La situation détestable dans les prisons? Rien à voir avec les grévistes.

prisonLe sous-financement et la mauvaise gestion sont responsables !

Ces dernières semaines, nous avons quotidiennement pu voir des reportages sur les horribles conditions de détention en Belgique. Sans les grèves, personne n’en aurait parlé. Mais ce gouvernement des riches tire plus vite que son ombre dès qu’il s’agit d’instrumentaliser une grève pour défendre l’un de ses sujets de prédilection : le célèbre service minimum. Après les cheminots et les contrôleurs aériens, les agents pénitentiaires sont devenus la nouvelle cible de la guerre médiatique. Le gouvernement s’est par contre révélé incapable de trouver la moindre solution pour les prisonniers.

Par Anja Deschoemacker

Les conditions de détention n’empêchent pas les politiciens de dormir.

Il suffit de regarder l’âge de nos prisons pour comprendre l’ampleur du sous-investissement. Celle de Forest est encore relativement jeune (1910). En tout cas plus jeune que celle de Saint-Gilles (1884), d’Ypres (1876), de Malines (1874), de Mons (1870), de Louvain (1860), de Ruiselede (1849) et bien sûr de Merksplas (1825). Mais dans la presse, face aux planchers qui s’effondrent et aux infiltrations d’eau, le coupable… c’est la grève !

Quand les détenus de Merksplas (pas en grève) se sont révoltés, c’est à peine si les médias en ont fait mention. Tous les projecteurs sont braqués sur la condamnation de l’État belge à assurer un service minimum en prison en cas de grève des agents pénitentiaires, mais c’est silence-radio sur les nombreuses condamnations de la Belgique (notamment de la Cour européenne des droits de l’homme) concernant la situation déplorable des prisons en ‘‘conditions normales’’, c’est-à-dire en dehors des grèves. Le système pénitentiaire belge figure aussi, en permanence, en bonne place dans les rapports d’Amnesty International.

Le sous-investissement est non seulement une question d’infrastructures négligées et délabrées (à l’instar des écoles, des musées, des tribunaux, des tunnels,…), mais aussi de personnel trop limité, en sous-effectif à la suite de décennies d’assainissements budgétaires. Depuis 2014 à peine, le nombre de gardiens de prison est passé de 8.200 à moins de 7.000. Le nombre de détenus dépasse, par contre, maintenant les 11.000 pour moins de 10.000 places. Résultat: un personnel surchargé de travail avec beaucoup de malades (de longue durée). Mais même à cet égard, la presse ne lâche pas prise : les grévistes sont accusés d’être en congé maladie de manière à garder leur salaire alors qu’ils sont en grève. La réalité est toute autre. Entre le 26 avril et le 12 mai, 294 contrôles ont été effectués : 10 agents avaient une absence justifiée, mais ont été remis au travail plus rapidement et 2 agents avaient une absence injustifiée. La situation dans les prisons est intolérable tant pour les prisonniers que pour les agents. Alors que certains commentateurs voudraient nous faire croire que ce sont les gardes qui sont fautifs du peu d’activités pour les prisonniers, c’est en réalité le résultat logique du manque de personnel.

À cela vient s’ajouter une politique qui pousse beaucoup de gens vers les prisons. Le sous-financement du secteur de la santé mentale implique – malgré les nombreuses condamnations d’organismes inter nationaux – que des centaines de détenus sont enfermés dans la prison plutôt que d’être accueillis dans une structure appropriée. Mais c’est vrai, les détenus ne peuvent pas voter… Les politiciens bourgeois et les médias ne s’intéressent aux conditions inhumaines du système carcéral qu’en cas de grève, pour dénigrer celle-ci. Et leur seule solution, c’est de s’en prendre au droit de grève.

Il faut plus de moyens !

Cela fait longtemps déjà que les agents pénitentiaires luttent pour des conditions de travail humaines, ce qui signifie plus de personnel. Les gouvernements successifs s’en sont tenus à de vagues promesses jamais concrétisées. Ce n’est pas une surprise s’ils éprouvent de la méfiance envers une nouvelle ‘‘réforme’’ qui ne comporte aucune augmentation fondamentale du budget, bien au contraire.

En dépit d’un effort persistant pour faire jouer la division communautaire – les syndicats flamands ont accepté les propositions du Ministre Geens, tandis que les gardiens wallons les ont rejetées – ce n’est qu’une question de temps avant que de nouvelles grèves éclatent en Flandre. Le nombre d’agents est minimal et le remplacement de ceux qui partent en pension n’est garanti que pour 2016 dans le projet de Geens.

Le sous-financement systématique de tous les services publics, y compris les forces de sécurité, ne rend pas non plus le remplacement des gardiens de prison des plus évidents. Après plus de deux semaines, la colère a commencé à se diffuser dans la police et il a été question d’une éventuelle action de grève. Le gouvernement a ensuite envoyé l’armée, qui a immédiatement répondu qu’elle était déjà surchargée et ne voulait pas être utilisée pour briser la grève. Les pompiers de Liège ont déposé un préavis de grève après que l’on ait fait appel à eux pour la prison de Lantin. Pendant ce temps, même les magistrats menacent de partir en grève en juin parce qu’ils ne peuvent plus faire leur travail correctement dans le cadre actuel. Eux aussi font face à une pénurie systématique du personnel, à l’insuffisance de moyens et à des infrastructures obsolètes.

C’est pareil dans tous les services publics et dans toutes les infrastructures. Giuseppe Pagano, professeur de finances publiques à l’Université de Mons, donne un aperçu du désinvestissement dans l’infrastructure publique dans une interview accordée au Soir (11 mai) : ‘‘Depuis le milieu des années 1970, le désinvestissement est constant. À chaque crise, on passe sous un palier et on ne remonte jamais au-dessus : on était entre 4 et 4,5 % du PIB d’investissements publics dans les années 70, on est tombé à 3 % dans les années 80, on est à 2,4 % en 2015. (…) La volonté des pouvoirs publics de diminuer les dépenses en personnel est aussi très claire. Tout ceci alors que la population belge continue à augmenter et dans le même temps ses besoins en services publics. Concernant le personnel, on peut faire des gains de productivité. Mais ces gains sont très difficiles à réaliser dans les métiers d’accompagnement physique des gens, comme l’enseignement, les soins de santé ou les prisons.’’

Mettre un terme à ces conditions inhumaines de détention signifie de bouleverser l’ensemble de la politique. Il nous faut un plan massif d’investissements publics pour satisfaire les nécessités sociales. Les prisons déclarées trop vieilles à de nombreuses reprises doivent être fermées ou rénovées si c’est possible. La détention provisoire doit être limitée autant que possible, mais même l’extension sensible de la surveillance hors de prison par bracelet électronique exige du matériel et du personnel. Les personnes souffrant de troubles mentaux ne doivent jamais être envoyées en prison. Cela signifie de revoir le financement des établissements adéquats.

Halte aux coupes budgétaires

Le gouvernement est prêt à toutes les absurdités budgétaires pour offrir encore plus de cadeaux aux riches et aux grandes entreprises. Les détenus, les gardiens de prison et la politique de réinsertion ne bénéficieront jamais de pareille bienveillance.

Le combat des agents pénitentiaires est révélateur de la situation qui prévaut dans l’ensemble des services publics, à tous les niveaux de pouvoirs, fédéral, régional, communautaire, provincial et communal. Si nous ne parvenons pas à mettre fin à l’austérité, le gouvernement continuera à détruire les services publics, à l’instar des gouvernements précédents, mais à un rythme plus soutenu. Une défaite dans un secteur sera le prélude à une autre dans un secteur différent.

Le gouvernement vise aussi à s’en prendre au droit de grève.

L’instauration d’un service minimum serait un butin important pour cette bande d’apprentis-Thatcher. Mais les agents pénitentiaires, à l’image des cheminots et des contrôleurs aériens, déclarent qu’ils sont incapables d’assurer le minimum requis pour leur tâche dans les conditions actuelles en temps normal. Imposer un service minimum n’a rien à voir avec la défense des usagers des services publics, il s’agit de casser le droit de grève pour continuer tranquillement la politique de désinvestissement et d’augmentation de la charge de travail pour le personnel. Si le service minimum est instauré dans les prisons, il ne faudra pas longtemps avant qu’il ne soit imposé aux autres services publics.

Le gouvernement lance déclaration de guerre après déclaration de guerre. Ne pas riposter signifie être vaincu. Les prisonniers et les gardiens doivent espérer que le nouveau plan d’action des syndicats sera massivement suivi comme le précédent, mais que cette fois-ci il ne sera pas stoppé avant la chute du gouvernement.


Des gardiens privés ?

La N-VA, qui n’en rate décidément pas une, veut privatiser le secteur des agents pénitentiaires. L’exemple des États-Unis illustre suffisamment à quel point cela est néfaste pour la société. Mais pas besoin d’aller aussi loin. Le Centre de psychiatrie légale de Gand, où se trouvent des détenus avec des troubles mentaux, est géré par le privé. Le rapport des services flamands d’inspection sanitaire a conclu que les services de base n’étaient pas assurés en raison du manque de personnel. Fin décembre, le centre a renvoyé un détenu dans une prison ordinaire parce que toutes les cellules d’isolement étaient utilisées à la suite d’incidents divers. Le régime devient plus répressif à mesure que le manque de personnel est important. Ni les travailleurs, ni les détenus ne sont servis par une telle situation.

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