[INTERVIEW] Victoire majeure des employés d’une entreprise athénienne de nettoyage de bus

Athens bus cleaners strikers (1)

Eleni Mitsou (Xekinima, section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière) et Casimir Apostolis (membre du conseil d’OASA – Syndicat Athénien des Travailleurs pour l’Entreprise de Nettoyage des Bus) se sont entretenus avec Tanja Niemyer et Katia Hanke au sujet des luttes menées à Athènes par les travailleurs, de leur développement ainsi que de la victoire obtenue in fine. Aussi bien Eleni qu’Apostolis avaient combattu aux côtés des employés de la compagnie d’entretien des bus publics (OSY) à Athènes, et ce depuis janvier 2016, lorsque la lutte contre les pratiques mafieuses de l’entrepreneur de la compagnie de nettoyage a commencé. En juin, ils ont obtenu, au forceps, une première victoire contre l’entrepreneur. Un rapport sur les cinq premiers mois de leur lutte peut être consulté ici (en anglais).

Quelques jours avant l’entrevue, les efforts des nettoyeurs ont été couronnés d’une autre victoire, d’autant plus importante dans la mesure où le ministère des Transports a satisfait à la requête centrale des travailleurs, à savoir limoger les entrepreneurs et s’engager avec les nettoyeurs eux-mêmes via des contrats directs. Cela a été présenté comme un projet de loi et les délibérations ont débuté le mercredi 4 août. Les partis, PASOK, Nouvelle Démocratie, Rivière, et l’Aube Dorée ont voté contre. Le KKE (parti communiste grec) et le Parti du Centre se sont quant à eux abstenus.

L’interview a été réalisée sur l’île de Naxos au cours du camp d’été organisé par la Zone-YRE Antinazie, au sein de laquelle Xekinima joue un rôle essentiel. Un des points forts du camp d’été de cette année a été la discussion sur la grève des agents d’entretien des autobus athéniens.

Eleni et Apostolis, nous sommes bien conscients qu’au mois de juin les nettoyeurs de l’OSY ont conquis une victoire importante, mais que leur lutte n’a jamais cessé. Que s’est-il concrètement passé ?

En juin, les nettoyeurs de bus ont obtenu les salaires qui leur étaient dus depuis trois à cinq mois- le montant des salaires impayés variaient selon le dépôt pour lequel ils travaillaient. L’entrepreneur a renoncé à ce que les salaires lui soient versés en finissant par accepter que ces salaires soient distribués directement aux travailleurs par la compagnie publique d’autobus. C’était là une première dans le pays.

Mais dès que cette victoire fut annoncée, nous avons découvert que la direction de la société publique d’autobus (OSY) avait l’intention de licencier l’entrepreneur de l’époque pour en embaucher un autre, avec des travailleurs plus « obéissants ».

Cela signifiait que les nettoyeurs de bus qui se battaient pour leurs salaires et leurs droits depuis janvier allaient perdre leur emploi.

Quelle a été la réaction des travailleurs?

En réponse, les nettoyeurs ont commencé une campagne de masse, en distribuant des milliers de tracts à travers Athènes avec un étal quotidien sur la place Syntagma et aussi dans les quartiers de la classe ouvrière d’Athènes.

En outre, Xekinima (CWI Grèce) a lancé une campagne de solidarité visant à distribuer des dizaines de milliers de tracts à travers tout le territoire grec. La campagne avait pour requête que la compagnie publique d’autobus emploie les nettoyeurs directement et cesse de sous-traiter avec des entreprises privées et donc, des entrepreneurs.

Le directeur de l’entreprise publique d’autobus, qui a été nommé par le gouvernement SYRIZA, et le président de la compagnie de bus, lui-même un cadre de longue date chez SYRIZA, a refusé de soutenir la demande des travailleurs à être directement employés par la compagnie de bus.

Entendez-vous que la direction de SYRIZA était déterminée à se débarrasser des travailleurs en lutte?

Oui. Il fut choquant de voir avec quel mépris ils ont traité les travailleurs! Cependant, la campagne a réussi à recueillir beaucoup d’attention et à instiller une énorme pression auprès du patronat.

Nous n’avons eu de cesse de mener des manifestations quotidiennes, sur des périodes assez longues, en dehors du siège de la compagnie d’autobus, du ministère des Transports et du siège de SYRIZA. Il y a eu une grosse couverture médiatique – dans les matinales des émissions de télévision, dans les journaux télévisés, à la radio et dans les journaux papier.

Juin a été un mois très difficile pour les nettoyeurs de bus. Ils travaillaient de 21 heures à 3 heures du matin et dès 8 heures, ils étaient sur le terrain pour protester et défendre leurs droits. Par ailleurs, la plupart d’entre eux ont des obligations et des responsabilités familiales. Beaucoup d’entre eux devaient donc se contenter d’à peine quelques heures de sommeil toutes les nuits. Mais ils n’ont jamais baissé les armes, au lieu de cela, c’est de leur détermination inébranlable qu’ils ont fait montre.

Quel a été le résultat de ce nouveau cycle de lutte?

Quelques semaines plus tard, le ministre des Transports a promis d’introduire une loi qui assurerait l’emploi direct pour les nettoyeurs de bus par la compagnie publique. Cela nous a permis de «nous détendre» un peu, mais, bien sûr, nous étions sur nos gardes. Nous savions que les dirigeants de l’OSY nous attendaient au tournant.

En réalité, les dirigeants de l’OSY ont effectivement tenté à deux reprises de changer d’entrepreneur. Ils voulaient clairement se débarrasser des travailleurs qui avaient montré une telle détermination à se battre pour leurs droits et, bien sûr, qui les avaient pointés du doigt et critiqués ouvertement. Mais la campagne n’a pas tardé à réagir.

En en particulier, la campagne internationale lancée par le Comité pour une Internationale Ouvrière. La campagne de protestation menée de concours par des camarades du CIO ainsi que par des militants politiques et syndicaux a joué un rôle fondamental à l’échelle internationale pour contrecarrer les plans d’embauche d’un nouvel entrepreneur par l’OSY. Nous tenons à remercier tous les camarades et les militants de la classe ouvrière qui nous ont aidés dans cette lutte à l’échelle internationale.

Un certain nombre d’autres personnes ont également apporté leur soutien aux employés de la société de nettoyage. Par exemple, Constantina Kouneva, membre du Parlement européen et autrefois agent de nettoyage dans le métro d’Athènes qui avait été attaquée à l’acide par des voyous envoyés par son patron en 2008 en raison de son activisme syndical. Et le ministre des Transports s’est aussi exprimé en faveur des agents de nettoyage.

Quand la loi a-t-elle été votée et qu’implique-t-elle?

Le 4 août, une nouvelle loi a été votée, celle-ci permet à la compagnie de bus d’embaucher directement les agents de nettoyage. La loi précise que les futurs employés doivent avoir déjà travaillé pour l’entrepreneur – ce qui est une référence claire aux agents de nettoyage partis en grève.

La loi garantit un salaire proportionnel à celui d’un travailleur dans le secteur public ayant terminé l’école primaire (la Troïka a introduit une nouvelle échelle de proportionnalité des salaires dans le secteur public qui tient compte du niveau d’éducation du travailleur), qui est de 780 euros par mois pour 40 heures de travail par semaine (l’entrepreneur payait les employés de la société d’entretien à hauteur de 450 euros par mois pour 36 heures de travail hebdomadaire et n’a jamais augmenté les rémunérations comme la loi le prévoit pour le travail de nuit ou les dimanches). La loi est applicable jusqu’à la fin de l’année 2017 et il est prévu qu’elle soit renouvelée chaque année.

Est-ce que cette loi se borne à couvrir uniquement les agents de nettoyage de l’OSY?

Non, la loi se préoccupe des agents bien sûr mais aussi du personnel de sécurité (également employés par des entrepreneurs) dans tous les transports publics athéniens. En fait, tous les services relevant de la compétence du ministère des Transports bénéficient désormais d’une protection légale. Ainsi, à travers leur lutte, les agents de nettoyage des sociétés d’autobus à Athènes ont remporté une victoire pour les agents d’entretien et le personnel de sécurité dans de très nombreux autres lieux de travail.

A l’occasion de leur lutte, les employés des services de nettoyage d’autobus ont soulevé indirectement la question de la sous-traitance qui est dès lors devenue une préoccupation de première ligne sur l’échiquier politique. Présentement, le gouvernement est en pourparlers sur une loi qui permettrait à l’ensemble du service public d’employer directement des agents d’entretien et du personnel de sécurité en évacuant graduellement le problème du prometteur, intermédiaire jugé non seulement inutile mais néfaste, comme vous l’aurez compris.

Quelles leçons peut-on tirer?

Tout cela est très positif, et le combat initié par un petit groupe de femmes travaillant dans un seul dépôt de bus (Elliniko) il y a sept mois a joué un rôle indiscutable dans le déclenchement de la lutte comme on l’a connue ici dans son aboutissement triomphant. Quand elles se sont, dans un premier temps, élevées pour défendre leurs droits, tout le monde pensait qu’elles seraient simplement licenciées. Mais de par leur lutte déterminée et le mouvement de solidarité que celle-ci a engendré, elles sont parvenues par ricochets à étendre la grève aux sept autres dépôts de bus, entraînant par-là un arrêt complet de l’entretien des bus athéniens et exposant au grand jour les méthodes de travail scandaleuses de cette mafia de sous-traitance, et ce jusque dans les journaux télévisés nationaux. Contre toute attente, elles ont obtenu un énorme succès.

A un moment où la classe ouvrière grecque voyait les échecs sur le plan syndical s’accumuler inlassablement, la lutte des agents d’entretien d’autobus marque une forme de rupture dans la sinistrose sociale et se démarque comme une victoire glorieuse qui fera date.

Quels sont les plans pour l’avenir?

Les travailleurs du secteur de l’entretien d’autobus ont mis sur pied leur propre syndicat. L’idée est aujourd’hui d’amorcer une lutte commune afin d’obtenir des contrats permanents. À l’heure actuelle les contrats s’étendront jusque fin 2017. Le gouvernement SYRIZA n’emploie pas les agents de nettoyage et le personnel de sécurité comme le secteur public, en acceptant l’interdiction de l’emploi dans le service public imposée par la Troïka. Ceci, bien sûr, du point de vue de la classe ouvrière est inacceptable. Beaucoup d’agents de nettoyage ont travaillé dans le même dépôt, passant d’un entrepreneur à l’autre, pendant de nombreuses années. Dans la compagnie de bus publique, il y a des agents d’entretien qui s’attèlent à nettoyer des bus depuis 1991! Ces travailleurs devraient avoir des emplois stables et des contrats permanents dans le secteur public.

La nouvelle loi adoptée sur les contrats directs est une étape très positive et importante pour ces travailleurs car elle offre la garantie d’un revenu stable, plus élevé aussi ; tout cela s’accompagne de meilleures conditions de travail puisque personne ne pourra désormais les gruger d’une partie de leur salaire en appliquant des méthodes dignes de la mafia. Ceci constitue un tremplin supplémentaire pour la lutte. Ils devront continuer à se battre avec leurs collègues pour obtenir des contrats permanents et des droits de travail inchangés dans le secteur public. Cette victoire fournit aux agents le temps et la possibilité de mieux s’organiser et de construire un véritable mouvement pour l’assurance de contrats permanents pour tous les agents de nettoyage.

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