Jeremy Corbyn: quel type de parti pour les travailleurs et la jeunesse?

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Le Parti travailliste britannique est le champ de bataille d’un combat acharné entre la gauche et la droite. Le résultat de cette épreuve de force est très attendu en Europe et au-delà. Jeremy Corbyn, le président de gauche du parti, parviendra-t-il à retirer le Labour des griffes de l’appareil bureaucratique pro-austérité du parti ? Pourrait-il développer un nouveau modèle de parti des travailleurs contrôlé par la base ?

Par Peter Delsing

La droite du Labour a déclenché une procédure de réélection pour la présidence et, en dépit de la manœuvre qui a fait grimper les cotisations des membres à 25£, au moins 183.000 personnes ont à nouveau adhéré. Aucun parti – de gauche ou de droite – ne peut se vanter d’avoir connu un tel afflux en Europe ces dernières années. Les meetings de Jeremy Corbyn bénéficient partout d’une présence massive. A Liverpool, plus de 10.000 personnes se sont retrouvées dans les rues.

Corbyn essayera-t-il de maintenir une nuisible ‘‘unité’’ avec ses opposants néolibéraux ? L’appareil bureaucratique du Labour – soutenu par les médias – pourrait réussir à l’éjecter à un certain stade. Soit maintenant, au cours des nouvelles élections pour la présidence du parti où lui fait face Owen Smith, soit plus tard.

Une revanche de l’Histoire

Depuis le milieu des années ’70, le capitalisme est en crise latente. La période post-stalinienne ouverte après 1989 a conduit la social-démocratie encore plus loin des idées du socialisme. Ses dirigeants ont ouvertement adopté le ‘‘libre marché’’, la privatisation et les coupe antisociales dans les salaires, les allocations sociales et les pensions. Cette absence de ‘‘boussole de classe’’ claire, a ouvert la voie à la croissance du populisme de droite et parfois même de l’extrême droite.

C’est surtout depuis que la crise de 2008 a éclaté que de nouveaux courants de gauche ont fait une percée. En Grèce il y eut l’émergence et la chute de SYRIZA, le développement de Podemos en Espagne et, bien sûr, l’impressionnant mouvement autour de Bernie Sanders. Ces développements politiques se sont construits sur l’essor des conflits sociaux: les Indignés, les occupations de place, le mouvement Occupy aux Etats-Unis,… La lutte contre l’élite capitaliste et leur exploitation pousse inévitablement à la recherche d’une issue, pas toujours sans ambiguïté, comme ce fut le cas avec le référendum sur le Brexit qui est essentiellement une révolte de la classe des travailleurs contre l’establishment et son projet européen.

Il est temps de choisir: un tournant à gauche ou foncer vers le précipice avec la droite?

Le challenger de Corbyn, Owen Smith, essaye naturellement de se profiler à gauche au vu du contexte actuel, mais il se veut le garant d’un Labour inoffensif pour la classe dirigeante et les carriéristes. Peut-être Corbyn parviendra-t-il à nouveau à remporter les élections. 234 des 275 réunions locales du Parti qui se sont tenues en août pour désigner leur candidat ont choisi Corbyn.

Dès le début, la droite a organisé une offensive pour saboter sa présidence, parfois concernant des choses insignifiantes. Portait-il une cravate? A-t-il chanté l’hymne national britannique ? N’a-t-il pas montré bien peu d’enthousiasme pour l’Union européenne néolibérale ? La droite a essayé d’exclure de nombreux nouveaux membres, puis a considérablement augmenté le montant de leurs cotisations. Des dizaines de milliers de personnes ont été exclues pour avoir affiché sur les médias sociaux leurs critiques de l’aile droite du Labour. Il a même été interdit aux réunions locales du parti de se réunir et de discuter de la situation actuelle, sauf pour désigner leur candidat à la présidence.

Malheureusement, Corbyn s’est initialement montré trop conciliant envers l’aile droite. Il a changé de position pour soutenir l’Union européenne. Il s’est prononcé contre la révocation des députés s’ils ne reflétaient pas l’opinion de la majorité démocratique du parti ou s’ils participaient à la politique d’austérité. Il a également refusé que le Labour s’oppose à l’austérité à l’échelle communale et défende des budgets publics visant à mobiliser la rue pour exiger davantage de moyens du gouvernement et des plus riches.

Malgré cela, son programme de renationalisation des chemins de fer, en faveur d’un salaire minimum et en défense des droits syndicaux trouve un écho. Cette guerre civile politique entre deux ailes représentant des intérêts de classe irréconciliables ne peut pas tout simplement être reléguée au frigo. Le groupe autour de Jeremy Corbyn s’est jusqu’ici limité à des perspectives purement électoralistes en essayant de temporiser les choses jusqu’à une victoire électorale en 2020 qui changerait tout. Cette perspective n’est pas réaliste.

Un instrument démocratique pour la classe des travailleurs

Ce que le capital et la bureaucratie travailliste craignent par-dessus tout, c’est la victoire électorale d’un Labour fondamentalement renouvelé par l’implication de la classe des travailleurs et qui aurait absorbé leur défense jusqu’en son cœur. Ils tremblent face à la perspective d’un Labour radicalisé dans une situation déjà rendue périlleuse suite au vote sur le Brexit.

Selon le parti frère du PSL, le Socialist Party, l’enthousiasme basé sur le programme Corbyns doit être libéré des entraves bureaucratiques du parti. Il faudrait refonder le Labour en organisant une grande conférence destinée à rassembler tous ceux, du Labour ou non, mouvements ou individus, qui veulent s’opposer au néolibéralisme. Un tel parti fonctionnerait mieux de manière fédérative (au lieu d’être fortement centralisé), ouverte et inclusive, en assurant la prépondérance de sa base de masse active dans la prise des décisions politiques et organisationnelles centrales. Le Socialist Party participerait avec enthousiasme à un tel projet démocratique. L’expérience de la social-démocrate, des bureaucraties staliniennes du passé, de nombreux dirigeants syndicaux et de leurs approches hiérarchiques et exclusive ne fonctionnerait pas et ne serait pas acceptée par les militants du parti ou syndicaux.

Cela conduirait à une scission? Oui. Mais quelle situation serait la plus favorable aux travailleurs ? Un parti dont les centaines de députés votent pour l’austérité et la guerre? Ou un nouveau parti avec quelques dizaines de membres au Parlement mais qui, avec un programme vraiment à gauche et un passé sans tâche, pourrait certainement réaliser une percée impressionnante ? Si ce parti s’implique dans les luttes syndicales, les campagnes de quartiers,… il pourra rapidement devenir un parti de millions de travailleurs et de jeunes. Un tel parti de masse serait un gigantesque laboratoire d’idées et de lutte pour une société socialiste démocratique.

Le spectre du trotskysme dans les médias capitalistes

Le parti frère du PSL, le Socialist Party, a été touché par la campagne de diffamation des médias de masse contre Jeremy Corbyn. Des figures de droite du parti travailliste ont, avec le soutien des journaux et de la télévision, tenté de démontrer l’existence d’une ‘‘infiltration trotskyste’’. Ils espéraient que Corbyn allait en pâtir par association d’idées.

Mais contrairement aux affirmations de l’aile droite, les méthodes du Socialist Party (ex-Militant) ne reposent pas et n’ont jamais reposé sur l’intimidation ou les complots. La véhémence de nos détracteurs visait particulièrement les succès du passé de notre organisation: la lutte massive de la ville de Liverpool sous la direction de Militant en pleine ère de Thatcher, où le conseil communal a réussi à arracher 60 millions de livres des autorités nationales pour des budgets sociaux, et bien sûr, la campagne contre la Poll Tax durant laquelle 18 millions de personnes ont refusé de payer cette taxe et ont ainsi mis fin au règne de Margareth Thatcher.

Trotsky a lutté contre la bureaucratie stalinienne ainsi qu’en défense de la démocratie soviétique et d’un système multipartite, mais reposant sur l’économie planifiée et la lutte pour le socialisme international. Il fut, avec Lénine, le principal dirigeant et théoricien de la Révolution russe.

Aux yeux de l’establishment capitaliste, cet héritage de défense implacable du drapeau rouge et des meilleures traditions du mouvement ouvrier ne doit évidemment pas être redécouvert par les nouvelles générations. Pourquoi ? Parce que ce sont des idées et une organisation qui peuvent changer le monde.

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