[ARCHIVES] Les années ’90 en Russie et en Europe de l’Est : Le capitalisme tue

russie_restauration« »La thérapie de choc » responsable d’un million de décès », voilà le titre pour le moins stupéfiant du Financial Times du 15 Janvier 2009. Des recherches effectuées sur la mort de trois millions d’hommes en âge de travailler dans les anciens pays ‘communistes’ d’Europe de l’Est au début des années ‘90 ont été publiées dans la revue médicale renommée The Lancet. Elles démontrent qu’ «au moins un tiers de ces décès sont dus à la privatisation massive qui a conduit à un chômage généralisé et à une profonde désorganisation sociale».

Par Clare Doyle, CIO (texte initialement publié en 2009)

L’article poursuit : «A cette étude s’ajoute une masse croissante de recherches (…) démontrant dans quelle mesure la transition économique a entraîné beaucoup de souffrances, allant de maladies physiques et mentales à la mort.» L’un des scientifiques responsables de cette recherche, Martin McKee de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, condamne la politique de la thérapie de choc préconisée par Jeffrey Sachs (et le Financial Times aussi d’alleurs, si mes souvenirs sont bons…)

J’ai vécu en Russie à cette époque, en travaillant pour le Comité pour une Internationale Ouvrière (internationale à laquelle le est affilié le Parti Socialiste de Lutte), et j’ai essayé de mettre en garde avec force les travailleurs et les jeunes contre le piège de la privatisation. Avec une immense campagne de propagande, le gouvernement voulait faire croire aux travailleurs qu’ils auraient un réel intérêt dans leurs entreprises, ce qui a eu un certain effet après des décennies de propriété étatique sans contrôle ni gestion par les travailleurs mais avec l’abrutissante dictature du parti unique stalinien.

La privatisation semblait aux yeux de nombreux travailleurs être un meilleur pari. Deux ans après, comme cette étude le mentionne, au moins un quart des usines d’Etat avaient été privatisées (un tiers en 1993), mais l’inflation avait atteint des proportions proches de celles de l’Amérique latine et le chômage, inconnu dans l’économie planifiée, a frappé des millions de travailleurs qui n’avaient toujours jusqu’alors perçu aucun bénéfice des entreprises. Le président, Boris Eltsine, s’est révélé être un dictateur et l’économie s’est effondrée de 50%. Evidemment, cela a tué des gens!

L’alcoolisme et la mauvaise alimentation étaient des problèmes historiques mais, comme le rapport le confirme, la soudaine destruction des acquis des travailleurs a été un cauchemar qui eu un effet sur la classe ouvrière de la plus effroyable des façons. Même la vodka vendue dans la rue était frelatée et mortelle.

Les Oligarques

Les gagnants dans ce processus qui a conduit la classe ouvrière russe dans une profonde misère ont été les quelques hauts responsables du parti et les amis du président. Ces derniers se sont emparés des usines, des mines et des aciéries, des ressources pétrolières et gazières avec comme seule préoccupation d’accumuler de vastes fortunes, avec des méthodes qui se sont souvent révélées n’être que du pur gangstérisme. De nombreux meurtres ont eu lieu en plein jour – des assassinats de rivaux, de politiciens ou de journalistes – et ils se déroulent encore aujourd’hui.

Quant aux oligarques qui se sont retrouvés du mauvais côté du Kremlin, comme Khordokovsky et Berezovsky, ils ont fini en prison ou en exil. D’autres, comme certains amis de politiciens britanniques, Derepaska, Potanin ou Prokhorov, se sont retrouvés dans la cour de Poutine.

Dernièrement, certains de ces barons-voleurs ont souffert de l’effondrement du prix du pétrole et la crise financière mondiale. Des milliards ont été essuyés et on a vu l’Etat prendre un rôle plus direct dans leurs entreprises. Mais aucun d’entre eux ne va se retrouver à la rue, mendiant pour un morceau de pain, comme tant de personnes en Russie l’ont fait et seront encore amenés à le faire aussi longtemps que survivra le capitalisme.

Le Premier ministre Poutine déclare maintenant que l’effondrement de l’Union soviétique a été « la plus grande catastrophe géopolitique du 20e siècle » mais, à l’époque, il ne figurait pas parmi ceux qui se sont opposés à la restauration du capitalisme.

Le capitalisme aujourd’hui

Le régime chinois actuel est peut-être plus conscient du contenu du rapport de The Lancet et de sa mise en garde : la réforme «casse-cou» du marché signifie une catastrophe sociale. Ce régime essaye donc d’opérer une transition lente et contrôlée mais est maintenant aux prises avec un problème supplémentaire ; le fait que le capitalisme est frappé par une désastreuse récession mondiale. Le capitalisme est un système en crise, générant chômage de masse et pauvreté, et ce pays après pays.

L’étude dévoile l’augmentation du taux de mortalité en Lettonie, en Lituanie, en Estonie, en Russie et au Kazakhstan, les pays les plus affectés, qui a été de 42% chez les hommes entre 1991 et 1994. Aujourd’hui, ces pays sont parmi les premiers touchés par le nouveau tsunami de destructions capitaliste. La Russie a connu des protestations de masse dans plus de 50 villes contre les tentatives du gouvernement de faire payer la crise du système aux travailleurs et à la classe moyenne. Début janvier, la Lettonie et la Lituanie (ainsi que de la Bulgarie) ont connu des batailles de rue entre la police et les manifestants en colère. L’Estonie est passée, comme eux, d’un taux de croissance élevé à une contraction de 3,5% et la popularité de son gouvernement est en chute libre.

Le Sunday’s Observer a titré : «l’Europe de l’Est face à un « printemps de mécontentement »». Alors que ces nouveaux pays capitalistes approchent du 20e anniversaire de l’effondrement du stalinisme, un spécialiste de l’Europe de l’Est, le Dr Jonathan Eyal, avertit que les pays de la région sont mal préparés pour une telle crise et risquent une explosion sociale.

Alors que les travailleurs et les étudiants d’Europe de l’Est commencent à s’identifier et à suivre l’exemple de ceux d’Athènes, de Paris et de Rome, une nouvelle ère s’ouvre. Des millions de personnes ont été tuées et mutilées sous l’ère de Staline, mais encore plus de millions d’autres ont eu leur vie anéantie par le capitalisme. Actuellement, une lutte massive pour une véritable alternative socialiste démocratique revient fermement à l’ordre du jour.

Note :

Dans le Financial Times, Jeffrey Sachs a nié toute responsabilité dans la dramatique détérioration de la santé et de l’espérance de vie en Russie. Il déclaré, « J’ai démissionné comme conseiller en 1994 pour protester contre la montée de la corruption en Russie et l’échec de l’ouest à être utile aux réformateurs … ». Les dégâts étaient déjà faits à ce moment là!

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