Irak: une résistance ouvrière s’organise

L’AFFRONTEMENT DANS la ville sainte de Najaf entre le nouveau gouvernement intérimaire installé par les Américains et l’Armée du Mahdi, le mouvement du chef chiite intégriste Moqtadr Al Sadr, a fini par déboucher sur un accord provisoire qui soulage le gouvernement. Mais la situation de celui-ci reste toujours aussi délicate.

Jean Peltier

Les forces d’occupation ne contrôlent que de petites enclaves fortifiées et des points de passage stratégiques. Les attaques quotidiennes contre les pipelines perturbent gravement les exportations de pétrole. La reconstruction annoncée est un fiasco: le Congrès US a voté un crédit de 18 milliards de $ pour reconstruire l’Irak mais jusqu’ici seuls 600 millions ont été débloqués et ils ont essentiellement servis à tenter d’accroître la sécurité.

La grande majorité des Irakiens veulent la fin de l’occupation américaine et n’accordent aucun crédit au nouveau premier ministre Allawi. Mais, face au pouvoir, la résistance est loin d’être homogène. Une première branche, établie dans la zone à dominante sunnite, est dirigée par d’anciens dignitaires et militaires du régime baathiste de Saddam Hussein. Une partie d’entre eux ne seraient sans doute pas opposés à chercher un accord avec Allawi. Ce qui inquiète fortement les dirigeants religieux de la majorité chiite qui craignent de se retrouver demain exclus du pouvoir comme ils l’étaient sous Saddam. Toutefois, si Moqtadr El Sadr jouit d’un grand prestige parmi la population des quartiers pauvres, il reste assez isolé parmi les responsables chiites dans sa stratégie d’affrontement ouverte avec les Américains. Mais d’autres chefs religieux pourraient basculer eux aussi dans l’opposition ouverte si Allawi tente de reconstruire un pouvoir autoritaire basé sur les sunnites.

Loin de l’attention des médias se développe pourtant depuis un an une autre résistance qui a, elle, pour objectif premier de défendre les intérêts des travailleurs, des chômeurs et des femmes. Après deux guerres et dix ans d’embargo, l’industrie tourne au ralenti, les salaires sont très bas et souvent impayés, le chômage est massif, la sécurité sociale réduite à néant.

Les autorités d’occupation n’ont rien fait pour améliorer cette situation et encore moins pour permettre aux travailleurs de s’organiser. Au contraire, elles ont commencé par durcir les lois antisyndicales instaurées en 1987 par le régime de Saddam Hussein! En septembre dernier, elles ont réduit les salaires payées aux travailleurs des services publics et supprimé les aides pour l’alimentation et le logement. Lorsqu’en octobre, elles ont tenté d’étendre ces mesures aux travailleurs du pétrole, ceux-ci ont créé un nouveau syndicat et sont partis en grève. Sous la menace de bloquer la production et de rejoindre la résistance armée, les travailleurs de la Southern Oil Company ont obtenu le retrait des mesures. Depuis lors, des grèves ont éclaté dans les ports et les stations électriques où, là aussi, les autorités ont dû faire marche arrière.

Des dizaines de syndicats indépendants se sont formés non seulement dans le sud du pays mais aussi à Bagdad et les villes du centre et même au Kurdistan et une partie s’est regroupée récemment dans une Fédération des Syndicats et des Conseils Ouvriers d’Irak. Parallèlement, d’autres mouvements se sont formés. L’Union des Chômeurs a organisé des manifestations et des occupations de bâtiments publics pour exiger le paiement d’allocations et la création d’emplois et affirme organiser plus de 100.000 chômeurs. L’Union des Familles sans Toit réclame un programme de reconstruction rapide de logements. L’Organisation pour la Liberté des Femmes lutte contre la sharia (la loi islamique qui impose notamment un statut de soumission à la femme) que les religieux appliquent brutalement dans les zones qu’ils contrôlent mais que le gouvernement veut aussi généraliser.

Toutes ces organisations, qui luttent à la fois contre l’occupation américaine et son gouvernement fantoche et pour défendre les droits des travailleurs et des femmes et refusent de s’aligner derrière les diverses milices saddamistes et intégristes, représentent le meilleur espoir pour le peuple irakien. C’est à elles que doit aller notre solidarité active.

Partager :
Imprimer :

Soutenez-nous : placez
votre message dans
notre édition de mai !

Première page de Lutte Socialiste

Votre message dans notre édition de mai