Vente d’armes à l’Arabie saoudite: choisir entre l’éthique et l’emploi?

La récente exécution de 47 prisonniers en Arabie saoudite a relancé la polémique concernant les ventes d’armes vers ce pays. Avec ces exécutions, le régime a notamment voulu lancer un message fort à la population dont il craint la colère suite aux coupes budgétaires dues à la chute des prix du pétrole. C’est aussi l’expression du mécontentement des dirigeants saoudiens sunnites face au rapprochement de ses alliés occidentaux avec l’Iran chiite, le rival de l’Arabie saoudite dans la région avec lequel elle est en conflit au Yémen, en Syrie et ailleurs.

Par Boris Malarme

Course à l’armement et marchés juteux

Interdiction de rassemblement, chasse aux opposants (particulièrement issus de la minorité chiite), torture, exécutions,… on peut difficilement comprendre que ce pays s’est retrouvé à la tête du groupe consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ! La coupable complaisance des puissances occidentales s’explique bien entendu par les vastes réserves de pétrole saoudiennes, mais aussi par le rôle de puissance régionale alliée joué par l’Arabie saoudite dans la défense des intérêts des puissances occidentales au Moyen-Orient, comme l’a encore rappelé récemment Paul Magnette. Il est aussi question de très juteux contrats, la Belgique n’étant pas en reste. Environ 1.500 entreprises belges commercent avec l’Arabie saoudite, les secteurs pharmaceutique et chimique comptant pour un tiers des exportations belges vers ce pays.

L’instabilité, les guerres et les conflits sectaires au Moyen-Orient entrainent une course à l’armement qui assure les bonnes affaires des marchands de canons. C’est là-bas que la croissance des budgets de la défense est la plus forte : ils représentent aujourd’hui à près un tiers des dépenses publiques. En 2014, l’Arabie saoudite est d’ailleurs devenue le premier importateur d’armes au monde (des importations à hauteur de 6,4 milliards de dollars). Amnesty International a démontré que le stock d’armes de Daesh (l’Etat islamique) provient des exportations d’armes en provenance des Etats-Unis, de la Chine, de la Russie et de l’Europe dans la région. Des armes belges vendues au défunt régime de Kadhafi en Lybie sont passées aux mains d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et d’autres vendues au Qatar aux mains de Daesh.

Le vice-président exécutif de la multinationale américaine Lockheed Martin, Bruce Tanner, a déclaré que sa compagnie envisageait des ‘‘bénéfices indirects’’ à la guerre en Syrie en tablant sur une croissance des ventes d’avions de chasse F-22 et F-35, une nécessité à ses yeux pour faire face aux avions russes déjà présents sur le terrain. Le gouvernement fédéral belge a d’ailleurs approuvé peu avant Noël le Plan stratégique de la Défense qui prévoit 9,2 milliards d’investissement d’ici à 2030, dont l’achat de 34 chasseurs-bombardiers et de deux frégates.

Sacrifier l’emploi à l’éthique ?

Tout le débat sur les licences d’exportations d’armes vers l’Arabie saoudite est présenté comme un choix à opérer entre l’éthique et l’économie, dont l’emploi. Pour Geert Bourgeois et le gouvernement de droite flamand, l’occasion était trop belle de jouer sur l’éthique puisque ces licences ne comptaient en 2014 que pour 600.000 euros en Flandre alors qu’il s’agissait la même année de près de 400 millions d’euros pour la Wallonie. Le Canada figure également en bonne place des partenaires privilégiés de la Belgique sur ce plan, un contrat de 3,2 milliards d’euros ayant été conclu entre l’entreprise belge CMI Defence et la canadienne General Dynamics pour une durée de 15 ans. CMI fournit des tourelles de tank au Canada qui à son tour les installe sur des chars complets vendus ensuite… à l’Arabie saoudite ! On est en droit de se demander si ces chars finiront un jour au Yémen.

PS, cdH et MR défendent ces exportations au nom des 10.000 emplois directs et indirects que compte le secteur en Wallonie. Les Métallurgistes Wallonie-Bruxelles de la FGTB s’opposent à l’idée d’un embargo wallon portée par Ecolo pour défendre les emplois à la FN-Herstal et dans le secteur. Le PTB, empêtré lui aussi dans la logique de l’économie de marché, défend l’embargo à condition qu’il s’agisse d’une mesure prise au niveau européen qui s’accompagne de subsides à l’emploi tels que ceux qui ont suivi l’embargo vers la Russie. Naïma Regueras, présidente de la CNAPD (Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie), clarifie quant à elle qu’aucune solution ne peut venir du gouvernement wallon et appelle les syndicats à travailler ensemble à envisager des pistes pour la reconversion des entreprises wallonnes d’armement.

La production de ces entreprises peut être convertie en une production socialement utile sur base du savoir-faire tout en défendant chaque emploi et en mettant fin au commerce d’arme. Cela nécessite, contrairement au souhait du gouvernement wallon de privatiser la FN-Herstal, que l’ensemble du secteur soit aux mains du public. Cela exige encore un plan de reconversion démocratiquement élaboré par le mouvement des travailleurs accompagné d’investissements publics massifs dans les secteurs qui répondent aux nécessités sociales. Contre le chaos du marché, il nous faut une alternative rationnellement et démocratiquement planifiée, ce qui automatiquement impose de construire une société socialiste démocratique.

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