Pologne : levée de bouclier pour le droit à l'avortement

pologne_avortementLe 31 mars, la premier ministre polonaise Beata Szyd?o a déclaré qu’un projet de loi interdisant totalement l’avortement était en discussion. De nos jours, l’avortement n’est légal en Pologne qu’en cas de viol, de danger pour la vie de la femme enceinte ou de malformations du fœtus. Les médecins qui pratiquent l’IVG clandestinement risquent des peines de prison.

Par Tiphaine, Alternatywa Socjalistyczna (section polonaise du Comité pour une Internationale Ouvrière)

Les évêques polonais ont appelé dans une lettre ouverte à revenir sur ce « compromis », pour que l’avortement devienne illégal dans tous les cas sauf danger pour la femme, et que toutes les personnes impliquées puissent être poursuivies. Après Beata Szyd?o, plusieurs dirigeants du parti conservateur au pouvoir (le PiS) ont apporté leur soutien à cette proposition.

Suite à la victoire électorale du PiS, on pouvait s’attendre à des attaques contre les droits des femmes. Mais il ne semble pas que le gouvernement comptait jouer cette carte si tôt, alors qu’il profite encore de l’effet de ses promesses.

Malgré le caractère imprévu de cette annonce, la réaction spontanée a été énorme. Des rassemblements ont eu lieu dès le lendemain. Les groupes féministes et le parti de gauche Razem ont mobilisé sur les réseaux sociaux pour des manifestations le dimanche 3 avril. Un des groupes facebook a réuni 66 000 utilisateurs en 2 jours !

Ce dimanche 3 avril, 4000 à 5000 personnes se sont rassemblées à Varsovie, 2000 à Cracovie et plusieurs centaines dans différentes villes de Pologne, ainsi qu’à Londres et Oslo. Pour la Pologne, ces chiffres représentent une grande mobilisation. A Varsovie et Cracovie, les manifestants étaient plus nombreux que pour la journée internationale des femmes, alors que celle-ci est préparée plusieurs mois à l’avance.

Un autre mot d’ordre était de se retirer de l’église le dimanche matin lors de la lecture de la lettre des évêques. Bien entendu, beaucoup admettent qu’ils se sont rendus à la messe exprès pour cette occasion, mais le nombre à sortir a été impressionnant et les vidéos des églises se vidant ont fait le tour d’internet. Dans certaines églises de Cracovie, les prêtres ont préféré renoncer à lire le texte.

Les cintres, symbolisant les avortements clandestins, sont devenus le symbole du mouvement. A Varsovie, les manifestants en ont couvert les arbres en face du conseil municipal. Ils rappellent que l’illégalité de l’avortement n’en limite pas le nombre mais en rend les conditions plus dangereuses. Chaque année, 80.000 à 200.000 femmes en Pologne avortent dans l’illégalité, avec le manque de suivi médical et le coût financier que cela représente. Outre la santé, d’autres slogans revendiquent le droit de disposer de son corps et la fin de l’ingérence de l’Eglise dans la politique polonaise.

Dès le lundi 4 avril, la Premier Ministre a battu en retraite et déclaré qu’elle n’avait fait « qu’exprimer une opinion personnelle ». Plutôt que de faire rentrer les manifestants chez eux, cela va probablement leur donner confiance en leur force à faire plier le gouvernement. Un nouveau comité, « Entente pour Reconquérir le Choix », appelle à manifester samedi devant les bureaux du Premier Ministre.

Au sein de ce comité, certains s’opposent projet de loi sans vouloir revendiquer l’avortement libre et gratuit. Ce serait une erreur, premièrement parce que le soi-disant « compromis de 1993 » ne garantit même pas de pouvoir avorter dans les cas prévus par la loi : les médecins ont le droit de refuser de pratiquer une IVG (et même de prescrire la contraception!) au nom de leurs convictions personnelles. Les femmes sont alors contraintes de se rendre d’hôpital en hôpital pour trouver un médecin qui accepte de s’occuper d’elles. Certains font aussi en sorte de prolonger la procédure jusqu’à ce que le délai légal soit dépassé.

Mais ce serait aussi manquer une occasion unique d’obtenir un droit réel à l’avortement. La spontanéité et l’ampleur, relativement à la Pologne, de la réaction, montrent que nous pourrions être à l’aube d’un mouvement de masse qui pourrait faire fléchir le gouvernement malgré le lobby de l’église. Si c’était le cas, cela serait aussi un formidable précédent pour les futures luttes sous le mandat du PiS. Si au contraire nous laissons passer cette occasion, il faut s’attendre à d’autres attaques contre les droits des femmes, des LGBT et des migrants.
Une partie d’Entente pour Reconquérir le Choix est pour une approche apolitique, c’est à dire pour se limiter à la question de l’avortement et ne pas afficher son appartenance politique au sein du mouvement. Cela ne pourrait qu’affaiblir la lutte, alors que la lier aux questions sociales, notamment les bas salaires, la faible converture sociale et les coupes dans les hôpitaux, permettrait de l’élargir à de nouvelles couches de la population.

Alternatywa Socjalistyczna s’est jointe avec enthousiasme à cette lutte pour obtenir le droit à l’avortement libre et gratuit, tout en montrant en quoi le capitalisme n’offre aucune porte de sortie pour les femmes, mais utilise également leur oppression pour maintenir sa domination.

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