30 ans après, le souvenir de Tchernobyl reste un enjeu pour la classe capitaliste

Tchernobyl

Ce mois d’avril marque le 30e anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl. Le 26 avril 1986, une explosion dans le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl éventre le toit de celui-ci et projette violemment dans l’atmosphère une quantité énorme d’éléments radioactifs. S’ensuit un terrible incendie alors que le cœur du réacteur reste en fusion à l’air libre, provoquant encore d’importants rejets jusqu’au 5 mai.

Par Clément (Liège)

Au total, l’explosion et l’exposition du réacteur libéreront 50 millions de curies d’isotopes radioactifs(1) avec un taux de radiation 200 fois supérieur à celui de la bombe d’Hiroshima(2). Jusqu’à la catastrophe de Fukushima en 2011, Tchernobyl fut le seul accident nucléaire classé comme ‘‘accident majeur’’ sur l’échelle internationale de classification des évènements nucléaires (INES), ce type d’accident est caractérisé par des ‘‘effets considérables sur la santé et l’environnement’’.(3)
Dans les années qui suivirent ce désastre, 346.000 personnes furent déplacées par les autorités dont 116.000 immédiatement après l’accident.(4) Plus de 600.000 ‘‘liquidateurs’’ auront participé aux activités de confinement et de décontamination, s’exposant à des taux de radiation bien supérieurs à la normale.(5) Aujourd’hui, entre 5 et 8 millions de personnes vivent encore dans des zones contaminées.(6)

Les conséquences de la catastrophe minimisées par le lobby du nucléaire

Les chiffres les plus souvent repris quant à l’impact sur la santé et l’environnement proviennent d’une étude coordonnée par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), dont un des objectifs est de ‘‘hâter et d’accroître la contribution de l’énergie atomique à la paix, la santé et la prospérité dans le monde entier.’’(7) Intitulé ‘‘Tchernobyl : l’ampleur réelle de l’accident’’(8), le rapport de cette étude ‘‘donne des réponses définitives et des moyens de reconstruire des vies’’… en minimisant l’impact de l’accident sur la santé et la vie des victimes ! On y annonce que 4 000 personnes au maximum pourraient décéder des suites d’une exposition aux radiations ; et qu’à l’exception des enfants touchés au moment de l’explosion, il n’y a pas eu d’augmentation remarquable de cancers, leucémies et autres maladies. Le caractère orienté de l’étude, les liens étroits qu’entretiennent plusieurs acteurs avec l’industrie nucléaire, et l’approche restrictive dans la définition même de l’impact de l’accident furent plusieurs fois dénoncés, de même que le manque de représentation des scientifiques issus des pays les plus touchés.

Un tout autre son de cloche émane d’ailleurs de plusieurs autres rapports dont ceux publiés par Greenpeace en 2006(9) et par l’Academy of Science de New-York en 2009(10) Ces deux études, conduites par des scientifiques issus des pays directement touchés (Ukraine, Biélorussie, Russie) se basent sur les enregistrements de données médicales des centres hospitaliers des zones contaminées, sur des données de terrain fournies par de nombreux professionnels locaux, etc. Ces études font état de 200.000 cas de surmortalité liés à la catastrophe de Tchernobyl uniquement pour les trois pays les plus touchés, ainsi que d’une augmentation significative du nombre de cancers, de leucémies et de maladies cardio-vasculaires. La seconde étude rapporte également un vieillissement prématuré, l’âge biologique des Ukrainiens vivant dans les zones contaminées dépassant de 7 à 9 ans leur âge réel, cette différence pouvant atteindre 15 ans chez les liquidateurs.

Le nucléaire, une alternative écologique ?

Pour la classe capitaliste, la question de l’impact concret d’un évènement comme la catastrophe de Tchernobyl n’est évidemment pas neutre. Dans un contexte ou l’impact du réchauffement climatique ne peut plus être nié et où de larges couches de la population sont prêtes à se mobiliser sur cette question – ce qui fut par exemple illustré par les fortes mobilisations autour de la COP21 en dépit des difficultés posées par l’état d’urgence -, on assiste à de nombreuses tentatives de présenter l’énergie nucléaire comme un alternative écologique produisant relativement peu de CO2, dans le cadre d’un ‘‘développement durable’’. À cet effet, minimiser les risques et le potentiel destructeur de l’énergie nucléaire civile est indispensable.

Lorsque la classe dominante souhaite se lancer dans des opérations de propagande, elle sait s’en donner les moyens. Déjà en 1959, un accord référencé ‘‘Wha 12-40’’ liait l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Dans l’article 1, paragraphe trois, on peut notamment lire ‘‘chaque fois que l’une des parties se propose d’entreprendre un programme ou une activité dans un domaine qui présente ou peut présenter un intérêt majeur pour l’autre partie, la première consulte la seconde en vue de parvenir à une harmonisation des vues par un commun accord.’’(11) En 1999, l’AIEA obtint de l’OMS qu’elle ne prenne jamais de position publique qui puisse lui nuire.(12) Dans les faits, cela conduit l’OMS à presque systématiquement reprendre les chiffres fournis par l’AIEA, laquelle est par ailleurs historiquement liée au Groupe des Fournisseurs Nucléaires (GFN) qui rassemble des représentants des 46 plus gros fournisseurs de matières fissiles(13) et plus généralement au lobby nucléaire. Ces collusions refirent d’ailleurs surface suite à l’accident de Fukushima lorsque le rapport de l’OMS fut encore une fois remis en cause par Greenpeace ainsi que par l’Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire français (IRSN).(14)

Les effets continuent à se faire sentir

Au-delà de l’aspect sanitaire, les conséquences sociales de l’accident de Tchernobyl n’ont pas encore fini de faire sentir leurs effets. Des centaines de milliers de déplacés ont tout perdu suite à la catastrophe. Pour les populations ayant été affectées par l’exposition aux radiations, trouver un emploi relève de la gageure tant les patrons sont réticents à les embaucher en raison des nombreuses maladies dont ils sont victimes et des jours d’arrêt de travail qui en découlent. Si une allocation est effectivement versée à environ 7 millions de personnes(15), celle-ci n’a pas augmenté depuis 1996 et reste bien inférieure au manque à gagner consécutif aux difficultés de trouver un emploi, au coût des médicaments dont le prix a explosé, etc. Ces difficultés spécifiques s’ajoutent à l’exploitation brutale dont sont victimes les travailleurs de l’ex bloc soviétique ; aux pénuries dans les logements sociaux, dans le secteur de la santé, etc. (16)

Parce qu’elle repose sur des technologies connues de longue date, la fission nucléaire est une source d’énergie au coût de production relativement faible et a donc la faveur de la bourgeoisie capitaliste. La question de la sécurité, la difficile gestion des déchets radioactifs et les coûts indirects colossaux (qu’il s’agisse du coût engendré par une future catastrophe ou de celui du démantèlement et de la décontamination d’installations devenues obsolètes) sont balayés au nom du profit immédiat.

Le discours dominant sur Tchernobyl ne cesse d’accabler la catastrophique gestion du nucléaire par les autorités soviétiques dont la bureaucratie, poussée par de profonds problèmes économiques, exerça une pression énorme sur des techniciens travaillant sur un réacteur de mauvaise facture. Si l’on y regarde de plus près, on constatera cependant que l’approche capitaliste du nucléaire n’est pas bien différente. La récente actualité belge est à cet égard éclairante. 55% de l’électricité belge provient du nucléaire, secteur entièrement contrôlé par le secteur privé (EDF et Engie) et qui a connu en 2011 des réductions d’emplois chez les agents de sécurité.(17) Les réacteurs de Doel 1 et 2 mis en service en 1975 et dont la durée de vie était estimée à 40 ans, ont été prolongés de 10 ans par un simple vote et en infraction avec les conventions internationales. Les réacteurs de Doel 3 et Tihange 3 ont été arrêtés et relancés à deux reprises suite à la découverte de microfissures dans les cuves, suscitant l’inquiétude de la population belge, mais aussi de celle des pays limitrophes. Lors du dernier redémarrage, plusieurs incidents se sont déclarés. Par ailleurs, aucun système de ventilation filtrée (permettant d’empêcher l’air contaminé de sortir en cas de fusion dans un réacteur) n’est encore installé sur les centrales nucléaires belges. La majorité des centrales devraient en être équipées dans le courant 2017 à l’exception des deux centrales obsolètes qui devront attendre 2019 en raison des incertitudes qui pesaient sur leur avenir avant que le gouvernement ne prolonge leur durée de vie d’un coup de baguette magique.

Nous ne sommes pas à l’abri d’incidents majeurs et, parce qu’une transition vers une production électrique basée sur les énergies renouvelables irait à l’encontre de ses intérêts économiques à court terme(18), la classe capitaliste est incapable de nous proposer une alternative aux dangers du nucléaire. Pour garantir tant la sécurité que l’approvisionnement énergétique des travailleurs, il est primordial de créer un secteur nationalisé de l’énergie, seul à même de gérer une sortie du nucléaire et une réorientation de la production énergétique vers des sources non fossiles sans pertes d’emplois.

Notes
1. https://www.iaea.org/sites/default/files/infcirc519_fr.pdf
2. http://www.futura-sciences.com/magazines/matiere/infos/dossiers/d/physique-tchernobyl-consequences-catastrophe-251/page/2/
3. http://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/La_surete_Nucleaire/echelle-ines/Pages/1-criteres-classement.aspx?dId=8a15297f-e5f9-42cd-9765-ed2049203773&dwId=a1de7c68-6d78-4537-9e6a-e2faebed3900
4. http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs303/fr/
5. idem
6. http://www.chernobyl-day.org/IMG/pdf/rapport-greenpeace2006.pdf p.9
7. https://www.iaea.org/about/statute Article 2 : objectifs
8. http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2005/pr38/fr/
9. http://www.chernobyl-day.org/IMG/pdf/rapport-greenpeace2006.pdf
10. http://www.strahlentelex.de/Yablokov_Chernobyl_book.pdf
11. http://www.criirad.org/actualites/dossiers%202007/accord_oms-aiea/Accord%20OMS-AIEA.pdf
12. https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique1-2006-1-page-17.htm
13. http://www.monde-diplomatique.fr/2012/12/SINAI/48507
14. http://www.facsc.ulg.ac.be/cms/c_1502451/fr/le-rapport-de-l-oms-sur-la-catastrophe-de-fukushima-deplait
15. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/heritage-sovietique/tchernobyl.shtml
16. http://www.socialisme.be/fr/4923/tchernobyl
17. http://www.socialisme.be/fr/15223/le-nucleaire-et-ses-petites-miseres-ne-laissons-pas-le-prive-jouer-avec-nos-vies
18. À ce titre, voir : http://www.socialisme.be/fr/11741/les-forces-du-marche-freinent-lenergie-renouvelable

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