Hong Kong: 19 ans après Tiananmen

Rassemblement de 48.000 personnes pour commémorer massacre de Pékin du 4 juin 1989

Dans le contexte du tremblement de terre du Sichuan s’est déroulée la commémoration du 19ème anniversaire du massacre de Tiananmen. Il y a eu à cette occasion un grand intérêt pour l’intervention du Comité pour une Internationale Ouvrière et pour le journal China Worker.

Par nos correspondants de chinaworker.info à Hong Kong, article publié le 6 juin

Près de 50.000 habitants de Hong-Kong se sont réunis en mémoire de la répression brutale de 1989 à Pékin. Mais il ne s’agissait pas simplement de commémorer l’évènement et des revendications comme la fin du régime du parti unique en Chine et à Hong Kong ainsi que l’obtention de droits démocratiques étaient également portées par les participants. De nombreux jeunes ont pris part à la manifestation, avec des vétérans de ces évènements. Beaucoup de jeunes n’étaient d’ailleurs manifestement pas encore nés en 1989, quand la jeunesse et les travailleurs de Pékin ont retenu l’attention du monde entier.

Durant la nuit du 3 au 4 juin 1989, les dirigeants chinois, sous l’autorité du maître des "réformes" capitalistes Deng Xiaoping, ont envoyé les tanks de l’Armée Populaire de Libération écraser les protestations des jeunes et des travailleurs de la capitale. Les principales exigences du mouvement de 1989 concernaient l’instauration de plus grandes libertés démocratiques et la fin de la corruption gouvernementale. Le régime avait pris la décision de réprimer brutalement les protestations après que les rassemblements de masse de la Place Tiananmen à Pékin se soient étendus à 130 villes chinoises et que les travailleurs aient commencé à rejoindre les protestations en construisant les premiers syndicats indépendants et en mettant en avant leurs propres revendications au sein du mouvement. Aucune évaluation précise du nombre de morts n’a jamais été donnée, mais les victimes tuées ont certainement été plusieurs centaines. Quelques sources parlent même de 3.000 décès.

L’écrasement de ce mouvement, qui a coïncidé avec l’effondrement des régimes staliniens à parti unique en Russie et en Europe de l’Est, constitue un point crucial de l’histoire de la Chine. Cela a accéléré le développement de la politique capitaliste néolibérale en Chine, où toute mention de ces événements est aujourd’hui strictement interdite. Une génération de jeunes a grandi dans l’ignorance complète de ce mouvement. Les sites Internet sont contrôlés par 100.000 censeurs qui travaillent à plein temps pour le régime avec l’aide d’équipement spécialement développé pour cet usage par des compagnies américaines de haute technologie comme Cisco et Microsoft, afin d’empêcher toute mention du 4 juin. Cependant, des dizaines de messages cryptés ont été publiés – certains se référant à "notre 19e anniversaire" – mais rapidement enlevés par les autorités.

Le tremblement de terre du Sichuan

Cette année, l’atmosphère autour de la commémoration a été largement influencée par le tremblement de terre de Wenchuan, qui a entraîné jusqu’ici 70.000 décès confirmés et a laissé plus de cinq millions de personnes sans-abri. Les habitants de Hong Kong, comme du reste de la Chine et de beaucoup d’autres pays à travers le monde, ont généreusement contribué aux fonds d’aide. Plus de 43 milliards de yuan ont jusqu’ici été rassemblés en Chine et dans le monde entier. Mais cette atmosphère de solidarité avec les millions de victimes du tremblement de terre coïncide également en Chine avec un raz-de-marée nationaliste à la suite de la révolte de mars au Tibet (dont certaines régions sont dans la zone immédiate du tremblement de terre) ainsi que des polémiques qui entourent les Jeux Olympiques. Le Parti soi-disant "Communiste" au pouvoir a sauté sur l’occasion pour renforcer sa propre position et pour lancer un appel à l’unité nationale sous sa direction. On a pu voir un processus assez similaire dans les pays qui ont été touchés par le tsunami il y a trois ans. En Thaïlande par exemple, Thaksin Shinawatra a été réélu en 2005 avec une majorité écrasante, sous la forte influence de la manipulation réussie par laquelle le gouvernement en place a pu être présenté comme un bon gestionnaire de crise après le tsunami.

En Chine, la vague actuelle d’unité nationale a surtout affecté les couches moyennes de la société chinoise, c.-à-d. ceux qui retirent la plupart des bénéfices de la politique pro-riches du gouvernement. Beaucoup parmi ceux qui se qualifient aujourd’hui eux-mêmes de "démocrates" en Chine et à Hong Kong affirment que le régime chinois "se dirige dans la bonne direction" – même s’il est difficile de trouver n’importe quel soutien effectif venant illustrer cette idée – et déclarent donc que la critique du régime est "décisive". Un commentaire typique à propos du 19e anniversaire de Tienanmen a été publié dans un éditorial du principal quotidien de langue anglaise de Hong Kong, le journal "démocratique" bourgeois South China Morning Post, sous le titre "Il est temps de guérir les blessures de la répression du 4 juin:

"Cependant, il est indéniable que Pékin a gagné depuis une légitimité politique – sérieusement érodée après la répression – pour les réformes économiques qu’il a accompli et pour l’amélioration consécutive du niveau de vie des gens ordinaires… On se rappellera toujours des événements du 4 juin 1989. Mais si nous envisageons l’avenir, il est à espérer qu’ils ne continueront pas à être une source de douleur et de division."

Ce que ce journal et d’autres partisans du capitalisme disent, c’est que tant que les dictateurs "communistes" de Chine continuent d’offrir des profits gigantesques aux capitalistes, ils ne devraient pas être trop fortement critiqués pour le recours à des méthodes dictatoriales. Le président nouvellement élu de Taiwan, Ma Ying-Jeou, a porté la démonstration d’amitié envers le régime de Pékin à de nouveaux niveaux quand il a dit, en référence aux événements de 1989, que le régime chinois devrait "continuer à favoriser la liberté et la démocratie". Le Koumintang, parti de Ma Ying-Jeou (les dirigeants de la Chine avant 1949) a ensuite repris ses négociations ouvertes avec Pékin, négociations par lesquelles il espère renforcer les liens économiques et obtenir une aide non négligeable pour les capitalistes taïwanais.

"Partout, les gouvernements utilisent le tremblement de terre pour faire des excuses et offrir des dédommagements au régime chinois avant les Jeux Olympiques" a expliqué à chinaworker.info l’élu socialiste Leung-“Cheveux longs”-Kwok-hung (il a expliqué qu’il ne couperait ses cheveux que lorsque Pékin aura présenté ses excuses pour le massacre du 4 juin, NDT). "Ils ont besoin de réserves de dollars et du marché de la Chine en raison de la crise dans les banques et l’économie des USA, ils ne peuvent donc pas se permettre de déranger le régime".

« Non au régime du parti unique ! »

Pourtant, en dépit des événements de ces derniers mois, il n’y avait aucune humeur tendant vers le pardon et l’oubli lors de la commémoration de Hong Kong – loin de là. La signification de la manifestation de Hong Kong est que c’est la seule ville en Chine, en raison de son statut juridique spécial qui provient de son histoire coloniale, où de telles démonstrations publiques sont possibles. Les revendications portant sur la fin du règne du parti unique, entendues à de nombreuses reprises à la manifestation, seraient impensables n’importe où ailleurs en Chine. Un récent sondage d’opinion a montré un petit décalage dans l’attitude de la population de Hong Kong par rapport à il y a une année. Le nombre de personnes exigeant de revenir sur la version officielle du mouvement de Tiananmen, qualifié de "criminel" et de "contre-révolutionnaire", est tombé cette année à 49%, contre 55% il y a par an. Mais, toujours selon ce sondage effectué par l’université de Hong Kong, 58% des personnes sondées pensent que le régime de Pékin "a mal agi" le 4 juin.

Certains ont craint que le rassemblement de cette année ne soit affecté par ces facteurs, et particulièrement par la tragédie du tremblement de terre qui domine l’attention des gens. Les organisateurs du rassemblement ont lié les deux thèmes, en transformant la commémoration en nuit de souvenir pour les victimes des deux événements.

L’excellente mobilisation a été extrêmement significative dans ce contexte. Elle illustre à quel point le 4 juin est présent dans les esprits. Les aspirations pour des droits démocratiques et pour la fin de la dictature n’ont pas été atteintes par les catastrophes naturelles ou par le nationalisme pro-régime qui accompagne le projet olympique, qui coûte des milliards de dollars. L’anniversaire de l’année prochaine, symbolique puisqu’il s’agira du 20e, sera une journée de crainte pour le régime chinois.

Lutte pour la démocratie – contre le capitalisme

De plus en plus, même de la zone de tremblement de terre en Chine, des voix critiques s’élèvent au sujet de la corruption des officiels et de la manipulation de la crise par le gouvernement. Les protestations des parents qui ont perdu leurs enfants dans plus de 2.000 écoles effondrées deviennent un sujet particulièrement explosif. Des protestations se sont produites ces derniers jours à ce sujet et le régime – félicité par la presse capitaliste pour son "ouverture" – vient juste de publier des ordres pour interdire tous les rassemblements près des bâtiments scolaires détruits. De nouvelles restrictions pour la presse ont également été imposées et le régime craint que "l’ouverture" ne soit allée trop loin. C’est une chose d’avoir des journaux étrangers et chinois qui montrent des photos des ruines et de la visite de Wen Jiabao; mais c’en est une autre de voir des photos de parents éperdus tenant des photographies de leurs enfants morts ou qui sont traînés per les soldats hors des bureaux du gouvernement local lors d’une protestation. C’est tout autre chose en fait ! Ces voix critiques vont se multiplier dans les prochaines semaines, au fur et à mesure que l’énorme tâche de la reconstruction se précisera. On estime que la reconstruction des maisons effondrées et de l’infrastructure dans la province du Sichuan prendront huit ans. Sans injection de fonds du gouvernement central dans des proportions "Olympiques" – sujet sur lequel règne le silence – des défauts de construction et les retards pour reloger les sans-abris seront inévitables.

Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO/CWI) et chinaworker.info ont eu une intervention réussie dans la manifestation du 4 juin. C’était la plus grande manifestation de l’Est asiatique à laquelle le CIO a participé. Notre matériel abordait les luttes des travailleurs, la répression d’Etat de Tiananmen au Tibet et la nécessité de syndicats démocratiques et indépendants. En mettant en avant dans nos publications que la lutte pour les droits démocratiques aujourd’hui est aussi une lutte contre le capitalisme en Chine et internationalement, nous avons pu jouer un rôle unique dans cette commémoration du 4 juin.


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