La première page du Télémoustique de cette semaine (21-27 juin) est sans équivoque: "La Belgique est dans la rue – Déjà 3 millions de pauvres – MAIS OU VA-T-ON? – Témoignage d’un pays qui souffre." Un article de 7 pages qui vient admirablement compléter le dossier du même magazine de la semaine dernière sur la grande fraude fiscale. On aimerait que d’autres médias pourtant réputés plus sérieux aient autant les yeux en face des trous…
Le premier paragraphe donne le ton : "Alors que ses dirigeants sont englués dans la panade communautaire, la Belgique d’en bas n’en peut plus. L’escalade de la vie fait grimper la pauvreté en flèche. Y compris chez ceux qui travaillent…"
Ici, on est loin des études qui relayent la propagande patronale et selon lesquelles nous n’aurions pas à nous plaindre. Pensons à celle de Mr Philippe Defeyt – ancien secrétaire fédéral d’ECOLO et actuel président du CPAS de Namur (!) – qui argumente, sur base du fait que nous travaillons autant de minutes aujourd’hui qu’en 1983 pour acheter quelque chose, que rien n’a changé et que le mouvement pour plus de pouvoir d’achat est avant tout un mouvement d’humeur. Sans revenir sur toutes les critiques que nous avons déjà mises en avant dans différents articles, rappelons que la production a, elle, terriblement augmenté (dans quelles poches s’est engouffrée toute cette richesse que nous produisons en plus ?). Rappelons aussi que le nombre de pensionnés et de pauvres (officiels comme non-officiels) a lui aussi, terriblement augmenté.
Et c’est avec ce constat que commence le dossier du Télémoustique. Il y a en Belgique 1.470.000 pauvres selon les statistiques officielles, soit un septième de la population. "Mais ce chiffre, déjà insupportable, est calculé sur la base d’un seuil de pauvreté qu’on peut franchement qualifier de complètement ridicule : est considéré comme pauvre l’isolé qui dispose d’un revenu inférieur à 860 euros par mois ou le ménage avec deux enfants (!) qui gagne moins de 1.805 euros net par mois. Qui peut vivre avec de telles sommes aujourd’hui ? Les statistiques sont complètement dépassées par la réalité." Le journaliste, Vincent Peiffer, poursuit en faisant remarquer que les données disponibles sont, en plus, datées de 2006, soit avant la flambée actuelle des prix…
Selon la plupart des spécialistes interrogés pour l’article, tout isolé ou ménage qui n’a pas réussi à joindre les deux bouts, à fournir le strict nécessaire à ses enfants et à lui-même, est considéré comme pauvre. Sur cette base, la pauvreté a explosé en Belgique. Déjà confrontée à la hausse des coûts du logement, la population est depuis une année sous les coups des augmentations des prix de l’énergie et de l’alimentation. "Tous nos interlocuteurs sont d’accord : on peut estimer que la Belgique compte aujourd’hui… 3 millions de pauvres. Sans risquer de se tromper."
Une situation destinée à évoluer… dans le mauvais sens !
Il faut encore rajouter ceux qui s’en sortent à peine et pour qui la pauvreté n’est pas bien loin. "Ceux-là basculeront dans la pauvreté au moindre accroc (maladie, accident) et si le coût de la vie (logement, énergie, alimentation) continue de s’envoler. Et plus tard, puisque l’épargne leur est déjà impossible, beaucoup ne pourront compter que sur leur pension légale et rejoindront les rangs déjà bien serrés des «retraités pauvres»." Précisons juste qu’une récente étude de l’Université d’Anvers pointe une montée aigüe de la pauvreté parmi les pensionnés. D’ici 2016, 40% des plus de 75 ans seront sous le seuil officiel de pauvreté si la politique actuelle est maintenue… Pour l’instant, environ un quart des pensionnés sont officiellement pauvres.
Vincent Peiffer aborde après le cas des "working poors" (voir notre article à ce sujet). "Avoir un emploi n’immunise plus contre la précarité. Depuis quelques mois, de plus en plus de travailleurs pauvres font appel aux CPAS et aux maisons sociales." Histoire d’illustrer ce phénomène neuf, Télémoustique donne la parole à Fabienne Perot, coordinatrice du Centre liégeois de service social : "Récemment, une dame en procédure de divorce est venue nous trouver. Elle travaille à temps plein et gagne 1.250 euros net. Quand elle a payé son loyer, la nourriture, quelques vêtements, les dépenses médicales et un abonnement de transport pour aller travailler, il ne lui reste presque plus rien! Or, sa séparation implique des frais. Elle ne peut donc pas payer les provisions de chauffage et d’électricité. Son fournisseur va lui mettre un compteur à consommation minimale. Ce qui, vu l’état de santé de sa fille, est inenvisageable. Même si sa fille n’était pas malade, elle ne s’en sortirait pas. Elle n’a pas de vacances, pas de loisirs, aucune dépense de plaisir alors que cette dame travaille à temps plein! Et 1.250 euros, c’est un salaire très courant!" Que rajouter de plus ? Plus de pouvoir d’achat par plus de salaire et une hausse des allocations…
L’eau deux fois plus chère en 2008 par rapport à 2000…
Et un endettement endémique
Une étude du groupe Sud-Presse est ensuite relayée. Cette étude a comparé l’augmentation des prix de l’énergie et de l’eau pour deux familles types belges entre 2000 et 2008, à consommation égale. Les dépenses en eau ont ainsi doublé et le chauffage au mazout coûte trois fois plus cher. L’électricité coûte 70% plus cher qu’en 2000 et le gaz 110% plus cher…
Pour Fabienne Perot : "Ce qui est tout à fait nouveau depuis une petite année, c’est que le CPAS est sollicité par des personnes qui travaillent mais n’arrivent plus à assumer leurs factures de gaz et d’électricité. Avant, nous n’avions que des gens défavorisés. Et là, il y a une grosse affluence de travailleurs qui demandent une aide alimentaire pour pouvoir payer leur énergie. Ce sont des familles monoparentales avec un salaire régulier ou même des ménages à deux revenus, mais modestes. Ceux-là non plus ne s’en sortent plus. Nous accordons l’aide alimentaire quand la personne dispose de moins de 7 euros par jour pour s’alimenter. Quantité de personnes qui travaillent n’ont même plus 7 euros par jour pour s’alimenter…"
L’article révèle ensuite que près de 340.000 Belges étaient considérés comme endettés en 2007, uniquement pour les crédits à la consommation et les emprunts hypothécaires, sans compter les dettes de soins de santé, d’énergie et les arriérés de consommation. "Fin 2007, 491.000 contrats de crédits défaillants étaient répertoriés auprès de la Banque nationale de Belgique. Et c’était avant la grosse flambée des prix de la consommation… Les spécialistes craignent un surendettement qui toucherait 600.000 à 700.000 Belges fin 2008."
Cet article est encadré de différents autres, plus petits, qui abordent l’arrivée de l’aide sociale même dans des régions riches, la situation des parents isolés, les loisirs, le logement,… Impossible ici de tout reprendre sans continuer à recopier l’intégralité du dossier, ce que nous avons déjà largement fait ici.
La conclusion vaut cependant son pesant d’or : "La grogne se transforme petit à petit en sentiment d’écœurement. Sentiment attisé par l’apathie de décideurs embourbés dans la bisbille institutionnelle. Attisé aussi par les salaires indécents de certains patrons, les bénéfices pharaoniques de certaines banques ou entreprises, souvent les mêmes qui vendent leurs "services" et leurs produits beaucoup plus cher en Belgique qu’ailleurs en Europe. Quelque chose ne tourne plus rond. «Quand les gens qui travaillent commencent à ne plus pouvoir nourrir leurs enfants» prévient cette dame active depuis quinze ans dans un CPAS, «il faut craindre la révolte. On dit que le combat communautaire n’a jamais fait de morts, en Belgique. Il va en faire si ça continue. Indirectement.»"
Ne vous contentez pas d’être en colère, luttez !
Le constat tiré dans ce dossier est on ne peut plus correct. Il fait froid dans le dos. La question est de voir maintenant comme inverser la vapeur, comment récupérer la richesse produite à la sueur de notre front accaparée par les patrons, les banques et les actionnaires.
La semaine d’action syndicale pour le pouvoir d’achat s’est terminée il y a maintenant un peu plus d’une semaine. Plus de 80.000 personnes ont défilé dans les rues du pays, beaucoup plus qu’initialement attendu, avec une forte présence de jeunes militants syndicaux et de femmes. Cette semaine était à peine terminée que, ce lundi, le personnel communal er régionnal de Bruxelles défilait avec plus de 2.000 manifestants, toujours sur la question du pouvoir d’achat. Continuons sur cette lancée !
Yves Leterme a dit qu’il nous "comprend", mais qu’il a des problèmes plus urgents, comme Bruxelles-Hal-Vilvorde. Selon lui, il n’y a pas d’argent. Assez toutefois que pour accorder la déduction des intérêts notionnels : un cadeau de 3,5 milliards d’euros (selon les derniers chiffres cités) au patronat. S’il ne dépendait que des libéraux, cette somme serait encore augmentée. Si rien ne change, beaucoup de travailleurs sont sur la voie d’un hiver froid qu’ils subiront en ayant faim. La résistance de façade du PS à la logique de profit (PS qui a approuvé la chasse aux chômeurs, qui a voté le Pacte des Générations, qui a voté la déduction des intérêts notionnels, qui est directement responsable de la privatisation de Belgacom, des attaques dans l’enseignement,… et bien plus encore!) ne changera pas grand-chose.
Une journée d’action nationale avec un mot d’ordre de grève nous permettrait de lutter tous ensembles: jeunes et moins jeunes, travailleurs et étudiants, hommes et femmes, Belges et immigrés. Cela clarifierait une bonne fois pour toute que la majorité de la population veut d’urgence des mesures pour plus de pouvoir d’achat. Que les partis établis essayent de mettre 80.000 personnes dans la rue pour BHV!
Nous ne disposons malheureusement pas de notre propre prolongement politique. Comme aux temps du mouvement contre le Plan Global ou contre le Pacte des Génération, les revendications syndicales n’arrivent pas sur le terrain politique ce qui permet au gouvernement de simplement attendre que l’orage passe. Un parti de type "syndical" serait un outil important pour éviter que les partis traditionnels puissent continuer leurs jeux en occupant seuls la scène politique.
Le MAS défend l’idée d’une journée d’action nationale après l’été avec un mot d’ordre de grève pour défendre entre autres une augmentation salarial fondamentale (au moins 1 euro de plus par heure en plus de l’index rétabli). Nous voulons sur le même temps poursuivre la discussion sur la nécessité d’une formation politique propre aux travailleurs et aux allocataires.
- Evaluation de la semaine d’action sur le pouvoir d’achat.
- Rubrique "Pouvoir d’achat".
- Tous les rapports et reportages photo de la semaine d’action pour le pouvoir d’achat du 9 au 12 juin.
Le MAS propose de considérer les revendications suivantes :
- Plus de pouvoir d’achat par plus de salaire et des allocations liées au bien-être, pour que nous ne payons pas nous-mêmes nos augmentations comme avec des réductions de taxes : 1€ de plus par heure
- Un index qui reflète réellement le coût de la vie, pas d’accords all-in
- Abolition de la norme salariale, des accords interprofessionnels comme dans le passé, avec un seuil salarial et non un plafond (un minimum qui revient à tous, pour que les secteurs faibles puissent en bénéficier également)
- Pour les collègues qui tombent hors de l’AIP: casser tout les accords salariaux de plus de 2 ans, tel que l’accord 2005-2010 dans le non-marchand
- Une suppression de la TVA sur les produits de première nécessité
- Un plan massif de construction de logements sociaux publics
Pour financer cela :
- Une forte répression de la grande fraude fiscale
- Un impôt sur les grandes fortunes
Ces dernières mois, nous avons pu constater à quel point il est désastreux de laisser des secteurs-clés tels que l’énergie et les banques à l’avidité du secteur privé. Quand des grandes banques se trouvent en difficulté, l’Etat peut alors soudainement intervenir. Pour nous, le contrôle de tels secteurs revient à la collectivité. Nous plaidons donc pour leur nationalisation sous le contrôle démocratique du mouvement ouvrier et de toute la collectivité.