Ecole d’Eté du CIO – 2008
Nous sommes dans une période clé, dans une nouvelle phase de crise économique latente. Une série de crises vont se succéder avec des effets sociaux importants. L’orientation de ces effets ainsi que la manière dont cette crise va affecter la conscience des travailleurs dépendront en grande partie de l’existence de nouveaux partis des travailleurs. Les évènements ne vont pas se développer unilatéralement, des développements auront lieu vers la gauche, mais nous assisterons aussi au développement de forces de droite.
Si la crise a bien commencé aux USA, elle a eu des répercussions rapides en Europe. Beaucoup de banques européennes ont été touchées et les espoirs que l’industrie européenne serait épargnée ont été balayés ces derniers mois. La récente chute de la production industrielle est la plus forte depuis 16 années. C’est la fin du « boom sans joie » de ces dernières années qui a signifié emploi précaire et intensification du taux d’exploitation pour les travailleurs. Malgré les dents de Sarkozy, la production industrielle s’effondre aussi en France, le chômage a doublé au Portugal au cours de la dernière période, 300.000 postes ont été supprimés en Espagne et même les pays scandinaves connaissent des problèmes, le Danemark est ainsi officiellement en récession.
Economiquement, les bourgeois sont tellement inquiets des conséquences politiques de la crise qu’ils n’osent pas encore recourir au terme de récession. Ce n’est pas la première fois que nous assistons à cela. En 1978 le président américain Jimmy Carter demandait d’utiliser le mot « banane » au lieu de celui de récession ! On est un peu dans la même situation aujourd’hui pendant que la crise a des répercussions jusqu’en Islande.
Les effets de cette crise peuvent être des banqueroutes de banques, d’entreprises, mais aussi de pays entiers. A terme, les répercussions sur la conscience de la classe ouvrière seront énormes, même si ce processus n’est pas linéaire. Différentes couches vont se réveiller à différents moments avec des réactions différentes. Mais on peut avoir une indication de ce qui va arriver avec le dernier congrès du PRC en Italie, sauvé de l’effondrement par le choc profond pour de larges couches de la classe ouvrière qu’a constitué l’arrivée au pouvoir de Berlusconi. Cela a conduit à des développements vers la gauche dans la société et la montée de la gauche du PRC exprime la montée de la haine éprouvée parmi les travailleurs. Même des représentant capitalistes ont dû faire écho à la montée de la colère contre le monde de la finance. Sarkozy a par exemple qualifié les financiers de « racailles » et les a dénoncé.
La colère basique contre les riches et les privilégiés a conduit à la défaite du Traité de Lisbonne en Irlande, une victoire de David contre Goliath qui illustre la crise d’autorité des dirigeants bourgeois européens. En Grande-Bretagne, Gordon Brown est totalement discrédité et Sarkozy lui aussi a un taux de popularité très bas, le plus faible pour un président français lors de son premier mandat. On pourrait encore parler de Zapatero en Espagne ou de Bertie Ahern en Irlande. La popularité des politiciens chute partout, il n’y a que Merkel qui garde un certain soutien. Mais cela va changer très vite sous l’impact de la crise en Allemagne. Il y a une grande volatilité politique, un gouvernement peut en quelques mois devenir très impopulaire après quelques mesures illustrant sa véritable politique.
L’arrogance des bourgeois semble sans limite. Il y a ainsi un appel à revoter en Irlande pour le Traité de Lisbonne. Ce vote a révélé l’opposition de classe contre le projet néolibéral européen. Notre organisation en Irlande, le Socialist Party, a joué un rôle significatif dans la campagne pour le NON, ce qui souligne ce que nous pouvons faire en Irlande et ce que peut faire une petite organisation dans un certain contexte. Avec de bonnes méthodes et un bon programme, même une petite organisation peut jouer un grand rôle. En Grande-Bretagne, nous n’avons pas plus d’une centaine de membres dans le syndicat PCS, mais nous jouons un rôle dirigeant pour un syndicat de 350.000 membres ! En Belgique aussi, nous avons pu très bien intervenir dans le mouvement pour le pouvoir d’achat qui se développe et nous avons réussi une petite percée dans le mouvement syndical. Cela illustre la force de nos idées et de nos méthodes.
Cette crise n’est pas seulement économique et sociale, mais aussi politique. Après la chute du mur, les capitalistes européens ont espéré pouvoir se réorganiser afin de faire face à la concurrence. Nous avions déclaré à ce moment là qu’il s’agissait d’une utopie en raison des disparités entre les différents capitalismes nationaux. Si l’euro fête maintenant ses dix ans, on ne sait pas s’il arrivera à fêter ses 20 ans car, la crise s’approfondissant, cela risque notamment de pousser l’Italie à sortir de l’euro, qui avait précédemment habituellement recourt à la dévaluation de sa monnaie pour doper les exportations.
Nous allons vers une crise profonde et généralisée de l’économie européenne. Il ne s’agit pas d’une répétition de 1929, mais pour des millions de travailleurs, ce sera ressenti comme tel (des salaires qui ne permettent pas de tenir le coup tout le mois, des emprunts qui servent de plus en plus à satisfaire des besoins de base,…) L’idée que les enfants d’aujourd’hui vivront plus mal que leurs parents conduit à une colère latente de la population. Cette crise va aussi accroître la concurrence entre les pays capitalistes. Quand une contraction du marché arrive, les capitalises luttent avec acharnement entre eux avec des risques de guerre. Mais une intensification de la lutte des classe prend également place.
En France, la reine Marie Antoinette avait jadis déclaré face aux revendications populaires que si le peuple n’avait pas de pain, il devait manger de la brioche. Cette arrogance est présente aujourd’hui aussi et peut conduire aux mêmes effets. Plusieurs pays ont connu des explosions de colère face à l’augmentation des prix de l’énergie (en Espagne, en Grande-Bretagne,…).
Il est important, dans un tel contexte, de réagir avec rapidité et de mettre en avant des revendications immédiates et transitoires (comme la question des (re)nationalisations) et, lorsqu’on le peut, de prendre des initiatives organisationnelles sur l’énergie, comme nous l’avons déjà fait sur la Poll Tax (en Grande-Bretagne) et sur les Water Charges (en Irlande).
Des attaques massives sont en vue, comme en Allemagne où des licenciements massifs ont été annoncés chez Siemens. L’important est de savoir analyser correctement la situation et en tirer des conclusions. Nous devons nous pencher non seulement sur l’expérience de la Russie en 1917, mais aussi sur le cas de l’Allemagne en 1918-1923.
Les attaques de Sarkozy contre les 35 heures n’auraient jamais pu réussir sans collaboration passive des partis de gauche et des syndicats. Cependant, malgré la trahison des directions syndicales, les travailleurs français vont tout de même résister. Il y aura des réactions. En Belgique, nous avons eu la vague de grève spontanée la plus importante depuis les années ’70, ce qui a forcé les directions syndicales à organiser une semaine d’action à laquelle entre 80.000 et 100.000 personnes ont participé. La question nationale est un facteur compliquant, même si la Belgique n’est pas proche d’une scission. Toutefois, cela peut devenir une réalité plus tard et cette ombre pèsera sur plusieurs pays avec l’approfondissement de la crise.
L’Italie connaît sans doute la situation économique la plus grave. Les dirigeants européens craignent que Berlusconi réveille la classe ouvrière, mais espèrent qu’il va réussir à la mettre au pas. L’Italie connaît la situation la plus difficile pour l’instant, aucun espace n’existe pour un compromis social et de grandes attaques sont en vue, notamment contre les sans-papiers. Les bourgeois tentent désespérément de trouver des boucs émissaires, ce qu’illustre la campagne contre les gitans à Rome.
Nous avons toujours affirmé que, au vu de l’évolution des ex partis ouvriers, si la classe ouvrière ne remplissait pas le vide politique, l’extrême-droite allait occuper l’espace et faire une percée. Cette remontée de l’extrême-droite a eu lieu en Autriche, en Belgique et aussi en Grande-Bretagne, où le BNP a obtenu un parlementaire. Renvoyer les immigrés dans leur pays d’origine est un mythe. Aucune possibilité n’existe de réabsorber ces immigrés dans leur pays, notamment en Europe de l’Est. Mais si le retour est impossible, l’intégration est en recul et nous assistons même aux tous petits débuts de bidonvilles aux abords de villes d’Italie, d’Espagne ou de Grèce.
Ces couches de travailleurs immigrés sont de nouvelles possibilités pour notre travail. A titre d’exemple, les travailleurs d’Europe de l’Est en Grande-Bretagne montraient avant une hostilité par rapport à notre journal et à l’idée du socialisme, mais l’accueil est bien meilleur aujourd’hui.
La Grèce a connu 3 grèves générales. Si ce n’est pas une situation pré-révolutionnaire qui se développe actuellement, des éléments pré-révolutionnaires prennent toutefois place, et on voit resurgir les vieilles traditions révolutionnaires de la classe ouvrière grecque. Nos camarades font un travail excellent et viennent de rejoindre la formation Syriza, qui est en plein développement.
Cette question des nouveaux partis des travailleurs est une question cruciale dans la discussion d’aujourd’hui. Le pronostic du Comité pour une Internationale Ouvrière a été vérifié : suite à la chute de l’URSS, au recul de la conscience et à la bourgeoisification de la social-démocratie, la classe ouvrière devra passer par la reconstruction de partis larges. Il y a là un parallèle à faire avec la situation qu’a connu Marx après la disparition du chartisme (le 1er mouvement ouvrier organisé de la classe ouvrière de Grande-Bretagne). Il avait alors déclaré : «Nous représentons le futur du mouvement dans le mouvement présent.»
Ces nouveaux partis des travailleurs ne sont pas la panacée, mais ils permettent le débat dans la classe ouvrière. Les formations larges ont pour l’instant la faiblesse d’être avant tout des coalitions électorales et leurs directions ne cherchent pas à construire la formation dans le mouvement ouvrier. A nous d’intervenir dans ce processus pour le faire évoluer. Même dans le cas du PSoL au Brésil, pourtant fondé essentiellement par des groupes trotskistes, il y a eu dès le départ une opposition entre les électoralistes et nos camarades. Le PSoL constitue une masse gigantesque d’expérience. Cela a été un grand apprentissage sur la manière de parler aux jeunes et aux travailleurs le langage qu’ils comprennent afin de défendre nos idées et le socialisme.
Très vite arrive dans les nouvelles formations le débat sur les coalitions avec des forces bourgeoises. Nous sommes contre, mais on est loin d’avoir fait le tour de la question en disant cela. La question centrale est l’unité de la classe ouvrière et se pose alors la question de gouvernement de gauche. En Italie, le PRC a participé au gouvernement de Prodi et en Grèce le Pasok veut entraîner Syriza au gouvernement. Nous sommes contre les coalitions avec les partis bourgeois, mais pour les coalitions avec les partis ouvriers y compris, sous certaines conditions, à participation marxiste.
Dans les années ’30, Mao a été confronté à une forte pression pour aller en coalition avec le kuomintang et il a répondu en posant des conditions qu’il ne pouvait pas accepter, c’est-à-dire en revendiquant que le gouvernement allait procéder à l’expropriation des propriétaires terriens et à la redistribution des terres. Dans ce cas, il s’agissait pour Mao d’obliger le parti nationaliste à refuser de collaborer avec le Parti Communiste. Mais des exemples de participation existent, notamment en Allemagne au début des années ’20.
En Italie, le PRC a été sauvé lors de son dernier congrès en tant que formation des travailleurs. Malgré une hétérogénéité très forte, cela a représenté une victoire. Le congrès a décidé de garder le symbole de la faucille et du marteau ainsi que de continuer en tant que formation indépendante. Il ne reste aujourd’hui que les braises du grand PRC, mais elles pourraient très vite être réactivées par un mouvement social. La question vitale est de comment construire un courant de gauche pour relancer le PRC. Il faut y développer une véritable force trotskiste. Les mandelistes ne l’ont pas fait et ont sombré dans l’opportunisme (en faisant alliance avec Bertinotti, le dirigeant de l’aile droite du PRC), ce qui a nourrit des positions ultra-gauches à l’opposé (Progetto Comunista). Mais il reste des groupes qui ont gardé une orientation correcte, comme Contra Corrente. Nos camarades du CIO en Italie de Lotta vont essayer de construire notre courant tout en développant la gauche la plus large possible au sein du PRC.
En Allemagne se sont déroulés des développements cruciaux pour notre Internationale. A Berlin, nous sommes intervenus dans le WASG, puis dans le BASG à cause de l’existence du gouvernement SPD/PDS menant une politique néolibérale. Die Linke, la fusion entre le PDS et le WASG, a rapidement pris de l’ampleur, ce qui a conduit à une chute des sociaux-démocrates du SPD et à une crise en son sein avec la montée d’une opposition interne. Jusqu’à présent, nos camarades travaillaient ne fonctionnaient pas au sein de Die Linke à Berlin, où nous étions dans le BASG. Cette tactique est aujourd’hui révolue car il y a le danger de passer à côté de batailles importantes dans DL. Mais le travail que nous avons fourni à l’intérieur du WASG et du BASG nous a permis d’obtenir une reconnaissance nationale. Les camarades doivent unifier leur tactique pour ne plus intervenir que dans Die Linke, en se concentrant sur la jeunesse et SOLID, la nouvelle organisation de jeunes de Die Linke. Mais la simple bannière de Siriza ou de DL ne suffit pas à impliquer des jeunes au delà du soutien passif. Il faut les encourager à passer à la construction de ces organisations.
En Grande-Bretagne, Gordon Brown continue d’attaquer les travailleurs et de maintenir des lois qui datent de la période de Thatcher. Il avait été un peu mis sous pression pour retirer certaines réglementations antisyndicales mais a refusé, de la même manière que les libéraux du début du 20e siècle avaient repris les politiques des conservateurs de la fin du 19e. Nous mettons quant à nous pression sur les dirigeants syndicaux de gauche (du syndicat RMT ou encore du PCS) pour qu’ils prennent l’initiative d’un appel pour un nouveau parti des travailleurs. Cela ne sert à rien de lancer une nouvelle formation si le terrain n’est pas suffisamment bien préparé. En Irlande, par exemple, le Socialist Workers Party a lancé un appel pour un nouveau parti des travailleurs dans le but d’utiliser le prestige de notre camarade Joe Higgins. Mais un bloc avec le SWP est une impasse.
En Grèce, nos camarades ont pris le temps d’analyser la situation pour rejoindre Syrisa et en Ecosse, à cause de la débâcle du SSP, nos camarades ont eu la bonne attitude de sauver les meubles avec Solidarity. De nouvelles possibilités s’ouvrent aujourd’hui en Ecosse qui ne sont pas sans similitudes avec le PRC en Italie. En Belgique, le CAP a fait son temps et nos camarades se recentrent sur le développement du MAS/LSP tandis que le PTB marche en direction du SP des Pays-Bas. Mais la question d’un nouveau parti des travailleurs reviendra sur l’agenda politique.
La France est un pays clé en Europe, longtemps vu comme un baromètre de ce qui se passe au niveau européen. L’initiative de la LCR pour un nouveau parti anticapitaliste, après beaucoup d’hésitations, est importante. Il y a là une base qui peut éventuellement aboutir à un semi parti de masse, notamment sur base de la popularité d’Olivier Besancenot. Avec de l’audace, il y a l’occasion de ne pas faire que rassembler des forces de gauche, mais d’aller dans le sens d’une véritable force capable de gagner des milliers de personnes. Mais la LCR craint de ne pas pouvoir garder les choses sous contrôle, ce qui conduit à des hésitations. Selon nous, même si c’est pour devenir une minorité de la nouvelle formation, le jeu en vaut la chandelle. La direction de la LCR ne veut pas autoriser l’expression de courants et les journaux, ce qui est à droite du PRC et du PSoL sur cette question. Après la chute du stalinisme, appliquer de telle méthodes est impossible.
Toutes les sections du CIO vont passer par des expérience similaires. Les développements peuvent se produire très vite. Il y a là un parallèle historique avec l’Allemagne de l’après 14-18, quand l’USPD est devenu un parti de masse pour former ensuite le KPD. Mais nous ne sommes pas dans une période de révolution et de contre-révolution, le processus est plus étalé aujourd’hui et il est possible de travailler de façon plus posée. Même si des directions de nouvelles formations imposent des coalitions, nous ne quitterons pas nécessairement de suite celles-ci. La question clé sera la réaction des travailleurs.
Le capitalisme est en crise, ce qui n’est pas encore perçu par la majorité de la classe ouvrière, mais de plus en plus de jeunes et de travailleurs le comprennent. Mais ce système d’exploitation n’ira pas se jeter tout seul dans les poubelles de l’histoire. Le développement d’une base marxiste fait une différence essentielle dans des partis souvent flous. C’est une des leçons de Rosa Luxembourg, l’un des 5 grands marxistes avec Marx, Engels, Lénine et Trotsky. Mais elle a commis des erreurs dans la construction des forces marxistes dans le SPD, l’opposition à la bureaucratie était présente dans ses idées, mais elle avait une approche semi-spontanéiste. Nous devons apprendre de Rosa Luxembourg, mais aussi améliorer ce qui a été fait par le passé.
L’avenir nous promet de grandes opportunités. C’est une nouvelle phase qu’il nous faut aborder avec confiance. Le 21e siècle n’est pas seulement celui du socialisme, mais aussi celui du marxisme et du trotskisme. Au sein du CIO, c’est cet avenir que nous préparons.