Pologne: Le conflit dans la classe dominante n'offre pas d'alternative aux travailleurs

pologneA peine entré en fonction, le nouveau gouvernement PiS (Droit et Justice) n’a pas perdu de temps pour montrer son côté autoritaire. Il s’est d’abord attaqué au tribunal constitutionnel, en refusant d’assermenter des juges élus sous l’ancienne majorité, et en faisant passer en pleine nuit une réforme qui entrave le travail du tribunal. Désormais, le président du tribunal ne pourra plus choisir l’ordre de traitement des dossiers, ce qui fait qu’une loi pourrait être appliquée pendant 3 ans avant d’être jugée anti-constitutionnelle. Le PiS a aussi annoncé le remplacement des dirigeants des médias publics, ce qui a provoqué des démissions de journalistes en chaîne.

Par Tiphaine, Alternatywa Socjalistyczna (section polonaise du Comité pour une Internationale Ouvrière)

En réaction, un Comité de Défense de la Démocratie (KOD) s’est créé, officiellement apolitique mais en fait influencé par les partis néolibéraux Platforma Obywatelska (PO) et Nowoczesna. PO vient de perdre sa majorité aux élections parlementaires de septembre, Nowoczesna pourrait donc devenir le principal parti d’opposition. Le KOD a appelé à des manifestations qui ont rassemblé jusqu’à 50 000 personnes à Varsovie.

Il est courant en Pologne que les têtes des médias changent après un changement de majorité ; et les juges constitutionnels que le président Duda a refusé d’assermenter avaient été élus suite à une réforme du PO elle aussi controversée. Alors pourquoi les manœuvres du PiS ont-elles provoqué un tel tollé en Pologne et à la Commission Européenne ?

C’est surtout la manière brutale et ouverte dont le PiS a opéré qui a choqué. L’ancien premier ministre Kaczynski, qui tire encore les ficelles du parti, a été jusqu’à avoir une réunion secrète avec le président hongrois Orban, connu pour son muselage des médias et les attaques contre sa propre constitution. Pour le camp des néo-libéraux polonais, c’est aussi une occasion de se restructurer après leur défaite et de faire une démonstration de force.

Ces manifestations semi-massives attirent surtout les classes moyennes mais très peu la classe ouvrière. Le PiS a été élu sur base de promesses sociales qui lui ont permis de récupérer beaucoup des voix des travailleurs, par exemple l’augmentation du salaire minimum, la diminution de l’âge de la retraite et la création d’une allocation mensuelle de 500zl (125€) par enfant. Cependant, ces promesses sont loin d’être réalisées, et le gouvernement a déjà tenté d’en réduire la portée. Par exemple, l’allocation de 500zl ne sera versée qu’à partir du deuxième enfant. Les promesses sur les salaires et la retraite sont encore en discussion – les travailleurs polonais vont rapidement voir où se trouvent les vraies priorités du gouvernement.

La plupart des travailleurs restent donc en retrait du mouvement en attendant de voir la réalisation de ces promesses. La majorité des dirigeants du syndicat Solidarno?? est d’ailleurs en faveur du gouvernement et on ne peut pas s’attendre à une lutte généralisée des travailleurs dans la prochaine période. Il y a par contre déjà eu des luttes sectorielles depuis l’élection du PiS, par exemple dans une centrale électrique et chez les travailleurs sociaux.

Même chez les travailleurs qui ne partagent pas ces illusions, il n’y a pas grand enthousiasme à se lever pour des juges constitutionnels et des médias qui dénigrent leurs luttes et ne défendent pas leurs intérêts. Le journal Gazeta Wyborcza a interviewé des monteurs, cameramen et journalistes de base de la télévision nationale au sujet des changements dans les médias. Il se trouve que ceux-ci sont plus préoccupés par les contrats précaires, les faibles salaires et les statuts forcés d’auto-entrepreneur que par la direction de la chaîne, et que du reste eux-même doivent cacher leurs opinions politiques pour avoir des contrats.

C’est pourquoi la nouvelle formation de gauche Razem a organisé ses propres rassemblements en défense de la constitution. Ce parti a été créé début 2015 et a connu une progression relativement forte. Il a appelé à défendre la constitution sur la base des droits sociaux et des principes de la « justice sociale » qui y sont inscrits.

Pendant cette période, le parti a aussi participé à une campagne contre le licenciement de 4 syndicalistes de l’entreprise PolskiBus. Ce cas n’est pas isolé, la répression contre les syndicalistes est très forte malgré l’article 12 qui défend le droit de se syndiquer. Razem a donc déclaré que si le KOD et le PO défendent la constitution dans les mots, on ne les voit pas agir pour défendre les droits qu’elle garantit.

Ce qu’ils ont surtout montré, c’est que même si les droits des travailleurs existent sur le papier, ils ne sont pas appliqués s’ils ne sont pas constamment défendus par les luttes. La constitution a été rédigée en 1997 sous un président social-démocrate (SLD), et il est vrai que le texte a une certaine phraséologie de gauche. Mais la constitution venait avant tout sanctionner la forme d’Etat qui convenait à la nouvelle classe dominante, après que l’économie capitaliste se soit stabilisée et la situation politique avec elle.

Tous les droits démocratiques garantis sont limités par la formule « Les restrictions à l’exercice des libertés et droits constitutionnels ne peuvent être imposés que par la loi et seulement lorsque cela est nécessaire à la sécurité et l’ordre public de l’Etat démocratique » (Article 31). En d’autres termes, la démocratie s’arrête là où commence la sécurité de « l’économie sociale de marché » qui est la « base économique de la République Polonaise » (Article 20).

C’est une bonne initiative de la part de Razem d’avoir mobilisé indépendamment du KOD. Mais la gauche polonaise doit montrer clairement qu’il s’agit d’un affrontement entre deux fractions de la classe dominante sur la façon de défendre ses intérêts. A ce jeu, il n’y a qu’un seul perdant : la classe ouvrière, soit par la politique autoritaire du PiS, soit par la politique économique des néo-libéraux s’ils reviennent au pouvoir dans 4 ans.

Mais à ce jour, il n’y a pas d’organisation qui représente une alternative à ces deux partis, c’est à dire qui organise politiquement la classe ouvrière et qui défende ses intérêts contre la classe capitaliste. Razem est pour l’instant dans une position ambigüe en cherchant à défendre à la fois les intérêts des travailleurs et les institutions qui sont un outil de leurs exploiteurs. Alternatywa Socjalistyczna (section-soeur du PSL en Pologne) est intervenue dans les rassemblements de Razem en défendant l’indépendance politique de la classe ouvrière et la nécessité d’un programme clair de lutte contre le capitalisme.

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