Suisse: L'austérité budgétaire met le feu au lac

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La droite populiste de l’UDC remporte des victoires électorales, mais la résistance s’organise face aux attaques lancées à tous les échelons contre les travailleurs

Les populistes de droite de l’UDC ont remporté deux succès électoraux d’envergure : aux élections législatives et au gouvernement. Ceci dans un contexte de réformes sur la fiscalité des entreprises ainsi que d’assainissements budgétaires sur le dos des travailleurs alors que le niveau d’alerte antiterroriste a été élevé à Genève.

Par Alexandre et Stéphane (Bruxelles)

Le jeudi 10 décembre dernier, Genève a élevé son niveau d’alerte anti-terroriste, les autorités soupçonnant la présence, dans les environs de la ville, de suspects en relation avec l’Etat Islamique et avec les attentats du 13 novembre dernier à Paris. Des mesures de sécurité exceptionnelles ont été prises, avec le déploiement de nombreuses forces de police et de la garde des Nations-Unies (au Palais des Nations, le siège de l’ONU) équipées de fusils d’assaut, tandis que les contrôles aux frontières suisses ont été renforcés. Cette situation se déroule juste après une période électorale qui a vu les élections législatives le 18 octobre et une élection au sein du Conseil fédéral (gouvernement) ce mercredi 9 décembre.

Le parti populiste de droite Union démocratique du Centre (UDC) a marqué la campagne de son emprunte, à coups de propagande anti-immigration de masse et dans le cadre de la discussion autour d’une «clause de sauvegarde» pour limiter l’immigration européenne vers la Suisse. L’UDC a remporté 29,4% des voix et 11 sièges de plus au Conseil national (chambre des représentants), ce qui porte à 65 leur nombre de députés (sur un total de 200). L’autre vainqueur, le Parti libéral-radical (PLR) a obtenu 16,4% et 3 sièges de plus. Les deux partis considérés comme étant les plus à droite sortent ainsi renforcés de ces élections.

Ces résultats ont permis à l’UDC de revendiquer un siège de plus au Conseil fédéral, pour remplacer la ministre démissionnaire Eveline Widmer-Schlumpf, du Parti bourgeois démocratique (PBD), l’un des perdant des élections législatives. Avec Guy Parmelin, élu par le Conseil national le 9 décembre, l’UDC porte ainsi à 2 (sur 7) ses membres du gouvernement suisse.

La gauche officielle paie sa participation aux politiques d’austérité budgétaire

Aux élections d’octobre, le Parti socialiste suisse (PSS, 18,8%) et le Parti écologiste suisse (PES, 7,1%) ont perdu respectivement 3 et 4 sièges au Conseil national. Ils paient ainsi leur participation aux politiques néolibérales antisociales menées aux différents échelons de gestion politique auxquels ils sont associés au pouvoir. Ils paient aussi leur incapacité à répondre aux questionnements des travailleurs et de la jeunesse dans un contexte de crise économique qui touche aussi la Suisse.

Les économistes de Credit Suisse viennent par ailleurs de revoir à la baisse leurs estimations de croissance pour 2016, de 1,2 à 1%, après une croissance de 0,8% cette année. La force du franc suisse plombe les exportations, et le chômage grimpe, avec un taux officiel prévu de 3,3% en 2015 et 3,7% l’an prochain. Cette situation touche particulièrement l’industrie, mais aussi le commerce et le secteur financier.

Même si la Suisse peut compter sur un niveau de vie en moyenne plus élevé que la plupart des autres Etats européens, les pénuries dans un système en crise se font tout de même sentir, et sont croissantes. La crainte d’un avenir plus sombre s’y développe aussi, tant pour les plus faibles revenus que pour les couches ayant accès à davantage de moyens. La question de l’immigration, plus forte aujourd’hui qu’auparavant, joue un grand rôle dans ce contexte. Le manque de moyens pour des logements, des emplois et des services publics de qualité se fait et se fera encore plus sentir avec l’arrivée de nouvelles familles.

L’UDC a été capable de surfer sur ces craintes, en misant sur la division des travailleurs, pendant que la gauche officielle en Suisse ne parvient pas à offrir une réelle alternative. Les travailleurs et les jeunes ont besoin de réponses sûres et concrètes concernant les pénuries, la sécurité et les attaques toujours plus grandes contre leurs conditions de vie et de travail. Seul un mouvement unitaire de tous les travailleurs, quel que soient leurs origines, sera capable d’offrir une réponse de classe pour satisfaire pour dépasser ces pénuries et balayer la droite.

Pendant que les travailleurs subissent, les gros actionnaires sont récompensés

Le régime fiscal spécial suisse est depuis quelques temps pointé du doigt au niveau international, notamment par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Groupe des vingt principaux pays industrialisés et émergents (G20) et l’Union européenne (UE). Pour se conformer aux règlements internationaux, sous pression de l’Europe, le parlement a dû mettre sur pieds la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III), qui prévoit la suppression des régimes fiscaux cantonaux accordés aux holdings et aux sociétés d’administration. Avec la RIE III, les autorités espèrent renforcer la position de la Suisse face à la concurrence fiscale internationale, ainsi que la sécurité juridique et la sécurité en matière de planification pour les entreprises.

Les Etats voisins veulent éviter que les entreprises s’installent en Suisse pour bénéficier des avantages fiscaux. Mais pour faire passer cette pilule auprès des gros actionnaires, la majorité des élus a refusé la proposition d’augmentation de la taxation sur les dividendes des actions. Il s’agirait d’une perte de 2 milliards de francs suisses (1,85 milliards d’euros). Cette question pourrait cependant très vite se retrouver à l’agenda d’un référendum dont l’issue ne serait pas gagnée d’avance pour la poignée de profiteurs.

Les femmes, cibles d’attaques antisociales

La réforme ‘Prévoyance vieillesse 2020’ veut notamment relever l’âge de la retraite à 65 ans pour les femmes, afin de réaliser une économie supplémentaire de 1,3 milliards de francs suisses (1,2 milliards d’euros). Comme l’avance le syndicat Unia, cette attaque n’est qu’un premier pas pour aller vers une retraite à 67 ans pour tous.

Les femmes ne sont d’ailleurs pas au bout de leur peine, puisqu’une flexibilisation des horaires d’ouverture des magasins est aussi à l’œuvre. Dans ce secteur à bas salaires qu’est la vente, 50.000 personnes, dont 40.000 femmes, gagnent moins de 4.000 francs suisses (3.700 euros) par an. A juste titre, Unia critique notamment le fait que des horaires encore plus flexibles détruiraient les vies sociales et de famille de tous les travailleurs du secteur. Encore une fois, ce sont les couches les plus fragilisées qui paient le prix, avec la claire intention d’ensuite attaquer l’ensemble du mouvement des travailleurs.

A Genève, les fonctionnaires organisent la résistance

Les différents gouvernements cantonaux (Conseils d’Etat en Suisse romande) sont en train de préparer leur projet de budget 2016, prévoyant ici et là des plans d’assainissement budgétaires. A Neuchâtel, le Conseil d’Etat veut notamment aboutir à 155 millions de franc d’économies (143 millions d’euros). A Genève, un plan de réduction des dépenses publiques d’envergure est lancé : réduction de 5% de la masse salariale de l’Etat en trois ans, augmentation du temps de travail de 40 à 42 heures, gel des annuités, procédures facilitées de licenciements et non remplacement des départs. Pas moins de 1.800 postes pourraient ainsi disparaître.

Face à cette attaque, les fonctionnaires ont clairement montré la voie à suivre. Un premier jour de grève a été lancé le 10 novembre, où 10.000 fonctionnaires et étudiants étaient descendus dans les rues. Entretemps, cinq autres journées de grève ont eu lieues. Les autorités de Genève ont un temps essayé d’utiliser l’élévation du niveau d’alerte terroriste pour freiner la contestation. Mais ce lundi 14 décembre, 400 à 500 personnes réunies en assemblée générale du Comité de lutte des services publics ont décidé de relancer la grève reconductible pour la journée de ce mardi 15 décembre. La colère est grande, mais le mouvement risque de s’épuiser. Le lendemain, le Cartel intersyndical de la fonction publique a d’ailleurs décidé de signer un accord avec le Conseil d’Etat, instaurant une trêve de la grève jusqu’au 21 mars. Une trêve qui n’empêche pas les manifestations, et un rassemblement a directement été organisée dans la foulée. Mis sous pression, le gouvernement a tout reporté. Le mouvement exceptionnel de ces dernières semaines a maintenant face à lui la nécessité de reprendre son souffle et d’accentuer la pression, notamment en essayant de rallier à eux des travailleurs d’autres secteurs.

Le mouvement des travailleurs et la gauche doivent organiser la résistance et proposer une alternative sociétale

Avec les résultats des élections d’octobre, le parti de gauche POP (Parti ouvrier et populaire – Parti suisse du travail) revient au Conseil national après 4 années d’absence, grâce à l’élection du maire du Locle, Denis de la Reussille, dans le canton de Neuchâtel. Il semble cependant que ses autres résultats soient en général plutôt décevant, puisque le POP et ses alliés pensaient pouvoir compter sur l’un ou l’autre élu de plus, surtout dans les cantons de Vaud et de Genève.

Mais pouvoir compter sur une voix représentant la classe des travailleurs au parlement fédéral de Berne est un élément très important. Le challenge est grand pour un tel représentant. Il sera crucial de relayer les luttes des travailleurs et de la jeunesse sur le plan national et de créer des liens entre les mouvements de résistance qui se développent un peu partout, en s’appuyant sur les très bons exemples comme celui des fonctionnaires genevois, et promouvoir ainsi la nécessité d’un mouvement généralisé contre les politiques d’austérité budgétaire.

Mais la tâche est aussi de populariser les réponses de gauche à apporter concernant toutes les craintes vécues parmi les travailleurs et la jeunesse et de proposer une alternative de société. De petites mesures progressistes peuvent bien sûr jouer un rôle, certainement pour soulager le quotidien des travailleurs. Mais elles peuvent surtout servir de levier pour mettre en avant un autre type de société : une société socialiste démocratique, réellement solidaire, dont le but est la satisfaction des besoins de l’ensemble des travailleurs, et non ceux de quelques actionnaires capitalistes.

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