Le Décret « Mixité » entérine la ségrégation scolaire

L’administration de l’enseignement a révélé qu’il y aura 10.000 places de trop en 1ère secondaire pour l’année scolaire 2008-2009 après dépouillement de 80% des déclarations des écoles sur leur capacité d’accueil. Elle extrapole ce chiffre à 20.000 lorsque 100% des déclarations auront été dépouillées. La capacité d’accueil globale de l’enseignement secondaire en Communauté française est donc plus que suffisante pour satisfaire la demande. Pourtant, des dizaines d’écoles sont le théâtre d’une lutte acharnée entre parents pour y décrocher une place pour leur enfant. D’où vient ce paradoxe ?

par Thierry Pierret

Il ressort d’enquêtes internationales, dont l’enquête PISA qui mesure et compare les performances scolaires en Europe, que l’enseignement belge francophone est le plus discriminatoire. C’est en Belgique francophone que l’écart entre les élèves forts et faibles est le plus grand. L’origine socio-économique des élèves a un grand impact sur leurs résultats. Les taux d’échec sont bien plus élevés parmi les élèves d’origine modeste que parmi ceux de milieux aisés. Les élèves d’origine modeste en situation d’échec sont très souvent réorientés vers les sections technique et professionnelle. Or, les écoles ont une population scolaire assez homogène sur le plan de l’origine sociale. Cette ségrégation sociale se double d’une ségrégation spatiale. C’est encore plus vrai à Bruxelles où la ségrégation en quartiers aisés et pauvres est particulièrement prononcée.

L’homogénéité sociale des publics scolaires pour effet de tirer vers le bas les élèves des écoles des quartiers populaires et de tirer vers le haut les élèves des écoles des quartiers plus aisés. Les parents les mieux informés souhaitent inscrire leurs enfants dans les écoles qui affichent les plus hauts taux de réussite. De ce fait, le nombre de demandes d’inscription y excède souvent le nombre de places disponibles. Nombre de ces écoles, jalouses de leur réputation, mettaient en œuvre des stratégies plus ou moins occultes pour sélectionner les élèves sur base de leur origine sociale. Ce qui avait pour effet de renforcer l’homogénéité des populations scolaires. Le but avoué des Décrets « Inscription » et « Mixité » est de briser ce cercle vicieux en imposant aux écoles une procédure d’inscription uniforme et objective. Les inscriptions des années à l’avance ne sont désormais plus permises. La procédure d’inscription se divise en trois phases.

  • 1) La première phase (du 1er au 14 novembre) est réservée à l’inscription des élèves prioritaires comme les frères et sœurs d’un élève déjà inscrit, les enfants de professeurs ou les élèves provenant d’une école primaire qui a conclu une convention d’adossement avec l’école secondaire.
  • 2) La seconde phase (du 17 au 28 novembre) permet à tous les autres parents de demander l’inscription de leur enfant dans l’école de leur choix. Si, à la date du 28 novembre, le nombre de demandes d’inscription n’excède pas celui des places disponibles, tous les élèves sont inscrits d’office.
  • 3) Dans le cas contraire s’ouvre une troisième phase (du 1er au 14 décembre) destinée à classer les demandes d’inscription. L’année passée, le Décret « Inscription » classait les demandes d’inscription dans l’ordre chronologique. Des dizaines d’écoles avaient alors vu des centaines de parents faire la file et même camper des jours durant devant leurs portes. Ce chaos aura finalement coûté son poste à la Ministre Marie Arena. Le Décret « Mixité » de son successeur Christian Dupont est censé y remédier en remplaçant l’ordre chronologique par le tirage au sort. Il impose aussi de réserver un certain nombre de places aux élèves qui proviennent d’écoles défavorisées et aux élèves qui habitent dans la commune où est située l’école.

Un Décret « Complexité »

Le dispositif complexe du Décret « Mixité » ne fera que dissimuler le chaos derrière les portes des écoles. En effet, nombre de parents vont multiplier les demandes d’inscription dans plusieurs écoles pour être sûr de décrocher une place dans la meilleure école possible. Même s’ils obtiennent une place quelque part, ils s’abstiendront de prévenir les autres écoles dans l’espoir qu’une place se libère dans une meilleure école suite à des désistements ou à des échecs scolaires en septembre. En effet, ce n’est qu’à l’issue des examens de fin d’année en 6ème primaire qu’on aura une vision définitive du nombre de demandes d’inscription en 1ère secondaire. Le surcroît de travail administratif sera considérable pour des écoles souvent en manque de personnel.

Des voix s’élèvent déjà pour réclamer des modifications. Le Ministre Dupont envisage, pour l’année scolaire prochaine, de déplacer le processus d’inscription vers Pâques pour réduire la période qui le sépare des examens de fin d’année. La Fédération des parents de l’enseignement officiel (FAPEO), qui soutient le principe du Décret, propose de remplacer le principe du tirage au sort par un ordre de préférences qui serait établi au préalable par les parents. Si la proposition de la FAPEO constitue une amélioration sensible, elle ne résout pas le problème de fond.

Rationner ou généraliser l’accès à un enseignement de qualité ?

La procédure d’inscription aura beau être aussi objective et équitable que possible, le nombre de places disponibles dans les bonnes écoles n’augmentera pas pour autant. Les plans d’économies successifs qui se sont succédé ont diminué la qualité globale de l’enseignement et instauré une ségrégation insidieuse entre écoles. Le Décret « Mixité » (et ses éventuels avatars ultérieurs) ne fera que rationner l’accès à un enseignement de qualité s’il ne se double pas d’un plan de refinancement massif de l’enseignement. Seul un tel plan pourra éliminer les disparités entre écoles et tirer l’ensemble des élèves vers le haut. Il faut aussi un programme massif de construction de logements sociaux dans les communes aisées et dans les quartiers aisés des communes plus populaires pour mettre en place une véritable mixité sociale. Cela implique de rompre avec la « politique de mixité » actuelle qui consiste à attirer des ménages à deux revenus dans les quartiers pauvres en y construisant des logements privés subsidiés inaccessibles à la population d’origine. La hausse des prix qui en résulte chasse celle-ci dans des quartiers encore plus pauvres et renforce la ségrégation spatiale et donc, in fine, aussi la ségrégation scolaire.

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