Le rattachisme a fait un carton cet été dans la presse francophone. Tout a commencé le 29 juillet quand Le Soir a titré « Un Wallon sur deux se verrait bien français ». Le Journal du Mardi a embrayé, en faisant sa couverture sur « La tentation française » tandis que Le Vif consacrait un long article intitulé « Et si la Belgique éclatait… » à analyser ce qui se passerait si les Wallons devenaient Français, de l’instauration d’un impôt sur la fortune au changement de couleur des plaques routières. Pourquoi un tel emballement ?
Le prétexte immédiat a été la publication dans Le Soir du 29 juillet des résultats d’un nouveau sondage sur la crise communautaire. Celui-ci permet de mesurer l’ampleur de l’évolution des esprits un an après les élections et le début de la crise politico-communautaire. 93% des Wallons pensent aujourd’hui que la crise est grave. Plus frappant : alors qu’un précédent sondage en janvier montrait que 16% des Wallons pensaient que la Belgique allait disparaître, ce chiffre est monté six mois plus tard à 23% tandis que le nombre d’indécis a triplé de 6 et 18%. Et surtout, ce nouveau sondage révèle qu’en cas d’éclatement du pays, 49% des Wallons seraient favorables au rattachement de leur région à la France, alors qu’ils n’étaient que 29% au début de l’année !
Evidemment toute l’hypothèse rattachiste repose sur un petit détail : c’est qu’il faut d’abord que la Belgique éclate ! On en est encore loin. Le patronat n’en veut pas, les syndicats n’en veulent pas, les partis n’en veulent pas et la grande majorité de la population n’en veut pas. Seul le Vlaams Belang est officiellement indépendantiste (mais il est en relative perte de vitesse). Tout le reste du mouvement autonomiste flamand (l’organisation patronale des PME, la N-VA, la Liste Dedecker, une partie du CD&V,…), même s’il s’est radicalisé, en reste à une perspective « confédéraliste » qui viderait l’Etat belge d’une grande partie des pouvoirs qui lui reste sans pour autant le faire disparaître.
D’autre part, la réalisation du rattachement serait tout sauf une partie de plaisir. Il faudrait négocier pour la séparation un accord sur tous les points qui n’auraient pu être résolus auparavant dans le cadre belge : comment fixer les nouvelles frontières (avec des référendums locaux ou pas), répartir la dette publique énorme de la Belgique,… Il faudrait régler la question de l’avenir de Bruxelles. Il faudrait obtenir l’accord de l’Union Européenne (qui n’aurait aucune envie que l’éclatement de la Belgique ouvre la voie à des revendications d’indépendance de la Catalogne, de l’Ecosse, du Pays Basque,…). Autre chose que des « détails » !
Le fait que l’hypothèse rattachiste prend du poids est certainement le résultat de ce qui est perçu au sud comme l’arrogance et l’agressivité des politiciens flamands. Mais il traduit aussi le fait que l’autre alternative en cas d’éclatement de la Belgique – une indépendance de la Wallonie, avec ou sans Bruxelles – n’est pas perçue comme réaliste. Beaucoup de Wallons craignent qu’une telle indépendance couplée à l’arrêt des transferts financiers fasse plonger l’économie wallonne au niveau de la Calabre ou de la Slovaquie. En ce sens, le succès naissant du rattachisme montre aussi l’échec de l’establishment wallon (y compris des « ultra-régionalistes » au sein du PS et de la FGTB) à faire naître une vraie « nation » wallonne.
Le rattachisme reste aujourd’hui une perspective marginale. Mais si la crise politique larvée continue tout au long de l’année (ce qui est prévisible) et que les élections de 2009 ne clarifient pas la situation (parce qu’elles débouchent soit sur un statu quo général, soit une radicalisation au profit de la droite dure flamingante), la négociation de la fameuse réforme de l’Etat risque de devenir encore plus difficile et certainement plus explosive. Mais ce n’est que si un chaos politique s’installait durablement que l’hypothèse de la fin de la Belgique deviendrait un peu moins… hypothétique !