Moyen-Orient. Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaitre

En Arabie saoudite et dans l’État turc, l’année 2016 a commencé sous le signe d’une sanglante répression qui n’a suscité qu’une très timide indignation dans les médias de masse et parmi les politiciens de l’establishment en Occident. La politique du ‘‘deux poids deux mesures’’ des puissances occidentales face à la barbarie est bien connue dès lors qu’il s’agit de régimes ‘‘amis’’.

Par Nicolas Croes, article tiré de l’édition de février de Lutte Socialiste

Répression de l’opposition

‘‘Deux poids, deux mesures’’, c’est également l’approche du président Erdogan face au ‘‘terrorisme’’. Sous cet adage, l’État turc a tout d’abord intensivement bombardé des positions détenues par des forces kurdes du nord de la Syrie qui résistent courageusement à Daesh (l’État Islamique), alors que ce dernier était curieusement relativement épargné. Par la suite, la population kurde de l’État turc s’est vu imposer un couvre-feu dans plusieurs localités du sud-est à majorité kurde. Elle subit des humiliations quotidiennes, les arrestations se comptent par milliers et les meurtres arbitraires commis par les forces de l’ordre contre des ‘‘terroristes’’ âgés de 7 à 77 ans sont nombreux. Il en a été légèrement plus question sur la scène internationale lorsqu’une vingtaine d’universitaires ayant signé une pétition réclamant l’arrêt des massacres de l’armée ont été arrêtés en janvier.

En Arabie saoudite, le régime a récemment procédé à l’exécution de 47 prisonniers pour fait de ‘‘terrorisme’’. Parmi eux se trouvaient divers djihadistes, mais aussi un responsable chiite, le cheikh Nimr al-Nimr Baqr, un adversaire politique de premier plan du régime sunnite saoudien. Il s’était notamment fait remarquer en 2011 dans le cadre des mobilisations de masse qui avaient déferlé sur toute la région du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord et avaient, entre autres, mis fin aux régimes de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Égypte. La clique dirigeante saoudienne, qui a exécuté 151 personnes l’année dernière, est bien connue pour sa chasse aux sorcières contre les dissidents, en particulier parmi la communauté de la minorité chiite.

Dans les deux pays, cette démonstration de force n’est pas sans lien avec des inquiétudes grandissantes au sujet de la dégradation de la situation économique et des explosions de colère qui peuvent survenir suite aux nouvelles mesures antisociales. L’Arabie saoudite dépend ainsi de la vente du pétrole pour 90% de ses revenus. L’effondrement du prix du pétrole a entrainé une imposante croissance du déficit budgétaire du pays. En réaction, le régime a réduit les dépenses publiques (notamment pour les produits de première nécessité) et augmenté les prix de l’essence, de l’électricité et de l’eau.

Tensions régionales

Ces éléments viennent se rajouter à un cocktail de déstabilisation déjà puissant dans la région : guerre en Syrie, chaos irakien, offensives de la Russie et des Occidentaux contre Daesh, crise au Yémen, tensions communautaires au Liban, déferlement de millions de réfugiés en Jordanie, au Liban et dans l’État turc, chute des prix du pétrole,…

Les dirigeants saoudiens sunnites éprouvent colère et panique face au rapprochement en cours entre les puissances occidentales et la dictature chiite iranienne. L’Iran est le principal rival politique régional de l’Arabie saoudite. Ainsi, depuis les dernières exécutions, l’ambassade d’Arabie saoudite dans la capitale iranienne a été incendiée. Le régime saoudien a ensuite été accusé d’avoir intentionnellement bombardé l’ambassade iranienne à Sanaa, la capitale du Yémen, où les deux pays se livrent une guerre par procuration. Au Yémen, l’Arabie saoudite a engagé une centaine d’avions qui bombardent les chiites du pays, contre une quinzaine d’avions à peine en Irak contre Daesh (pas plus que les Pays-Bas et le Danemark réunis). L’Iran et l’Arabie saoudite sont également engagés dans une confrontation indirecte au Bahreïn ou encore au Liban.

Quelle issue ?

Un incontrôlable monstre de Frankenstein a été créé dans la région, notamment en raison des multiples interventions impérialistes au cours des décennies, alors que l’autorité et la capacité d’action de ces puissances occidentales ont depuis fortement pâli. L’avenir est plus qu’incertain. Comment, par exemple, faire face à une extension du chaos vers l’État turc? Si les massacres contre les Kurdes débouchent sur une guerre civile, comment gérer l’afflux de réfugiés actuellement contenu dans le pays ?

Il y a 5 ans, à partir de la chute de la dictature tunisienne en janvier 2011, une vague de protestations de masse et le début d’un processus de révolution et de contre-révolution ont ébranlé toute la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Même si ce sont les forces de la contre-révolution – qu’elles soient représentées par les régimes réactionnaires de la monarchie saoudienne ou d’Erdogan, par Daesh,… – qui tiennent actuellement le haut du pavé, l’issue de ce combat entre la barbarie et un monde nouveau n’est pas encore déterminée.

L’État turc a connu de puissantes protestations de masse et grèves ces dernières années, illustrées notamment par l’entrée au Parlement du parti progressiste pro-kurde HDP (le seuil électoral y est de 10%…). En Iran, la récession économique fait aussi poindre pour le régime le péril de nouvelles mobilisations de masse similaires à celles de 2009. Et en Tunisie, le mois de janvier a vu survenir de nouvelles mobilisations imposantes dans le pays suite à une révolte de la jeunesse à Kasserine. Et nous avons pu voir en 2011 à quel point les évènements révolutionnaires pouvaient faire appel les uns aux autres par-delà les frontières pour se renforcer.

‘‘Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaitre et dans ce clair-obscur surgissent les monstres’’ disait le révolutionnaire italien Gramsci dans entre-deux-guerres. Un nouvel embrasement de la région sur base des conflits entre classes sociales est inévitable, mais il faudra veiller à ne pas répéter les erreurs des précédents mouvements.

Les travailleurs et les pauvres de la région doivent s’organiser sur base de leurs propres forces, en toute indépendance de classe, et mener le combat non seulement contre l’impérialisme, mais aussi contre les cliques dirigeantes régionales jusqu’à la fin de ce système de misère, d’exploitation, de terrorisme et de guerre.

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