confrontation avec tous ceux qui défendent la paix sociale et les intérêts des élites, que feront Errejón et ses partisans ? Qu’est-ce que le PP, le PSOE ou C’s diront? Et qu’est ce que des millions de travailleurs, des jeunes, de la majorité opprimée embourbée dans la précarité et le chômage diront? La réponse est évidente.

Dans les prochains mois, le gouvernement mettra en œuvre une nouvelle série d’attaques antisociales et de coupes budgétaires. Il est difficile de déterminer à l’avance le rythme auquel se développera la riposte sociale à cette nouvelle offensive. Mais il est indéniable qu’elle se produira et qu’elle tiendra compte de l’expérience politique acquise au cours de la période précédente. Ce contexte influencera de façon décisive le futur de Podemos, tout en ouvrant la voie aux idées du marxisme révolutionnaire.

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