Ouzbékistan: Décès de Karimov, le boucher d'Andijan

L’occident cherche la « stabilité » sous la dictature brutale

karimovSi la mort d’Islam Karimov, président de l’Ouzbékistan, a été annoncée officiellement le 2 septembre, les rumeurs de sont décès courraient depuis plusieurs jours. Il semble que ce délai ait donné le temps à ses successeurs de manœuvrer pour se mettre en position de prendre sa suite. Mais c’est aussi parce qu’ils ne voulaient pas gâcher l’esprit de célébration des 25 ans de l’indépendance du pays, le 1er septembre.

Rob Jones, CIO, Moscou

Karimov s’est d’abord fait connaître dans ce qui était alors l’Union Soviétique comme un des prodiges de Michail Gorbatchev. En juin 1989, il a été nommé premier secrétaire du Parti Communiste de l’Ouzbékistan. Comme Nursultan Nazarbayev dans le Kazakhstan voisin, Karimov était vu comme un membre de la génération des « communistes de la perestroïka ». Ils ont été mis en place pour aider à dégager la vieille garde qui avait dirigé le parti pendant les longues années de stagnation. Comme Nazarbayev, Karimov avait la tâche de préparer le terrain pour l’introduction de profondes « réformes » économiques et politiques.

 En mars 1991, Karimov a fait campagne pour que l’URSS reste entière lors d’un referendum pour le sur la question du maintien de l’URSS. Selon les statistiques officielles, 84% des Ouzbeks ont voté pour garder l’URSS. Mais 6 mois plus tard, après l’échec du coup d’état de 1991, Karimov a été le premier à déclarer l’indépendance de sa république.
Ce n’était pas par conviction idéologique, mais parce qu’il y voyait une chance de préserver et de consolider son règne sur ce pays de 30 millions d’habitants. Il a interdit de parti communiste (dont il était toujours officiellement dirigeant), a remplacé le KGB (Comité pour la Sécurité de l’Etat) par le SNB (Conseil pour la Sécurité du Peuple), réprimé toute opposition politique et supprimé ses concurrents issus des différents clans régionaux. Il est devenu une sorte de tsar détenant un pouvoir illimité, pendant que le pays s’isolait du reste du monde.

Privatisation undercover 

 Même si, formellement, l’Etat gardait le monopole du commerce extérieur, Karimov a mené une politique de privatisations par lesquelles le contrôle et la propriété des éléments stratégiques passaient sous le contrôle des membres de la famille de Karimov. Les revenus des principales exportations du pays (coton, or, gaz et autres minéraux) passaient sous le contrôle de l’entourage de Karimov. L’échelle de l’enrichissement de sa famille a été révélé en 2012, quand après une dispute familiale, Karimov a fait arrêter et juger sa fille aînée, Gulnara. Une fois qu’elle a été placée en résidence surveillée, des centaines d’entreprises, de stations de télévision, de journaux et de stations de radio lui ont été confisquées.

Pendant que ces gens vivent dans un luxe inouï, la grande masse des Ouzbeks vit dans une pauvreté écrasante. Beaucoup sont forcés de quitter le pays travailler soit au Karakhstan frontalier, soit en Russie. Il y a plus d’un demi-million d’Ouzbeks qui travaillent rien qu’en Russie, la plupart du temps pour des bas salaires sans aucun droits. Plus de 10% du PIB de l’Ouzbékistan vient de l’argent que ces travailleurs renvoient chez eux. Ceux qui restent au pays n’ont aucun moyen de défendre leurs droits – toute tentative d’opposition et immédiatement écrasée par la police et le SNB.
En dehors des villes, le gouvernement de Karimov a établi un système féodal pour garder le contrôle. Chaque village a un ancien désigné, payé par l’Etat, une « barbe blanche » qui est sensé rapporter les comportements dissidents. Les organisations de défense des droits de l’Homme ont publié beaucoup de rapports sur la façon dont les dissidents sont traités. Ils y a des milliers de prisonniers politiques, dont beaucoup accusés d’extrémisme islamique, qui subissent une torture féroce, y-compris l’arrachage des ongles, les électrochocs, la suffocation avec des sacs plastiques et l’immersion dans l’eau bouillante.

Bien entendu, le règne dictatorial de Karimov ne l’a pas empêché d’entretenir de bonnes relations avec les puissances occidentales, en particulier les USA. Le désir de l’Occident de mettre la main sur le gaz et les autres ressources naturelles, et de faire le poids face aux intérêts russes, n’est qu’une partie de la raison de ces bonnes relations. Le plus important est probablement l’empressement de Karimov à permettre aux USA d’utiliser les bases aériennes du pays pour les opérations occidentales en Afghanistan. Non seulement cela, mais les USA ont aussi utiliser le pays pour des extraditions irrégulières et pour torturer des suspects. Quand l’ancien ambassadeur britannique à Tashkent, Craig Murray, a protesté contre ces pratiques, il a été déchu de son poste et a subi une campagne de chasse aux sorcières de la part du gouvernement Blair. Des groupes de défense des droits de l’Homme ont rapporté que les USA forment les officiers des forces de l’ordre ouzbeks et leur ont fourni des armes, y compris 300 véhicules blindés résistant aux mines.

Karimov a gagné en notoriété après le tristement célèbre massacre d’Andijan. Après des manifestations locales contre un maire corrompu, l’armée a été envoyé et a massacré 700 personnes, qui, selon un des commandants, étaient « torturés par la pauvreté ».

Andijan se trouve dans la vallée de la Ferghana, la région la plus peuplée d’Asie Centrale et qui compte beaucoup de groupes ethniques et de nationalités différentes. Karimov et ses appuis américaines ont rapidement accusé l’extrémisme islamique d’être responsable des manifestations et ont augmenté la répression dans toute la région. Maintenant, il est difficile de dire ce qui est apparu en premier – le fondamentalisme religieux ou l’extrême pauvreté et la répression violence qui l’alimentent. La vallée de Ferghana est reconnue comme un vivier de combattants qui rejoignent Daesh.

La mort de Karimov officiellement confirmée, l’Occident apporte de nouveau son soutien au régime. Obama a envoyé un message soulignant l’engagement des USA à « un partenariat avec l’Ouzbékistan, sa souveraineté, sa sécurité, et un futur basé sur les droits de tous ses citoyens ». Le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, a rendu hommage aux efforts de Karimov pour « développer de solides liens entre l’Ouzbékistan et les Nations Unies ainsi que pour renforcer la paix et la sécurité régionales et mondiales ».

Sous le vernis diplomatique de ces commentaires, le sentiment réel a été exprimé par un blogger en réponse au rapport du Financial Times sur la mort de Karimov. « Karimov régnait sur 31 millions de Musulmans miséreux. Sans aucun doute, c’est un terreau pour les djihadistes. Raison de plus pour lui de garder un pied sur leur nuque. »
Succession

La successsion de Karimov n’est pas encore claire. Il semble que le favori soit l’actuel Premier Ministre, Shavkat Mirziyoyev. Pour appaiser l’Ouest, il va probablement promettre de réformer et de libéraliser. Cependant, quand Gurbanguly Berdimuhamedow a succédé à l’ancien président Niyazov, au Turkmenistan voisin, il a aussi promis la libéralisation, mais au lieu de cela, il a établi une dictature et un culte de la personnalité encore plus durs que ceux de son prédécesseur. Pour consolider son règne face à l’opposition d’autre personalités claniques et membres de l’élite, le nouveau président Ouzbek va aussi devoir bientôt recourir à la répression.

L’Ouzbékistan a hérité d’une classe ouvrière industrielle forte de l’Union Soviétique. Même si celle-ci a été démembrée depuis longtemps, il y a encore plusieurs millions d’ouvriers dans le pays. Ceux-ci, en s’alliant aux travailleurs des services et de l’agriculture, sont potentiellement une force très puissante. Organisés et conscients politiquement, ces travailleurs pourraient procurer une réelle alternative à l’élite dirigeante actuelle, avec ses politiques de privatisation et de répression.

L’énorme richesse de l’Ouzbékistan et les talents de ces millions de personnes forcées de travailler à l’étranger pourraient être utilisés pour nationaliser les ressources naturelles du pays pour assurer un revenu décent à tous. En procurant des emplois, des logements, des écoles et des hopitaux dans des régions comme la vallée de Ferghana, le terreau de recrutement d’ISIS serait sappé. En renversant la bureaucratie et l’élite capitaliste, de même que le SNB répressif, des comités élus des travailleurs et des pauvres, comprenant des représentants de toutes les nationalités, pourraient reprendre la gestion de l’économie et du pays. Un tel Ouzbékistan démocratique et socialiste pourrait devenir un phare pour le reste de l’Asie Centrale.

Partager :
Imprimer :

Soutenez-nous : placez
votre message dans
notre édition de mai !

Première page de Lutte Socialiste

Votre message dans notre édition de mai