Grève des cheminots: des syndicats qui "déraillent" pour défendre des "privilèges"?

berchem2Les médias dominants n’ont pas manqué de critiques contre la grève des cheminots de ces 6 et 7 janvier. «Une action caricaturale» (Le Soir), à l’initiative de véritables preneurs d’otage,… qui fait même le jeu de Bart De Wever et de la N-VA selon Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef du Soir ! Quant aux conquêtes sociales des cheminots, ce ne seraient que des privilèges à laisser tomber sur la voie de la «modernisation» du rail – un mot qui cache mal leurs intentions de privatisation.

«Les travailleurs de la SNCB disposent de privilèges, comme la noblesse d’avant la Révolution Française de 1789!» (Bruno Wattenbergh, Bel RTL)

Là, le chroniqueur économique de Bel RTL a fait très fort… Ceux qui font penser à la noblesse, ce sont les cadres supérieurs d’Infrabel et de la SNCB qui touchent à peu près 300 000 euros par an ! Officiellement, la semaine de travail est bien de 36 heures chez les cheminots, une mesure adoptée à la fin des années 90, avec une réduction des salaires, afin d’éviter plus de pertes d’emplois. Dans la pratique, les travailleurs prestent plus d’heures. C’est pour cela qu’il existe des jours de compensation. Sauf que le personnel a bien du mal à les prendre. En juin 2014, une grève a éclaté sur ce sujet : les travailleurs cumulaient ensemble plus d’un million de jours de compensation de retard!

Dans la pratique, les cheminots travaillent donc plus que 36 heures, sans qu’il n’y ait eu d’augmentation de salaire. Se plaindre que le personnel dispose de beaucoup de congés alors que ce n’est le cas qu’en théorie pour de nombreux travailleurs, cela revient à les insulter.

La productivité des cheminots a explosé ces dernières années. En 1990, ils étaient 45.000 pour transporter 130 millions de voyageurs annuellement. En 2014, ils n’étaient plus que 33.000 alors que le nombre de voyageurs est monté à 235 millions !

Après avoir sauvagement coupé dans le niveau de vie de la population; les autorités, le patronat et leurs relais politiques et médiatiques montrent du doigt les travailleurs les mieux organisés en baptisant leurs droits «privilèges». Si nous les laissons faire, ils pourraient bien nous proposer d’abroger le CDI pour mettre fin aux «faveurs» dont disposent ses bénéficiaires par rapport au CDD! La recette est toujours la même: organiser le nivellement par le bas des droits sociaux en jouant sur les frustrations qu’ils ont eux-mêmes créés.

Cette grève est une «action caricaturale» (Le Soir), «les syndicats déraillent» (Etienne Dujardin, juriste, dans une carte blanche sur LeVif.be)

Le gouvernement veut économiser 3 milliards d’euros entre 2016 et 2019. Cela ferait disparaître plus de 6.000 emplois chez Infrabel, à la SNCB et chez HR Rail. Un train sur cinq devrait se passer d’accompagnateur et 600 guichets devraient très probablement fermer. La productivité devrait augmenter de 20%! Un personnel moindre devrait donc supporter plus de charge de travail. Cela implique une réduction des services et des normes de sécurité, des suppressions de petites lignes et encore plus de retards de trains (notamment à cause du sous-financement dans les infrastructures).

A l’époque des bains de sang sociaux à Ford Genk ou ArcelorMittal, où des milliers d’emplois ont été perdus, la colère était grande chez les travailleurs et dans la population. Au point même que les autorités avaient condamné les pertes d’emplois. Aujourd’hui, c’est le gouvernement lui-même qui organise un bain de sang social de cette ampleur. Mais s’y opposer serait devenu scandaleux? Avec la suppression d’un cinquième du financement public, c’est le gouvernement qui déraille.

«C’est le grand paradoxe de ce qui se déroule sous nos yeux : les nationalistes flamands ont obtenu une scission hautement symbolique» (Béatrice Delvaux, Le Soir)

Le préavis de grève a toujours été national, et le personnel du nord du pays est tout autant protégé que celui du sud durant cette grève. Si la grève est moins suivie, c’est parce que les dirigeants de la CSC Transcom et de la CGSP cheminot flamands ont décidé de ne plus soutenir le mouvement, contrairement à ce qui avait été démocratiquement voté au sein de leur organisation. Malgré cela, une partie du personnel flamand est en grève. A Gand et à Ostende, des piquets ont été installé. A Anvers Berchem, des dizaines de cheminots se sont rassemblé dès mardi soir. Une assemblée générale avait eu lieu d’abord. Les plans du gouvernement ont été discutés brièvement, mais l’objet de la discussion était surtout de savoir que faire pour construire la résistance. Le manque d’implication de la base dans la prise de décision des directions syndicales de ne pas soutenir la grève y a été largement dénoncée. Il faut s’organiser afin de renforcer la solidarité et de clarifier à partir de la base syndicale que le mécontentement parmi le personnel ne connaît ni division communautaire, ni frontière de couleur syndicale.

Ce type de réunion est une excellente façon d’introduire la discussion entre collègues et de veiller à ce que la base décide elle-même de l’action à mener. En fait, toutes les actions doivent être préparées avec des réunions et assemblées du personnel. Il serait ainsi plus difficile de bloquer des actions du sommet en passant outre de la participation de la base.

«Les journaux, les radios, les télévisions sont submergés de témoignages de citoyens qui ne supportent plus les mouvements de grève.» (LaLibre)

Disposer de bons transports en commun au service des usagers, cela signifie d’investir pour de meilleurs services, pour plus de personnel et pour de meilleurs conditions de travail. Voilà d’où proviennent les grèves.

La campagne de propagande contre les cheminots a sans doute assuré que de nombreux navetteurs se sont rangé du côté du gouvernement. Mais ils sont aussi nombreux ceux qui, sur base de leur propre expérience des effets de l’austérité, ont rejoint le côté du personnel. Combien de navetteurs estiment gagner trop et pensent donc que l’on doit économiser sur leurs salaires avec un saut d’index, par exemple?

Avec la sensibilité qui s’est développée autour de la mobilité, des embouteillages et du climat d’une part et avec des revendications offensives pour l’amélioration des transports publics d’autre part, il est possible d’organiser un large front entre le personnel et la population.

Voyager en train émet en moyenne 7 fois moins de CO2 dans l’atmosphère. C’est ce qui a fait dire à l’activiste Naomi Klein que «Les cheminots en grève sont les activistes du climat du 21e siècle». Les études indiquent que la part du rail dans les transports va continuer à augmenter dans les prochaines années. Correctement géré et financé, le train est le service public par excellente : démocratique, efficace et écologique.

«La direction a déjà annoncé qu’elle ne veut pas parvenir à un accord social à n’importe quel prix. Le soutien pour cette approche dans l’opinion publique a sans aucun doute été renforcé. Et l’arme de la grève est émoussée. Le dialogue social et le rôle des syndicats est compromis bien au-delà de la SNCB.» (De Standaard)

La direction a effectivement annoncé qu’elle ne désirait pas négocier. La médiation prévue par le gouvernement devait être limitée au cadre de ce qui avait déjà été décidé. Le personnel n’avait donc pas le choix, il avait été laissé à l’abandon.

Le mécontentement croissant parmi les voyageurs concernant les insuffisances du service souligne également que l’opinion publique n’est pas exactement prête à accueillir favorablement les réformes entreprises par la direction et que cette dernière veut maintenant approfondir. En ne laissant aucune place au dialogue social, le gouvernement et la direction ont choisi un modèle de confrontation. Qui est donc responsable de la grève? Mais selon De Standaard, le refus unilatéral de la négociation collective par la direction compromet les syndicats.

Au final…

Les médias confondent trop souvent leurs propres points de vue avec «l’opinion publique». Si les médias voulaient vraiment renforcer leur analyse de la direction du soutien de l’opinion, ils devraient peut-être sonder la population pour savoir combien sont ceux qui désirent un service limité et plus cher dans le contexte d’une privatisation du rail… Face à eux, combien sont ceux qui seraient favorables à un investissement public massif pour des transports en commun gratuits et de qualité avec un personnel motivé et souriant ainsi qu’avec de bons équipements de même que la garantie du confort et de la ponctualité ?

Cette dernière option n’est clairement pas celle du gouvernement et de ses amis politiques. C’est celle des cheminots et de tous ceux qui soutiennent leurs actions de grève.


 

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