Le 18 janvier, l’Autorité portuaire à Anvers a tenu une conférence de presse sur le bilan record de 2015, avec quelque 208,4 millions de tonnes de marchandises ayant transité par le port de la métropole l’an dernier. Les syndicats ont mené campagne aux portes de la conférence : ce résultat est le fruit des efforts des dockers ! Mais en guise de remerciement, ces derniers voient leur statut attaqué.
Par Luc (Anvers), article tiré du mensuel Lutte Socialiste
Suite à plusieurs plaintes, la Commission européenne a ouvert une procédure d’infraction contre la loi-Major, un arrêté royal du 12 janvier 1973 qui assure que le travail dans un port est effectué par des travailleurs reconnus, bien formés, conscients des dangers propres au travail portuaire. Le Vice-Premier ministre Kris Peeters a travaillé à une proposition de ‘‘modernisation’’ qui, selon lui, satisfera la Commissaire européenne aux Transports, la slovène Violeta Bulc. Tout à fait dans la lignée du gouvernement, il propose de laisser place à la négociation jusqu’au 1er juillet et, en cas d’échec, il en fera un texte de loi. C’est plutôt pratique pour le gouvernement et le patronat portuaire de pouvoir se cacher derrière l’Europe. Espèrent-t-ils ainsi se protéger de la colère des dockers ?
Le journal économique De Tijd s’est penché sur cette proposition dans son édition du 15 décembre. Le système de ‘‘pool’’ serait libéralisé alors qu’il a jusqu’ici assuré que seuls les dockers reconnus puissent travailler dans un port. Une phase de transition est prévue de 2017 à 2020 pour progressivement diminuer le nombre de contrats permanents. A partir de 2020, les employeurs pourraient également procéder à des recrutements par contrats journaliers, pour autant qu’ils travaillent encore au côté de dockers reconnus. La proposition de Peeters repose aussi sur une flexibilisation du travail en équipe, notamment en vue d’effectuer une plus grande variété de tâches.
Pour les syndicats, les contrats journaliers et les équipes multitâches constituent des points de rupture. La sécurité des travailleurs est ainsi mise en péril et le principe du ‘pool’ ne s’appliquera plus dans les faits. Même certains patrons sont opposés aux contrats journaliers. Une bonne partie des travailleurs portuaires avec des contrats à long terme travaillent pour de gros acteurs du secteur, mais la flexibilité et la productivité sont déjà élevées. Un journaliste néerlandais avait d’ailleurs fait remarquer en décembre dans les pages du Het Laatste Nieuws: ‘‘Votre croissance de 8% du volume du transport maritime nous fait mal, c’est certain. Chez nous, la croissance est nulle. Nous admirons également vos dockers qui déchargent les navires efficacement et rapidement.’’ Dans de telles circonstances, cela n’a probablement pas beaucoup de sens d’entrer dans un conflit social de longue haleine.
La seconde partie de la proposition de Peeters traite des travailleurs qui assurent la logistique. Outre le contingent général des activités liées à l’eau, environ 6.000 dockers, il existe aussi un contingent logistique qui représente environ 1.500 travailleurs. La flexibilisation a beaucoup plus touché ce domaine. Il est déjà aujourd’hui possible de n’y engager que des intérimaires et de les reconnaitre par la suite. Selon Fernand Huts (surnomé le Tsar du port d’Anvers) et d’autres patrons, c’est principalement là qu’il faut frapper. La proposition de Peeters permettrait aux employeurs de ne plus les reconnaitre du tout et d’engager qui ils veulent. Ces travailleurs logistiques tomberaient toutefois toujours sous la même Commission paritaire et connaitraient donc les mêmes salaires et conditions de travail. Dans la pratique, cela ne ferait donc aucune différence majeure avec la situation actuelle, mais cela ouvre bien sûr la porte à de nouvelles attaques ultérieures. Pour Huts et d’autres patrons, de même que pour l’Open VLD et la N-VA, ce n’est pas assez, il faudrait déjà s’en prendre aux conditions de travail et aux salaires.
Négocier et faire des concessions, cela n’arrêtera rien
Le secrétaire fédéral Marc Loridan (FGTB – Union Belge du Transport) a déclaré qu’il y a bien des négociations, mais uniquement à leurs conditions. Mais la menace du ministre Peeters d’appliquer de force sa proposition en l’absence d’accord entre syndicat et patronat place les patrons aux commandes des discussions. Seule la crainte de troubles sociaux explique pourquoi ils veulent rencontrer les syndicats.
La stratégie actuelle des syndicats est de convaincre quelques grands acteurs du secteur à prendre ouvertement position contre certaines des atteintes à la loi-Major. Certains des patrons ont ainsi déclaré ne pas être demandeurs de l’introduction des contrats journaliers.
Ne compter que là-dessus, c’est une stratégie dangereuse. Une entreprise comme DP World est par exemple mondialement connue pour ses positions loin d’être pro-syndicales. D’autre part, d’autres concessions risquent d’être exigées en procédant de la sorte. Il est d’ailleurs frappant de voir que dans les tracts syndicaux, seuls les contrats journaliers et les équipes multitâches constituent des points de rupture, pas l’embauche de contrats à long terme à l’extérieur du ‘pool’, ni l’assouplissement du système de changement d’équipe, ni la fin du travail portuaire reconnu dans la logistique.
Pas mal de concessions ont déjà été faites par les travailleurs, mais les attaques se poursuivent. A Zeebrugge, les équipes multitâches sont acceptées et, à Gand, un accord a été conclu avec les syndicats pour réviser le chargement et le déchargement des navires. Ben Weyts (N-VA) a expliqué: ‘‘Cet accord permet de décharger un navire avec un seul docker au lieu de quatre.’’ Les concessions n’arrêteront pas les attaques. Autre exemple : la scission entre un contingent général de dockers et un logistique n’a pas fait cesser les attaques, au contraire. Aujourd’hui, ils sont tous couverts par la même Commission paritaire, mais combien de temps cela durera-t-il encore ? Toutes ces concessions sont aussi responsables de la division des travailleurs, non seulement entre les différents ports belges, mais aussi entre catégorie de travailleurs.
La loi-Major fut acquise par la lutte, c’est ainsi que nous la protègerons
La même logique est à l’œuvre au niveau européen. Précédemment, l’Europe a lancé diverses directives portuaires qui ont attaqué les dockers européens (les ‘‘paquets portuaires’’ 1 et 2 de 2003 et 2006). Les dockers ont lutté en masse à chaque reprise dans toute l’Europe. Malgré une tentative de criminaliser le mouvement en 2006, ce fut une victoire. L’establishment européen craignait la grève générale de tous les ports européens. Depuis lors, il a changé son fusil d’épaule et les régimes spéciaux des dockers ont été attaqués individuellement, pays par pays, afin d’éviter toute lutte unifiée.
En 2003 et 2006, c’est la lutte qui a payé et permis de repousser l’offensive. Il faut faire de même aujourd’hui. De nombreux dockers se plaignent du manque d’informations. Il est possible d’y remédier en organisant des assemblées générales pour discuter de la situation et de la mise en œuvre d’un plan d’action.
Le danger est que la lutte reste isolée. La fois dernière, des actions avaient eu lieu à travers toute l’Europe. Aujourd’hui, il faudra tisser des liens avec d’autres secteurs pour riposter à la libéralisation et au dumping social. Pensons au rail ou au transport routier. Avec un bon plan d’action, il est possible de lutter ensemble et d’arracher des victoires.