Ne comptons pas sur les politiciens néolibéraux pour assurer notre sécurité

Plaidoyer pour une position politique active de la part du mouvement des travailleurs

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L’armée déployée à Anvers. Photo : MediActivista.

‘‘Notre vie quotidienne sera différente dans le futur.’’ Avec cette déclaration dans une interview au quotidien flamand Het Nieuwsblad (le 12 décembre), le Premier ministre Charles Michel vise à préparer les esprits au statut semi-permanent de certaines mesures d’urgence adoptées en novembre. Fin janvier, des soldats patrouillaient toujours dans les rues, dans les gares et dans divers endroits bondés.

Par Bart Vandersteene, article tiré de l’édition de février de Lutte Socialiste

Les terribles attentats de Paris qui ont pris pour cible la population ordinaire – lors d’un concert, dans un restaurant, lors d’un évènement sportif,… en bref, dans des endroits où nous nous trouvons tous à un moment ou l’autre – ont profondément marqué les esprits. Selon un sondage réalisé par la RTBF et La Libre, 63 % des Belges sont assez ou très préoccupés par le terrorisme tandis que 50 % des sondés, un chiffre énorme, affirment vouloir adapter leur comportement.

Pas un jour ne passe sans que le monde ne soit secoué par un nouvel acte de terrorisme, de l’Indonésie à l’Irak en passant par le Burkina Faso, la Syrie, le Nigeria et la Turquie. Les médias rapportent en outre quotidiennement des nouvelles concernant la traque des réseaux terroristes en Belgique. Fin 2015, le gouvernement a alloué 400 millions € supplémentaires aux forces de sécurité. Tous les ministères réclament une partie de cette somme: pour la police locale, les tribunaux, la police fédérale, la protection des centrales nucléaires, l’armée, la Sureté de l’État,… ‘‘Si nous devions respecter les montants de toutes les listes de souhaits, nous pourrions parler de milliards d’euros’’ a-t-on pu lire dans De Standaard (20/01/16). Aucun ministre ne veut passer pour ‘‘faible’’.

Dans le même temps, il a été décidé que l’armée belge prendra part aux opérations militaires en Syrie, y compris dans les bombardements aériens. La Belgique va acheter quarante avions de chasse F35 pour un minimum de 3,5 milliards €. Il est bien commode de passer sous silence le fait que les interventions militaires au Moyen-Orient représentent un terreau extrêmement fertile pour le terrorisme et constituent une cause majeure de la crise migratoire que nous connaissons aujourd’hui. Ces mesures n’apporteront aucune sécurité.

Nous voulons une véritable sécurité, pour tout le monde !

Aujourd’hui, les politiciens, les chefs des forces de sécurité et les médias bourgeois exercent un monopole sur le débat concernant la sécurité. C’est un discours militaire et un langage guerrier qui exacerbent l’imminence d’une attaque terroriste et qui stigmatisent les réfugiés et les migrants. C’est la rhétorique classique du diviser pour mieux régner, qui monte divers groupes de la population les uns contre les autres. Les contradictions sociales, les assainissements budgétaires, les profits et les salaires excessifs des managers ainsi que l’impact de plus en plus brutal du système capitaliste sont repoussés en arrière-plan face à la menace terroriste.

Nous vivons dans un monde où l’insécurité prévaut pour la majorité de la population, l’insécurité sous toutes ses formes. En dépit de l’énorme augmentation des richesses dans la société, la vie est devenue plus incertaine et précaire pour beaucoup de gens. La société néolibérale a fait disparaitre certaines certitudes du passé et il ne faut pas y voir des phénomènes temporaires destinés à être naturellement corrigés par le néolibéralisme. C’est le résultat d’une politique où les relations de forces ont changé en faveur de la classe capitaliste, au détriment de la classe des travailleurs.

On entend souvent que la gauche ne peut pas laisser à la droite le difficile débat concernant la sécurité. Habituellement toutefois, la conclusion de la ‘‘gauche’’ établie est de reprendre des propositions de la droite. Louis Tobback (SP.a), bourgmestre et ancien ministre de l’Intérieur, a déclaré dans une interview au Knack le 2 décembre: ‘‘En effet. Il n’y a pas d’autre option que la loi et l’ordre. (…) De Wever veut plus de policiers et qu’ils soient lourdement armés, comme David Cameron et Margaret Thatcher dans le temps, il veut payer ce dispositif de sécurité renforcée avec la sécurité sociale. Nous demandons aussi une police plus forte, mais nous voulons qu’elle soit financée par les revenus d’une taxe sur les fortunes.’’

La loi et l’ordre sont les seules réponses des politiciens néolibéraux, en ce compris les Verts et les sociaux-démocrates. Seule la façon dont cette politique serait financée diffère entre la ‘‘gauche’’ et la droite. Mais les économies opérées sur les services publics, sur l’enseignement décent, sur la possibilité de chacun de disposer d’un bon boulot, sur la protection sociale, etc., tout cela compromet la capacité de chacun d’assurer sa sécurité. Aucune force de l’ordre ne peut faire face à une société qui devient de plus en plus dure. Les États-Unis ont proportionnellement à leur population le plus grand nombre de prisonniers au monde. Cela n’a pas conduit à plus de sécurité, bien au contraire.

Démantèlement de l’État-providence et durcissement de la société

Qu’est-ce qui crée la stabilité dans la vie d’un individu, d’une famille ou d’une communauté ? Avoir un toit au-dessus de sa tête sans se retrouver ruiné ; disposer d’un revenu régulier grâce à un travail agréable, satisfaisant et apprécié ; avoir un système de sécurité sociale qui assure que le malheur ne mette pas notre avenir en péril; bénéficier d’un système de soins de santé abordable et de bonne qualité ; accéder à une éducation attractive avec suffisamment d’enseignants motivés ; avoir des services publics garantissant que tout le monde ait accès à la mobilité, aux contacts sociaux et aux loisirs. Une société démocratique exige de disposer de temps et d’espace pour activement participer à la vie sociale. Voilà les conditions de base pour une société où chaque individu pourrait vivre et se développer sans crainte pour son avenir.

Dans une société où règnent les pénuries par contre, où il n’y a pas assez d’emplois pour tout le monde, où les listes d’attente débordent pour tous types de services ou de logement sociaux, où on est confronté à une justice de classe, à des services privatisés, à des écoles poubelles (etc.), les relations sociales sont mises sous pression. Cela peut mener à une politique de division qui s’appuie sur le racisme, le sexisme ou encore le fanatisme religieux. Cela entraine une concurrence entre chacun face à ces pénuries sociales.
Cette tendance n’est pas inéluctable. De plus en plus, les politiques néolibérales sont remises en question, dans les urnes et dans la rue. Mais comme les différentes luttes en Belgique ou en Grèce l’ont démontré, par exemple, avoir envie de changement ne suffit pas pour l’obtenir. Il nous faut un programme de revendications et une stratégie aussi forts que ceux de nos adversaires et avoir une détermination aussi résolue que celle des capitalistes pour défendre leurs intérêts.

Pour une approche politique collective

Seul le mouvement des travailleurs et ses organisations sociales et politiques disposent du potentiel pour organiser l’unité nécessaire pour construire la solidarité par le bas et représenter, avec un cahier de revendications, la voix de la majorité sociale dans le débat sur la sécurité.

Les syndicats pourraient organiser une campagne de syndicalisation massive parmi les réfugiés et les intégrer ainsi dans la lutte sociale afin d’éviter qu’ils soient exploités et contribuent à la pression à la baisse sur les salaires. Des exemples existent. À Anvers, un groupe de réfugiés est actif dans la campagne Tamil Solidarity. Ces réfugiés d’origine tamoule travaillent avec le soutien actif du PSL et d’autres réfugiés originaires d’Asie pour la défense de leurs droits et contre le racisme mais aussi avec et dans les syndicats belges. Niranjan est l’un des pionniers de ce travail et nous a expliqué: ‘‘Avec Tamil Solidarity, nous essayons de faire connaitre le sort des Tamouls, mais nous ne nous limitons pas à notre communauté. Nous avons manifesté début juillet à Anvers avec des militants d’origine kurde, cachemiri, pakistanaise,… contre la persécution des Rohingyas en Birmanie. Cette population est victime d’un génocide à peine connu et contre lequel rien n’a été fait. Notre meilleur allié dans la lutte contre l’oppression et l’injustice se trouve chez les autres victimes de la répression, en premier lieu dans le mouvement syndical. Tamil Solidarity essaie aussi de construire le syndicat. Lutter ensemble ici pour un niveau de vie décent construit également la base pour une meilleure solidarité internationale.’’

Des syndicats qui défendent les groupes les plus faibles créent ainsi l’unité contre la politique du ‘‘diviser pour mieux régner’’. Une chaine est aussi forte que son maillon le plus faible, comme le dit le dicton. Cela vaut également pour le mouvement des travailleurs. La mesure dans laquelle ce mouvement défend les intérêts des groupes les plus exploités et organise les plus faibles de sa classe détermine sa force globale pour défendre les intérêts de l’ensemble de la classe dans tous ses aspects.

Les capitalistes ont, ces 25 dernières années, moulé le monde selon leurs intérêts. Un avenir incertain et précaire avec des évènements dramatiques, c’est ce qu’ils nous offrent. La meilleure façon de revendiquer la sécurité pour tout le monde est d’ouvrir le débat et de le conduire loin de la fausse rhétorique de la loi et de l’ordre. Nous ne serons capables de vivre dans un environnement sain que si nous pouvons véritablement partager les vastes ressources présentes à travers le monde.

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