[INTERVIEW] Rien à attendre des multinationales pour sauver la planète

Interview de Pascoe Sabido (Corporate Europe Observatory)

pascoe01Dans le cadre des négociations de la COP21, la conférence de l’ONU sur le climat de Paris, Lutte Socialiste a discuté avec Pascoe Sabido, chercheur et activiste pour le Corporate Europe Observatory (CEO). Depuis Paris, il nous a parlé de l’état des négociations, de son analyse sur le changement climatique, des lobbys des multinationales, de l’Union européenne et des mouvements sociaux.

Propos recueillis par Pietro (Bruxelles) pour l’édition de décembre-janvier de Lutte Socialiste

Peux-tu nous parler du CEO ?

‘‘Le Corporate Europe Observatory (CEO) est un groupe de recherche et de mobilisation. Il dénonce l’influence des entreprises et de leurs groupes de pression dans le processus décisionnel de l’Union européenne qui conduit à des politiques qui exacerbent l’injustice sociale et accélèrent la destruction de l’environnement.

‘‘Faire reculer leur pouvoir est crucial afin de véritablement répondre aux problèmes mondiaux tels que la pauvreté, le changement climatique, l’injustice sociale, la faim et la dégradation de l’environnement. Nous réalisons des recherches au sujet de l’activité des multinationales et nous les utilisons pour dévoiler leurs rôles dans l’élaboration des politiques menées.’’

cooking_planetVotre rapport ‘‘Cooking the planet’’ analyse les relations entre la Commission européenne et les lobbies de l’industrie et des multinationales. Quel rôle ont joué les commissaires européens Canete (énergie et climat) et Sevcovic (vice-président de la Commission) dans les négociations pour préparer la COP 21?

‘‘En fait, toutes les grosses décisions étaient déjà prises avant leur arrivée en fonction en novembre 2014. Mais ils vont, comme d’habitude, affirmer qu’ils souhaitent un traité fort et contraignant, alors que leur seule volonté est de rassurer les entreprises les plus polluantes. Ils souhaitent que l’Europe continue à utiliser les énergies fossiles (y compris le gaz de schiste) et que les énergies renouvelables ne soient pas au centre des réflexions.

‘‘Ils continuent à défendre l’idée que l’Europe est l’acteur le plus ambitieux contre le réchauffement climatique et que ce sont les autres pays qui ont encore du chemin à faire. Mais les pays de l’Union s’enrichissent avec les énergies fossiles bon marché et dans les pays comme la Colombie, c’est l’appétit occidental qui assure l’exploitation de ressources comme le charbon.’’

Quel est le rôle de l’industrie du pétrole et des entreprises privées?

‘‘Le pétrole est essentiel à l’économie capitaliste. Les lobbys de ce secteur ont une prise très forte sur nos gouvernements. En fait, ils financent nos gouvernements et vice versa. Dans un de nos rapports, nous avions pris l’exemple d’un employé de la Commission européenne qui parallèlement travaillait pour Saudi Aramco, une des plus grosses industries pétrolières.

‘‘Les grosses entreprises ont joué un rôle très important dans toutes les négociations climatiques en assurant que celles-ci soient en leur faveur en n’entravant en rien leur ‘‘business as usual’’. Tout le raisonnement de ces négociations est basé sur la logique de marché et de libre-échange, considérée comme une solution et pas comme un problème.’’

Est-il possible de convaincre les entreprises de changer de cap ?

‘‘Les dindes vont-elles voler à Noël? Jamais. Leur modèle commercial est incompatible avec chaque effort contre la dérégulation climatique. Si nous voulons agir, nous devons d’abord éloigner ces entreprises autant que possible de nos gouvernements et des décideurs. Mais l’approche de l’Union européenne n’est pas basée sur les besoins de la population, elle repose sur la défense des intérêts des entreprises. Volkswagen (et l’industrie automobile en général) nous a illustré qu’elles vont toujours mettre leurs profits avant la planète.’’

Tu as suivi depuis un an la mobilisation autour de la COP 21. Quels débats as-tu pu observer dans les mouvements sociaux et ONG?

‘‘Les choses ne sont jamais homogènes… Certains ont une vue plus systémique, d’autres ont peur de faire le lien entre notre système économique – le capitalisme – et la dérégulation climatique. Mais la lutte pour le climat, fondamentalement, c’est de décider qui aura le pouvoir à l’avenir : les peuples ou les multinationales. Il s’agit, à la base, d’une question de démocratie. Il faut arrêter de penser en termes de quantité d’émissions de gaz à effet de serre et se rendre compte que la question est sociale et économique avant d’être environnementale. Si nous voulons être conséquents, nous devons complètement tout changer.

‘‘Chaque jour qui passe signifie qu’il faudra faire beaucoup plus dans les années à venir contre les conséquences du réchauffement climatique… Plus le temps passe et plus un changement radical de système devient nécessaire. Il n’est pas question de transition, mais de transformation radicale.»

Quel rôle pourraient jouer les mouvements sociaux et le mouvement des travailleurs ?

‘‘Les syndicats ont un rôle à jouer dans cette lutte ! Il n’y a pas de travail sur une planète morte… S’ils n’élaborent pas une stratégie de lutte, ils vont céder aux intérêts des employeurs et des multinationales. En ce moment, la grande majorité des syndicats ne participe pas réellement activement aux mobilisations environnementales. Mais la lutte contre la dérégulation climatique représente une grande opportunité de transformation de société pour tout le monde, vers une société avec des services publics de qualité (logement, transport, santé, etc.), en repensant la notion de travail, etc. par le détrônement du pouvoir des multinationales.

‘‘Les travailleurs doivent pouvoir décider collectivement et démocratiquement quoi produire ou consommer et pour qui et comment, ainsi que de répartir les richesses entre tous. Si on veut vraiment combattre le changement climatique, il faut transformer l’économie et la seule façon d’y parvenir, c’est tous ensemble par le mouvement de masse. C’est difficile, mais c’est une grande opportunité, non seulement pour le mouvement pour la justice climatique, mais aussi pour tous ceux qui luttent pour la justice sociale.’’

http://corporateeurope.org/

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