Le Tibet en éruption !

La répression brutale rencontre une faible réaction des gouvernements étrangers.

Des milliers de membres de la police paramilitaire et de soldats ont été déployés à Lhassa, la capitale tibétaine, après les protestations les plus sérieuses contre la domination chinoise depuis presque 20 années. Plus de 80 personnes ont été tuées et des centaines ont été blessées selon les groupes tibétains en exil, alors que pour les sources officielles de la Chine et de la Région autonome du Tibet, il y a eu tout au plus 16 tués, dont trois jeunes tibétains qui sont « morts en sautant d’un toit ».

Vincent Kolo, Hong Kong, article publié le mardi 18 mars sur chinaworker.info

Les protestations ont commencé il y a plus d’une semaine et ont culminés dans une émeute importante dans la capitale tibétaine ce vendredi 14 mars où plus de 300 maisons et magasins ont été brûlés selon les sources officielles. Le dimanche 16 et le lundi 17, les protestations se sont répandues aux régions tibétaines des provinces voisines de Sichuan, Qinghai et Gansu, et un sitting d’une centaine d’étudiants tibétains a même eu lieu dans un parc du district de Haidian, dans la capitale chinoise, Pékin.

A moins de cinq mois des Jeux Olympiques, la dictature chinoise semble avoir opté pour une répression massive et rapide des protestations tibétaines en comptant sur de faibles protestations de la part des puissances étrangères capitalistes qui dépendent de plus en plus de la Chine économiquement. Comme cela était prévisible, les USA, l’Union Européenne et d’autres gouvernements ont émis les « inquiétudes » habituelles ; mais ont également fait clairement entendre que les protestations tibétaines et la répression n’affecteront en rien leurs relations avec Pékin.

Dans la région, les gouvernements indien et népalais, où l’ancienne guérilla maoïste a quatre ministres au gouvernement, ont usé de la force contre les manifestations de solidarité avec les protestataires tibétains. À Lhassa, les derniers rapports indiquent que les recherchent se font maison par maison pour trouver les « émeutiers » dans les quartiers tibétains de la ville, les médias officiels qualifiant l’opération de « guerre » contre les forces séparatistes (c’est-à-dire pour l’indépendance). Un état de loi martiale larvé existe à Lhassa et dans d’autres secteurs tibétains et des rapports non confirmés relatent la mort ce dimanche 16 mars de huit protestataires tibétains dans la région d’Aba, dans la province de Sichuan.

Plutôt que de restaurer la «stabilité», la nouvelle démonstration de terreur d’Etat (peut-être calculée pour « pacifier » le Tibet avant que les jeux olympiques ne commencent en août) ne fera qu’empirer une situation déjà explosive. La jeunesse tibétaine – issue pour la plupart des campagnes où vivent toujours les trois quarts de la population tibétaine – mène une existence de plus en plus désespérée à Lhassa et dans d’autres villes où elle espère trouver du travail, mais ne rencontre que la discrimination, le harcèlement brutal de la police et la concurrence exacerbée des colons chinois Han pour chaque travail.

En dépit d’un développement spectaculaire du secteur de la construction et d’une économie qui a connu l’an dernier une croissance de 13.8%, la Région autonome du Tibet connaît un des fossés les plus grands entre riches et pauvres, les Tibétains de souche étant dans le deuxième groupe. Les revenus du Tibet, principalement rural, sont seulement équivalents à un tiers de la moyenne pour la Chine dans son ensemble. Tandis que de riches Chinois Han conduisent des voitures étrangères de luxe dans les villes comme Lhassa, nombreux sont ceux qui, dans la jeunesse tibétaine, sont forcés de se tourner vers le crime ou la prostitution. L’afflux de commerçants Han et de petites entreprises, caractéristiques de ces dernières années, a accéléré l’ouverture de la nouvelle ligne de chemin de fer, mais cela n’a en fait que marginalisé plus encore les pauvres tibétains. Alors que l’ethnie tibétaine compose encore officiellement 78% de la population de Lhassa, si on prend en compte les travailleurs issus d’autres provinces ainsi que les soldats de l’Armée Populaire de Libération, il y a alors une majorité de 60% de Han dans la capitale tibétaine.

Protestations dirigées par la « clique du Dalai Lama”?

Il est extrêmement difficile de dire exactement ce qui se passe en raison du contrôle du régime sur les médias et l’information. Les journalistes étrangers ainsi que les équipes TV de Hong Kong et de Macao ont été expulsés du secteur et leurs films ont été confisqués. L’association des journalistes de Hong Kong (Hong Kong Association of Journalists) a émis une protestation au sujet du traitement de ses membres, dont beaucoup ont été retenus pendant des heures par les autorités chinoises avant d’être enfin libérés.

La censure s’étend aussi à Internet ; non seulement des sites étrangers comme « YouTube » sont maintenant bloqués pour la durée des troubles tibétains, mais même le journal britannique « Guardian » ou d’autres sites d’information subissent momentanément le même sort que celui dont chinaworker.info fait régulièrement l’expérience. Sur les blogs et les forums chinois, n’importe quelle mention du Tibet est rapidement effacée par les censeurs. Dans le monde d’Internet, Tibet a déjà cessé d’exister !

Le régime de Pékin est impliqué dans une guerre de propagande pour vendre sa version des événements à l’opinion publique chinoise ainsi qu’au reste du monde. Mais l’expulsion de tous les témoins indépendants – même les touristes – démontre clairement que la version des événements présentée par le régime ne peut pas être crédible. Les médias d’Etat ont été remplis de contes sinistres relatant des attaques vicieuses contre des civils Han. Le régime veut désespérément isolé les protestataires tibétains d’autres groupes opprimés – travailleurs qui combattent les fermetures d’usines, ceux qui protestent contre la pollution, les paysans qui résistent aux saisies de terre – dont les luttes entraînent une semblable réponse violente de la part de l’Etat chinois.

Si la version officielle des événements était véridique, les autorités s’assureraient que les journalistes étrangers et les témoins oculaires la corroborent. Mais ils ont visiblement quelque chose à cacher. Selon le dicton, « la vérité est la première perte de la guerre ».

Pékin accuse la « clique du Dalaï » d’avoir incité les protestations, une référence au chef spirituel bouddhiste tibétain et à son gouvernement en exil en Inde. Ce n’est clairement pas le cas. Plutôt que de revendiquer l’indépendance, le Dalai Lama a adopté une attitude conciliante envers Pékin en espérant une forme d’autonomie plus grande au sein de la Chine dans le style de celle dont jouit Hong Kong. Mais cette stratégie, qu’il appelle la « voie du milieu » est de plus en plus rejetée par les couches les plus radicales de la population tibétaine, en particulier la jeunesse.

A l’instar de l’occupation israélienne et de la répression en Palestine qui ont miné l’autorité des plus « modérés » (c.-à-d. des pro-capitalistes et des organismes pro-occidentaux palestiniens comme le Fatah), l’explosion actuelle de la colère tibétaine est un signe de l’affaiblissement de l’autorité politique du Dalaï Lama et de son gouvernement en exil. Ces « guides » en exil ont basé leur stratégie sur l’obtention de l’appui des gouvernements étrangers, de l’ONU et d’autres agences capitalistes et impérialistes afin d’exercer une pression sur Pékin. Cela a été un insondable échec dans un monde où gouvernements et chefs d’entreprise se concurrencent de plus en plus les un les autres pour se soumettre à la dictature chinoise en échange de gains économiques.

Les faiblesses du mouvement tibétain ont maintenant ouvertement éclaté. Un porte-parole du Congrès Tibétain de la Jeunesse a déclaré que le Dalaï Lama, en refusant de réclamer un boycott des Jeux Olympiques et en renonçant à la violence, était « dépassé » par l’humeur des Tibétains. Un instituteur tibétain de Dharamsala, en Inde (où se trouve le siège du gouvernement en exil), a déclaré à l’agence de presse AFP : « en ce moment, le Dalaï Lama est en dehors du processus. C’est un mouvement du peuple Tibétain ».

Quelques couches de la jeunesse tibétaine regardent et approuvent la lutte de guérilla au Népal alors qu’au lieu de la lutte armée rurale menée par les maoïstes népalais, c’est en fait un mouvement de protestation urbain de masse ainsi qu’une grève en avril 2006 qui a mis fin au règne de la monarchie absolue.


Ci dessus: En Inde, répression de protestations tibétaines

Voilà le contexte qui se trouve derrière la dernière explosion des protestations. Le sentiment d’être trahi par le monde extérieur et abandonné par les dirigeants en exil est né des humiliations quotidiennes et continuelles sous la domination Han. Des sections plus radicales du mouvement tibétain, qui espèrent obtenir une attention avant les Jeux Olympiques ont placé leurs vues sur le 10 mars, ont voulu utiliser l’anniversaire du soulèvement de 1959 vaincu par la dictature chinoise. Les Tibétains exilés au nord de l’Inde ont alors organisé deux marches dans le but de franchir la frontière et de continuer vers Lhassa. Ces manifestations ont été détournées par les forces de sécurité indienne, mais cela a néanmoins obtenu un écho à l’intérieur du Tibet parmi la jeunesse, y compris chez les jeunes lamas (moines), qui ont occupé les rues. Tout a commencé par une série de marches de protestation non-violentes.

Propagande de guerre

Les protestations ont pris une envergure hors de tout contrôle le vendredi, avec une grande quantité d’émeutes, de pillages, d’incendies de magasins et de rapport d’attaques aveugles contre des civils Han, contre les pompiers et même contre des Tibétains. Les médias commandés par le régime ont naturellement donné une énorme prééminence aux entrevues avec les victimes de ces attaques hospitalisées. Dans un mouvement sans organisation ou direction, il est tout à fait possible qu’une couche de jeunes tibétains marginalisés aient participé à des attaques racistes contre des civils Han. Les socialistes et les travailleurs politiquement conscients ne pardonnent pas de telles actions. Mais nous devons également préciser que c’est un fait connu que les forces d’Etat envoient des agents provocateurs dans les manifestation et utilisent aussi des gangsters « loués » pour semer la confusion et le chaos afin de discréditer le mouvement de protestation et donner de ce fait un prétexte pour une répression impitoyable. C’est exactement le même modèle que l’an dernier en Birmanie, quand les conseillers militaires chinois ont donné des leçons particulières à la junte birmane sur la façon de scinder et écraser le mouvement de masse. La colère a monté et il n’y a aucun organisme démocratique pour canaliser la lutte dans des moyens plus disciplinés et plus efficaces de protestation comme la grève. De plus, il est assez commun en Chine que des mouvements de protestation attaquent et parfois brûlent des véhicules de police et des bâtiments gouvernementaux.

Le régime chinois veut condamner la violence des manifestants et dépeindre les protestations tibétaines comme des pogroms raciste anti-Chinois afin de renforcer l’indignation nationaliste à travers la Chine pour noyer toute critique de la politique répressive au Tibet. Ainsi, l’éditorial d’un quotidien tibétain contrôlé par le régime a qualifié la situation de « combat de vie ou de mort », en faisant même appel aux associations militaires de « guerre » contre le séparatisme (c.-à-d. contre les revendications indépendantistes). L’attaque médiatique de Pékin vise également à neutraliser la critique internationale : Qiangba Puncog, le Président du gouvernement régional du Tibet a demandé à cet effet: « Y a-t-il un pays démocratique régit par la loi capable d’accepter une telle violence ? »

Mais les méthodes brutales employées par les forces de sécurité dans les régions tibétaines sont aujourd’hui exactement les mêmes que celles employées contre les travailleurs et fermiers chinois Han chaque fois qu’ils luttent pour leurs droits. Pour cette raison, les travailleurs et les socialistes de partout devraient exiger la fin de la répression au Tibet, la levée immédiate de la loi martiale et le retrait de la police paramilitaire et des unités armées.

La tragédie de la situation au Tibet, comme ailleurs en Chine, est l’absence complète d’organismes indépendants de la classe ouvrière – syndicats et partis politiques – qui pourraient organiser des groupes de défense de quartier multiethniques pour protéger les vies et les bâtiments tout en lançant une lutte commune des travailleurs Chinois Han et des pauvres tibétains contre les maux qui se posent aux deux communautés : les prix des denrées alimentaires qui sont pris dans une spirale ascendante, la pénurie de logements accessibles, le manque de travail pour les jeunes, ou encore l’effondrement des services publics.

Parmi la jeunesse tibétaine, il y a un sentiment d’urgence – quelque chose doit être fait – même si ils ne sont pas exactement certains de ce qui devrait être fait. Les socialistes défendent le droit des tibétains de décider de leur propre avenir, y compris le droit à l’indépendance, avec des droits et des garanties nationales intégraux pour la minorité chinoise Han et pour les autres groupes ethniques présents au Tibet.

Pour réussir, le mouvement au Tibet doit entièrement tirer les leçons de sa propre histoire, mais également d’autres libérations nationales et luttes anti-despotiques, particulièrement dans l’ère du capitalisme et de l’impérialisme généralisés. Un regard autour de la région prouve que l’indépendance nationale sur une base capitaliste ne peut nullement résoudre les problèmes des masses appauvries.

Prenez les exemples du Bhutan dit « indépendant » et du Népal. Ces Etats sont dominés par des puissances étrangères, ruinés par la pauvreté, et dirigés par des élites antidémocratiques et racistes. Pourtant, même ce type d’ »indépendance » ne sera pas à portée de main pour le Tibet aussi longtemps que l’actuelle dictature pro-capitaliste règne en Chine.

Même l’option du Dalai Lama d’une autonomie plus véritable semblable à celle obtenue par Hong Kong est impossible sur base de la puissance d’Etat existante en Chine. Le régime de Pékin tolère un degré large d’autonomie pour Hong Kong pour des raisons économiques et historiques particulières, mais craint à juste titre que des concessions semblables pour le Tibet n’ouvrent une boîte de Pandore de demandes d’autonomie d’autres provinces, ce qui menacerait la Chine d’un démantèlement territorial. En raison de leur propre prestige et puissance, le gouvernement autoritaire de Pékin ne peut récompenser l’insubordination tibétaine.

Pour s’opposer à un Etat si puissant, soutenu d’ailleurs dans sa politique appliquée au Tibet par les capitalistes du monde entier, les masses tibétaines doivent donc lier leur lutte pour les droits démocratiques de base et pour la fin de l’occupation militaire chinoise à la lutte de la classe ouvrière chinoise surexploitée.

La jeunesse tibétaine doit particulièrement soutenir et établir des liens avec la lutte de la jeunesse et des travailleurs chinois qui combattent le même oppresseur et recherchent fondamentalement les mêmes libertés : la fin du règne du parti unique et de la terreur policière, la liberté d’assemblée, la liberté d’expression et de culte religieux, le droit de s’organiser et l’abolition de l’exploitation de classe par la nationalisation de l’industrie sous contrôle et gestion démocratique des travailleurs.

Le socialisme démocratique véritable n’a rien en commun avec les dictatures bureaucratiques de parti unique de Mao ou de Staline, et encore moins avec le « communisme » néo-libéral qui règne en Chine et dans la Région autonome du Tibet. En s’alliant également aux masses opprimées de la région de l’Inde et de l’Himalaya, la lutte du peuple tibétain – comme la lutte socialiste et anti-impérialiste – pourrait inspirer un mouvement continental pour mettre fin au système putréfié et corrompu du capitalisme et établir le socialisme international.

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