France. “Crise idéologique et rejet du système dans son ensemble”

france_juin Organiser la colère vers le blocage de l’économie

En France, la ‘‘loi travail’’ a déclenché une puissante lame de fond sociale. Cette attaque frontale équivaut à condamner une importante partie des travailleurs à la précarité à vie (sans contrats de travail stables et sans droits collectifs réels). La résistance développée contre ‘‘la loi travail et son monde’’ a ouvert un nouveau chapitre dans la lutte de classes, dans une situation qui ‘‘dérive vers une crise idéologique et un rejet du système dans son ensemble’’, comme l’a exprimé le Service Central de Renseignement Territorial (SCRT, 28 avril 2016).

Par Nicolas Croes, article tiré de l’édition de juin de Lutte Socialiste

Le gouvernement comptait sur un agenda parlementaire serré pour que cette loi passe au plus vite. Mais les mobilisations se sont succédé à partir de la première journée de manifestations le 9 mars dans laquelle la jeunesse a joué un rôle de tout premier plan qui ne s’est pas démenti par la suite. La colère a continué à gagner en ampleur depuis lors : les sondages font état d’une opposition de plus de 70 %!

Cela n’a rien de surprenant. L’axe central du projet vise à donner la primauté aux accords locaux d’entreprises sur les conventions collectives de travail nationales, brisant ainsi le Code du travail promulgué en 1910.L’objectif est de totalement soumettre le travailleur aux intérêts du patron,à l’instar de ces entreprises des États-Unis qui ne connaissent aucune garantie collective dans le contrat de travail, mais bien des contrats signés entre l’employeur et son subordonné.Il s’agit d’une contre-révolution complète dans le domaine de la législation du travail. Il est en outre certain que gouvernement et patronat ne s’arrêteront pas en si bon chemin s’ils emportent la victoire. Le pire serait encore à venir.

Face à l’incertitude de réunir un vote suffisant à l’Assemblée nationale,le gouvernement a fait appel le10 mai dernier à l’article 49 alinéa 3de la Constitution qui permet de faire adopter un texte sans passer par le vote (il reste encore à le discuter ensuite au Sénat). Ironie de l’histoire,le 10 mai, c’est également la date de la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981, qui avait à l’époque suscité de grands espoirs bien vite trahis. Ce 10 mai 2016,ceux qui doutaient encore que le PS n’est plus qu’un larbin servile, parmi d’autres, aux ordres du monde patronal ont pu être convaincus.

Avec ce passage en force à l’ouverture même des débats parlementaires et quinze mois après y avoir eu recours pour faire passer la loi Macron(concernant notamment le travail le dimanche et la nuit), le gouvernement espérait aussi porter un sérieux coup aux mobilisations. Mais le dégoût provoqué par la manoeuvre a surtout donné de l’eau au moulin de ceux pour qui, après plus d’une demi-douzaine de journées de mobilisation, il est devenu nécessaire de dépasser le cadre des manifestations traditionnelles en bloquant l’économie du pays.

Quelques jours après, à l’occasion de l’édition d’un journal de France Culture, un conducteur de bus toulousain expliquait : “Il suffit d’une petite étincelle pour que tout se décante.Vous savez, à la veille de 68, personne n’aurait dit qu’il y aurait des manifestations monstres et des usines occupées.Le peuple peut toujours se réveiller à n’importe quel moment.” Ce témoignage et bien d’autres éléments illustrent que quelque chose a résolument changé dans le pays. C’est cela que craint le plus le gouvernement,le patronat et les médias dominants.Tous essayent de dévier l’attention sur les violences en marge des manifestations(dans lesquelles les ‘‘forces de l’ordre’’ portent une responsabilité écrasante) pour tenter de masquer ce qui se développe sur le terrain des entreprises.

Les appels à la grève se multiplient dans tous les secteurs

Dès avant le ‘’49.3’’, la centrale Santé du syndicat SUD avait déposé45 jours de préavis de grève dans les hôpitaux et la CGT deux fois 15 jours,tandis que l’intersyndicale (CFTC, FO,CGT, SUD) appelait à des journées communes de grèves à la fois contrela ‘‘loi travail’’ et contre le plan de suppression de 22.000 emplois dans la santé. Ailleurs aussi, la ‘‘loi travail’’survient simultanément à d’autres offensives antisociales, comme à la SNCF avec le décret ‘‘socle’’ (un alignement du statut des cheminots sur celui du privé) et la privatisation du rail (qui vise à se débarrasser de 30 %des cheminots). Mentionnons encore les intermittents du spectacle dont l’assurance chômage est menacée ou encore les agriculteurs écrasés par la pression des banques.

Le secteur automobile a été frappé par de grands plans de licenciements ces dernières années, mais l’instauration du nouveau concept ‘‘push topass’’ à Peugeot (accélérer soudainement le niveau de production des véhicules)va encore s’attaquer à la masse salariale et représentera un précédent pour les autres usines. Deux usines du sous-traitant automobile MGI Coutier viennent d’arracher 200 euros de prime et de nouveaux acquis suite à deux jours de grève. C’est cette méthode qu’il faut suivre et qui se développe,bien qu’encore péniblement.

La journée de mobilisation du 17 mai a, à ce titre, constitué un point tournant du combat. Le début de la grève reconductible dans les raffineries(avec des assemblées générales prévues à la mi-journée pour reconduire la grève et les piquets), le blocage des zones portuaires et les barrages filtrants des routiers aux abords des grandes villes, etc. a modifié l’ambiance générale. Plusieurs secteurs stratégiques ont posé la question de la reconduction du mouvement de grève et la nécessité de bloquer l’économie du pays. Chez les cheminots, la CGT a appelé à cesser le travail chaque mercredi et jeudi de la semaine et SUDRail tous les jours à partir du 17 mai jusqu’au 11 juillet. Et des syndicats appellent à des actions chaque jeudi.Un basculement plus profond de la lutte pourrait être en germe au moment d’écrire ces lignes, après des semaines où l’intersyndicale n’avait nationalement sérieusement préparé qu’une seule journée depuis le début du mouvement, le 31 mars, quand plus d’un million de personnes étaient descendues dans les rues à travers le pays. C’est également à cette date qu’était apparu le phénomène ‘‘Nuit Debout’’.

Construire la grève générale

Il est crucial de soutenir et développer les grèves en entreprises et de défendre le blocage de la production et donc des profits des grandes entreprises. Frapper fort, c’est frapper là où ça fait le plus mal : au portefeuille du patronat dont les intérêts sont derrière la ‘‘loi travail’’. La colère fourmille dans la société française, il faut la coordonner et en fusionner les diverses expressions dans la construction consciente d’un rapport de force décisif. C’est ainsi que l’on pourra aussi donner confiance aux travailleurs et aux jeunes qui n’osent pas encore entrer en lutte.

Cette question est en débat partout,notamment dans le mouvement ‘‘Nuit debout’’ où des tensions se développent entre ceux qui cherchent principalement à expérimenter de nouvelles formes de discussion démocratique et ceux qui s’efforcent de créer un pont avec le mouvement des travailleurs -seule force sociale capable de bloquer toute l’économie par l’arme de la grève- et à oeuvrer à la ‘‘convergence des luttes’’. Cela ne signifie bien entendu pas qu’il faille balayer la question de la démocratie, bien au contraire ! Mais il faut lui donner un objectif concret,orienté vers les revendications à porter et les actions à mener, décidées démocratiquement, ensemble.

La multiplication des Assemblées générales et des comités de lutte démocratiques- dans les entreprises pour décider de la reconduction de la grève et des modalités d’action, dans les lycées et aux universités, sur les places comme le fait Nuit Debout,etc. – est la seule manière d’assurer que la lutte soit réellement prise en main par les travailleurs et la jeunesse.Cela évite qu’elle ne soit pas à la merci d’un accord pourri conclu entre le gouvernement et l’une ou l’autre direction syndicale.

Résistance internationale

La casse de la législation du travail et la casse des conventions collectives de travail sont un fil rouge du projet des gouvernements européens. Nous le constatons en Belgique également.Le plan d’action syndical belge peut constituer une grande source d’encouragement et d’inspiration en France,de la même manière que la pratique des Assemblées générales est une question cruciale en Belgique pour éviter de voir se répéter la situation qui avait suivi la grève générale nationale du 15 décembre 2014, quand le mouvement avait été laissé sans suite alors que le gouvernement Michel vacillait.

Un autre sujet central est posé des deux côtés de la frontière : celui de l’alternative politique à défendre contre des gouvernements de combat pour les riches, qu’ils soient dirigés par le PS en France ou par la droite‘‘officielle’’ en Belgique. Il nous manque encore un outil de masse, une force politique des travailleurs et de la jeunesse, capable de réunir toute l’opposition à l’austérité, sans exclusive,dans le but d’oeuvrer démocratiquement à la défense des intérêts de l’écrasante majorité de la population contre la rapacité des super riches et les politiciens à leur service. Cela exige aussi de défendre une alternative claire au capitalisme et de ne passe focaliser sur les élections au point que l’organisation concrète de la lutte de masse devienne secondaire ou disparaisse.

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