Ikea Hognoul. Il est 9 heures du matin. Il pleut. Le grand parking est quasiment désert. Devant les portes du magasin, un piquet vert et rouge bloque l’entrée. A quelques dizaines de mètres de là, une vingtaine de travailleurs, des représentants de la direction, un huissier. Cela vous rappelle quelque chose ?
Rapport par Jean Peltier
Et bien oui, il y avait déjà eu grève chez Ikea vendredi 31 octobre. Et ce lundi, les travailleurs ont remis cela. Il faut dire qu’ils ont le chic pour bien choisir leur jour (la pluie mise à part). Vendredi 31, la veille d’un weekend férié, la perte de chiffre d’affaire pour le seul magasin d’Hognoul était estimée à 1 million d’EUR. Et comme ce lundi est la veille d’un jour férié et que pas mal de gens ont pris congé, on peut penser que le bas de laine d’Ikea va encore en prendre un coup.
Au piquet, l’accueil est toujours aussi sympathique (café, cake et même une goutte d’alcool de framboise !). La discussion s’engage rapidement. Une nouvelle grève, une semaine et demie après la première, cela veut dire que rien n’a bougé ?
«Non, les choses ont quand même avancé» nous répond avec un sourire Annick Sangiorgi, déléguée principale SETCa. «La direction a donné certaines réponses satisfaisantes. Ainsi, plus question à l’avenir d’imposer du travail de nuit sans avoir eu d’abord une concertation avec le syndicat. Par contre, sur la prime bonus, il n’y a pas d’accord. La direction nous a présenté un schéma pour le calcul de cette prime : celui-ci repose d’une part, sur le chiffre d’affaire réalisé et d’autre part, sur le montant du « transtype » (un poste chiffrant la casse de matériel, l’utilisation de matériel en stock pour les décorations,…). Suivant les résultats – plus ou moins bons – de ces deux postes, trois « scénarios » seraient possibles : bas (la prime serait de 350 EUR maximum), moyen (500 EUR maximum) ou haut (720 EUR). Il s’agit évidemment de montants brut et pour des temps plein. Nous pouvions discuter sur base de ce principe de calcul, mais nous voulions que le minimum soit fixé à 500 EUR». Un autre militant approuve avec humour «Quand tu vois d’un côté les bénéfices faits par Ikea depuis des années et que tu regardes de l’autre côté ce qui reste en net pour un gars qui travaille à temps partiel hors d’une prime annuelle brute de 500 EUR pour un temps plein, tu te dis qu’on n’exagère quand même pas. Mais, à les écouter, c’est comme si on allait les empêcher de fêter Noël s’ils devaient nous payer cette prime!»
La direction et les syndicats ont tenu – chacun de leur côté – des assemblées du personnel pendant deux jours. «Lors de nos AG, nous avons présenté l’état des négociations et les propositions de la direction» poursuit Annick. «Nous avons organisé un vote en expliquant que voter Non signifiait automatiquement refaire une journée de grève. A Hognoul, nous avons eu 73% de Non sur 228 votants. Il fallait aussi que 3 des 6 magasins votent pour la grève : il y en a eu 4! »
Pourtant la direction a multiplié les pressions sur les travailleurs, en particulier sur ceux qu’elle supposait les plus vulnérables : les temps partiels et les contrats à durée déterminée. Malgré cela, le soutien à la grève est incontestable. «C’est un vote qui est bien réfléchi. Pour beaucoup de gens, ce n’est pas évident de faire grève. D’autant plus qu’il y a plus de 2/3 de travailleurs à temps partiel et qu’une journée de grève, ça peut faire mal au portefeuille. Mais il y a des moments où il faut savoir se positionner clairement et les travailleurs l’ont fait».
Anne-Marie Dierckx, déléguée CNE, est du même avis. «A Arlon, beaucoup de travailleurs sont des frontaliers français et luxembourgeois qui ne sont pas syndiqués. Et pourtant les travailleurs ont voté la grève à 80%. A Zaventem, le blocus est complet. A Anderlecht, le résultat était un peu plus mitigé mais ils ont décidé de suivre le mouvement. Il n’y a que les magasins de Wilrijk et de Ternat qui devraient ouvrir aujourd’hui.» Pour Anne-Marie, la direction cherche à gagner du temps en appelant les travailleurs à la patience. «Elle dit qu’elle ne peut rien mettre de plus sur la table parce qu’elle veut conserver une marge pour faire face à ce qu’elle devrait concéder dans le nouvel Accord Interprofessionnel.» Une patience que n’ont pas les travailleurs qui voient tous les jours leur pouvoir d’achat rogné par la hausse des prix….
A Hognoul, la direction n’a pas fait appel à la justice contre le piquet. Elle a quand même essayé de négocier avec les syndicats l’entrée de travailleurs non-grévistes dans le magasin en échange d’une promesse de ne pas essayer d’ouvrir les portes de celui-ci au public. Une proposition fermement rejetée par les délégations syndicales. Comme le dit Philippe Dekeukelier, permament CNE, «Si on laisse entrer des non-grévistes aujourd’hui, demain il n’y aura plus moyen de faire grève. Un piquet de grève est indispensable pour empêcher la direction de faire pression sur les plus vulnérables.»
Un message ferme approuvé et applaudi par le piquet. La journée sera longue mais la détermination reste entière.