Côte d'Ivoire. Réélection de Ouattara au terme d'un scrutin d'un «calme à faire peur»

La dictature se consolide tandis que l’«opposition» se ridiculise – temps de tourner la page!

AlassaneCe dimanche 25 octobre était une date depuis longtemps attendue par l’ensemble de la population de Côte d’Ivoire mais aussi de la «communauté internationale» et des fameux «investisseurs étrangers» qui, parait-il, attendaient la fin de ce scrutin avant de venir nous arroser de leur pluie de milliards. Les élections présidentielles se sont bien déroulées, et, à la suite d’une campagne marquée par de nombreuses irrégularités, l’arrogance du pouvoir, la neutralisation de l’opposition et un sentiment de résignation de la part de la population désabusée face à une élection sans enjeu, ont fini par mener à la réélection du président sortant Alassane Dramane Ouattara, sans que cela ne surprenne ni n’émeuve qui que ce soit.

Ouattara, vainqueur sans gloire, s’incruste à la tête de son État policier et de son gang de pillards. Pendant ce temps, les partis d’opposition bourgeois et petite-bourgeois, notamment les deux tendances du FPI, ont confirmé aux yeux du monde entier leur impuissance, leur désorganisation, leur manque de vision et de stratégie.

Maintenant qu’une page a été tournée, il est plus que temps de rassembler les forces éparses de la gauche ivoirienne, tirer ensemble les leçons qui s’imposent et réorganiser un mouvement de lutte prolétarienne, véritablement national, armé d’un programme socialiste, en tant que seul outil de lutte pour une transformation radicale de la société ivoirienne, la liberté, la justice, le développement, la richesse partagée, la souveraineté nationale et l’indépendance véritable politique et économique.

Déclaration du Comité pour une Internationale Ouvrière – Côte d’Ivoire

Les élections : une véritable mascarade

On ne cesse de le répéter depuis deux ans : les conditions dans lesquelles se sont déroulées ces élections ont été lamentables. Tout d’abord, la Commission électorale indépendante, composée en majorité de personnes proches du pouvoir et avec à sa tête le même Youssouf Bakayoko qui a été un des acteurs majeurs de la crise de 2010, n’inspirait confiance à personne. Ensuite, l’absence de tout débat politique entre pouvoir et opposition : aucun dialogue, aucune liberté de meeting, aucun droit de passage à la télévision… Sans compter les très nombreux prisonniers politiques et exilés, qui n’ont bien entendu pas eu leur mot à dire ! Le tour majeur a été la division organisée par le régime, avec la corruption de certains cadres, l’enfermement d’autres, et la mise au pas de partis tels que le PDCI dont les membres ont été brutalisés pour accepter le fameux «appel de Daoukro» qui faisait d’Alassane Ouattara « le candidat du PDCI» sur simple volonté de Bédié et contrairement aux décisions du congrès.

Ensuite, la question de l’éligibilité de Ouattara qui a fait couler tellement d’encre et marcher tellement de gens (une question que nous avons toujours considéré comme un faux débat). Alors que le débat a duré pendant toute l’année, ce n’est finalement qu’à quelques semaines des élections que le Conseil constitutionnel, dirigé par un certain Mamadou Koné depuis la démission de Francis Wodié, a tout à coup annoncé qu’Alassane pouvait bel et bien être candidat. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

Puis on a vu la défaillance dans l’opération d’inscription des nouveaux électeurs du mois de juin, qui a dû être prolongée d’un mois vu le faible engouement. Alors qu’on s’attendait à «entre 2,3 et 3,3 millions de nouveaux votants» (le gouvernement n’a même pas de chiffres de population fiables !), seul 108 387 jeunes Ivoiriens sont venus s’inscrire (chiffres donnés entre autres par le magasine Jeune Afrique). Alors que le nombre d’électeurs potentiels devait être de 8 à 9 millions selon le recensement de l’année passée, on n’avait que 6 millions d’inscrits cette année. Puis ça a été la même comédie avec les cartes d’électeurs qui devaient être retirées dans les semaines avant le scrutin. Selon le code électoral, la date limite de retrait des cartes ne peut dépasser 8 jours avant le vote. Mais vu que les foules, une fois de plus, ne se pressaient pas, le régime s’est vu contraint de reporter le délai au vendredi 23/10… pour finalement annoncer qu’il serait possible de voter sans sa carte d’électeur ! Tant le régime a commencé à s’inquiéter du fait que l’élection serait véritablement boudée par les Ivoiriens.

Après avoir manœuvré pendant cinq ans pour s’assurer la mort de toute opposition politique, et après deux ans de meetings tournants régionaux de « précampagne » financés par la caisse de l’État, voilà que tout à coup le régime s’est rendu compte que la campagne électorale n’intéressait absolument personne, tant il était évident que Ouattara serait réélu. Le gouvernement a alors pris la décision d’accorder 100 millions de francs à chaque candidat « pour faire campagne », de façon totalement illégale.

Pendant ce temps, les gares ne désemplissaient pas, vu le grand nombre de personnes qui cherchaient à fuir Abidjan pour aller se réfugier qui en brousse, qui au Ghana ou au Burkina, en attendant l’issue des élections.

Le jour même du vote, on constatait que les tablettes censées permettre une identification rapide, facile et infaillible des électeurs, ne fonctionnaient pas. Des tablettes achetées pour la somme de 11 milliards de francs au même M. Kagnassi, responsable de nombreux cafouillages électoraux dans toute la sous-région, y compris en Côte d’Ivoire en 2010 (la fameuse opération d’enrôlement des électeurs à 160 milliards de francs) ; le même M. Kagnassi est aussi celui à qui on a confié la «rénovation» de l’université de Cocody (source : L’Éléphant déchainé, 30/10/15). On se demande bien comment un tel individu peut encore se voir attribuer le moindre marché public. Bref…

Le soir du dimanche, le pouvoir a commencé par annoncer un taux de 60 % de participation. Devant la risée générale, y compris de plusieurs ambassades, le taux a été revu à la baisse, à 55 %… Avant d’être « rectifié » à 52 %. Mais qu’on soit bien clairs : ces 52 % expriment 3 129 742 suffrages sur 6 301 189 inscrits (si les chiffres donnés par le régime lui-même sont véridiques, et ils s’approchent sans doute de la réalité). Or, si l’on prend en compte le fait que 3 millions de jeunes « nouveaux électeurs » n’ont pas été s’inscrire, les 3 129 742 électeurs qui se sont exprimés le 25 octobre, sur une population en âge de voter de 9 millions d’habitants, nous donnent en réalité un taux de participation d’à peine 35 %, et non 52 % !

Si on avait compté, comme le régime a voulu le faire, que le taux de participation est de 60 %, alors Ouattara avec ses 83,66 %, aurait obtenu le chiffre magique de 50,2 %, ce qui représenterait une majorité absolue de la population. Mais si on prend en compte le taux de participation réel de 35 % (en tenant compte des non-inscrits et des inscrits non votant), Ouattara n’a dans les faits reçu les suffrages que de 29 % des Ivoiriens.

En réalité, avec ses 2 618 229 voix selon le résultat officiel, Ouattara n’a quasiment pas amélioré son nombre de voix de 2 483 164 au second tour des élections de 2010. Si en 2010 les 2 483 164 voix donnaient 54 % (chiffre contesté), comment 2 618 229 voix peuvent-elles donner 84 % ? N’oublions non plus que dans toutes ces voix, la moitié lui viennent du PDCI…

Il n’y a donc pas lieu de brandir les soi-disant «11 % de taux de participation» que sort d’on ne sait où le FPI-Sangaré pour décrédibiliser cette élection. Les chiffres officiels donnés par le régime nous suffisent amplement à dire qu’Alassane Dramane Ouattara n’est pas le dirigeant légitime de ce pays.

Et ce sont ces élections organisées à la va-vite, truquées, trafiquées, muselées, boudées… que la plupart de la presse occidentale cherche aujourd’hui à nous présenter comme étant «les premières élections pacifiques jamais organisées en Côte d’Ivoire.»

Voici ce qu’écrivait le journal français Le Monde à ce sujet : «En Afrique, une victoire au premier tour n’est pas nécessairement un bon signe démocratique. Surtout avec un score «à la soviétique» de 83,6 %, tel que celui obtenu par Alassane Ouattara. Rien de cela en Côte d’Ivoire. La réélection au premier tour du chef de l’État sortant intervient à l’issue d’un vote apaisé, reconnu, endossé par les observateurs sur place et l’ensemble de la communauté diplomatique internationale. Même si la logistique ne fut pas sans reproche le jour du vote. Mais l’on passe beaucoup de choses au président Ouattara, et personne n’insistera sur les manquements de ce scrutin. Fort de son score et d’un taux de participation honorable (près de 55 %), le président sort crédibilisé de ce scrutin »

Et de rappeler que les élections de 2010 s’étaient soldées par un bain de sang, pour lequel Gbagbo a été emprisonné… comme si Ouattara n’avait lui, par contre, rien à voir avec cette violence ?!

L’opposition : impuissante, désorganisée, sans vision

L’opposition nous a donné un bien piètre tableau tout au long de cette année électorale. Il lui a fallu énormément de temps pour se mettre en route, et les nombreuse hésitations des «leaders» n’ont pas contribué à l’engouement. Pourtant, comme nous l’avions analysé il y a maintenant un an, la situation n’avait jamais été aussi mure pour l’émergence d’un candidat indépendant. En effet, les Ivoiriens sont fatigués de ce feuilleton qui n’en finit pas des trois partis politiques et de leurs leaders. Ces trois partis perdent petit à petit leurs membres et leur implantation, et c’est ce qui avait été révélé par les élections municipales de 2013, où pour la première fois dans l’histoire de notre pays, la majorité des communes ont été occupées par des indépendants et non par un des trois grands partis. L’intérêt pour les candidats indépendants s’exprimait aussi par tout le débat qui a eu lieu à propos d’un éventuel régime de transition.

Mais de manière générale, la CNC et ses «leaders» ont trahi tous les espoirs, non seulement les nôtres, mais aussi ceux des Ivoiriens qui espéraient voir un changement de tête au sommet de l’État pour tourner la page et présider à une véritable «réconciliation».

Ainsi, nous écrivions, dans le premier numéro de notre bulletin, L’Étincelle, paru en février 2015, que KKB était pour nous le candidat qui avait le plus de potentiel de présider à la constitution d’un front radical large anti-Ouattara. Cependant, nous écrivions aussi que «pour cela, KKB devra rompre avec son parti en prenant avec lui autant de militants que possible, faire une autocritique franche et honnête de ses prises de position passées, et adopter un programme de lutte autour de thèmes militants tels que l’emploi, l’enseignement, le pouvoir d’achat, le logement et la nationalisation des secteurs-clés de l’économie et des ressources naturelles, en développant une véritable dynamique autour de ces thèmes.» KKB a été le candidat le plus virulent par ses déclarations fracassantes qui souvent touchaient juste, mais étaient essentiellement destinées à susciter l’intérêt des pro-Gbagbo. Il a aussi été le premier candidat à se rendre à La Haye pour rendre visite à Laurent Gbagbo, créant un véritable buzz autour de sa personne. Il bénéficiait aussi du fait d’e?tre un jeune et d’apporter un peu de sang neuf dans la course électorale, par rapport aux vieux politiciens usés.

Malheureusement, KKB n’a pas du tout cherché à créer un mouvement autour de lui, se contentant de faire du bruit. Il n’a pas non plus donné de vision claire de son programme avant la fin du scrutin – un programme qui d’ailleurs ne tranchait pas avec l’impérialisme, puisque pour lui : «Pour industrialiser notre pays, il faut avoir des capitaux. Des capitaux qui viennent de l’étranger. Il faut faire en sorte que la Côte d’Ivoire redevienne une sorte de paradis fiscal pour attirer les capitaux étrangers.» Bref, on voit qu’avec son score de 4 % et sa place de troisième candidat, il aurait pu faire beaucoup mieux, s’il l’avait voulu.

Mais le voulait-il ? Voici quelqu’un qui, quelques jours avant les élections, lançait encore : «De même qu’un pont peut valoir deux mandats, aujourd’hui débarrasser les Ivoiriens de Ouattara peut valoir dix voire quinze mandats». La même personne qui, devant un public conquis à la cause de Laurent Gbagbo, lançait il y a à peine trois mois : «Le président des Ivoiriens est à l’étranger, alors que le président des étrangers est en Côte d’Ivoire!», ou encore : «Ouattara ne peut pas gagner d’élection en Côte d’Ivoire, parce qu’il n’a jamais gagné d’élection en Côte d’Ivoire!» Et revoilà le même KKB qui, avant même la proclamation des résultats, félicite déjà Ouattara pour sa victoire, allant même jusqu’à «souhaiter que cet autre mandat soit pour lui l’opportunité de continuer à rassembler les ivoiriens, à les unir et à leur offrir le bonheur qu’ils sont en droit d’attendre de leurs dirigeants. Que Dieu l’aide dans cette noble mission.» La candidature de KKB n’était-elle donc qu’une autre farce orchestrée pour le régime, à la recherche de candidats pour «accompagner» Ouattara ?

Essy Amara est lui aussi l’exemple type de cet opposant indécis qui déçoit les grandes attentes placées en lui. Alors que ses partisans étaient venus l’accueillir nombreux à l’aéroport et ont même été jusqu’à créer leur propre journal, voilà que la cérémonie d’investiture a été sans cesse retardée, que l’individu se livre à un jeu de passe-passe au moment de (ne pas) rejoindre la CNC, et finit tout bonnement par se retirer de lui-même de la course électorale. Au moins a-t-il été consistant dans son refus de s’engager dans ce simulacre d’élections.

Tout le contraire de Banny, qui lui, a tout donné et s’est enfoncé comme il le pouvait dans la «campagne électorale», jusqu’au vendredi avant-veille du scrutin. C’est à n’y rien comprendre. Si les conditions pour l’élection n’étaient pas réunies, alors pourquoi participer ? Mais si on a participé, c’est qu’à un moment on pensait que les conditions étaient réunies, ou du moins sur le point d’être réunies ? Au final, Banny, qui a fait deux fois le voyage à La Haye et comptait certainement, à tort, sur un éventuel appel de Gbagbo aux militants du FPI, ressort la queue entre les jambes. Le laissera-t-on prendre sa retraite au PDCI ?

Finalement, la CNC a péché par son manque de stratégie et de vision. Tout d’abord, étant dominée par des individus aux visées opposées, elle ne s’est jamais fixé pour objectif une candidature unique contre Ouattara, préférant se cantonner à demander des «élections véritablement transparentes». Or, même cet objectif minime n’a jamais pu être atteint. Qu’aurait-il fallu faire pour l’obtenir ? Il aurait fallu mobiliser les foules pour faire pression sur le régime. Or, pour bon nombre d’Ivoiriens, à quoi bon se battre pour des élections transparentes, si aucun des candidats potentiels ne répond à leurs attentes ? Quand on sait en plus les risques que cela peut engendrer. Qu’y a-t-il à y gagner ? Il n’aurait été intéressant d’avoir des élections véritablement transparentes que si, à la clé, cela aurait pu assurer de pouvoir élire un candidat qui suscite un engouement.

D’autre part, pendant que la CNC avait été officiellement constituée pour appeler à des élections transparentes et apaisées, la majorité de ses membres étaient issus du FPI-Sangaré qui, lui, appelait à boycotter les élections et n’est jamais revenu sur ce mot d’ordre. Comment peut-on appeler à boycotter des élections qu’on désire en même temps «libres et transparentes» ?? Au final, le seul slogan qui était véritablement repris lors des meetings de la CNC était «Libérez Gbabgo!»

Pendant ce temps, les indépendants issus du PDCI semblaient considérer ces meetings comme des « primaires » pendant lesquelles ils auraient pu convaincre la base FPI de les adopter comme candidat. C’est pourquoi chacun d’eux a cherché à rivaliser de discours assassins envers le régime, allant jusqu’à tomber dans la pure démagogie, avec des propos peu susceptibles de rassembler l’ensemble de la population.

Bref, empêtrée dans ses multiples contradictions, la CNC n’a jamais pu donner de mots d’ordre clairs à la population ni la moindre orientation quant aux objectifs à atteindre. Elle s’est contentée de dénoncer Ouattara en tant qu’individu sans chercher à décortiquer son programme de société néolibéral et pro-impérialiste, ni à présenter une alternative «nationaliste». De plus, par ses  attaques à la nationalité», la CNC n’a fait que donner du crédit aux discours de Soro et repousser dans les bras du RDR les nombreux nordistes qui commençaient à douter de Ouattara et de sa politique. En divisant les Ivoiriens, elle a donc renforcé le régime et sa base sociale.

D’ailleurs, le programme de l’ensemble des candidats de l’opposition était finalement le même que celui d’Alassane, à part l’un ou l’autre détail. Tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faut «développer le pays par l’industrialisation et la transformation de nos matières première grâce à l’apport de capitaux étrangers, ce qui nécessite de créer un environnement propice aux affaires». Mais n’est-ce pas ce que fait déjà le régime RHDP ? Alors à quoi bon risquer de déstabiliser une fois de plus le pays, si c’est pour de toute façon obtenir la même chose ?

Enfin, la CNC a été incapable d’identifier les moyens qui auraient pu ébranler le régime. Pourtant, il est clair qu’on ne chassera pas Ouattara et qu’on ne mettra pas un terme à sa politique néolibérale pro-impérialiste simplement en marchant à Yopougon, à Dabou ou à Bonoua, quand bien même la marche regrouperait des milliers de personnes (ce qui n’était de loin pas le cas). La seule arme capable d’effectuer un véritable changement est un front uni des syndicats des travailleurs, en lutte pour leurs droits.

Pourquoi l’impérialisme soutient-il Ouattara ? Parce que c’est lui qui assure que les Ivoiriens travaillent dans les entreprises françaises qui contrôlent 40 % de notre économie et rapportent des profits considérables à quelques grands patrons français. Si, par la grève, nous faisons en sorte que plus aucun argent ne rentre dans les poches de ces grands patrons, alors le règne de Ouattara touchera à sa fin. Mais ce n’est que la dernière semaine que la CNC est parvenue à arracher à certains syndicats une motion, selon laquelle les syndicats se disaient inquiets des conditions dans lesquelles se déroulaient le scrutin. Trop peu, trop tard.

Au final, la raison fondamentale pour laquelle la CNC a été incapable de jouer un véritable rôle, n’est pas le simple «manque de vision», «manque de formation» ou «individualisme» de tel ou tel «leader de l’opposition». La raison est que la CNC était un conglomérat de forces bourgeoises ou petites-bourgeoises qui sont liées au capitalisme et n’ont aucun intérêt à voir les syndicats jouer un rôle de premier plan dans la politique du pays, ni à donner le pouvoir à la masse populaire. Puisqu’une fois arrivés au pouvoir, tous ces dirigeants partagent un programme dans lequel les travailleurs ivoiriens devront docilement travailler pour le compte d’«investisseurs étrangers», censés «développer le pays» pour le plus grand profit de la bourgeoisie nationale ivoirienne. Il ne faut donc pas s’étonner que la CNC, dès le début, donne l’impression de se battre avec un bras dans le dos. Seule une force prolétarienne pourra proposer aux habitants de Côte d’Ivoire un véritable programme de lutte et d’action pour rompre à la fois avec la dictature, l’impérialisme et le capitalisme.

Le FPI : toujours la même soupe

L’aile du FPI, dorénavant surnommée comme «messianique» par l’Éléphant déchainé (c’est-à-dire, qui attend le Messie qui viendra les libérer), brille également par son incohérence et son incapacité à mener le moindre débat sérieux. Voilà des gens qui ne parviennent pas à organiser le moindre mouvement depuis quatre ans, mais qui tout d’un coup sont convaincus qu’ils parviendront à faire tomber Alassane en deux semaines par l’organisation de marches éclatées. Qui, pour ne pas s’associer avec des « ennemis de Gbagbo », vont s’associer à d’autres ennemis de Gbagbo.

Des gens dont la presse ne fait que relayer les moindres rumeurs venant de l’Élysée et qui appellent de toute leur âme l’intervention de la France pour chasser Ouattara. Les mêmes qui avaient fêté la victoire de François Hollande sur Sarkozy, croyant que cela allait changer quelque chose. Incapables de mener le moindre combat sans leur leader emprisonné et de développer le moindre projet de société.

Incapables aussi de tirer les moindres leçons du passé et notamment de leur défaite de 2010. Le congrès de Mama aurait pu servir de lieu de débat serein pour identifier les raisons qui ont fait perdre le pouvoir au FPI et tirer les conclusions révolutionnaires qui s’imposaient en terme de stratégie et de programme. On aurait ainsi pu convaincre les «affidés» de la justesse du combat à mener. Au lieu de ça, la simple réélection de Gbagbo pour soi-disant clouer le bec à Affi, n’a fait que tirer le parti encore plus en arrière. Le FPI-Sangaré ressemble de plus en plus à une secte, qui s’enfonce dans le mysticisme et préfère les «songes» et «prophéties» à l’analyse politique rationnelle.

Au lieu d’envoyer leurs nombreux militants en campagne dans les quartiers et dans les zones industrielles pour mener une agitation et organiser la population autour de thèmes concrets : contre la cherté de la vie, pour des hausses salariales, pour plus d’investissement dans les secteurs publics, etc., le FPI-Sangaré préfère se croiser les bras tant que Gbagbo n’est pas libéré.

Au lieu de reconnaitre Ouattara pour les quelques mérites de sa politique, de poser le pour et le contre mais en démontrant les tares de sa politique néolibérale et pro-impérialiste et d’en tirer des conclusions argumentées en termes politiques, le FPI-Sangaré préfère rester au niveau de la calomnie, des ragots, des attaques personnelles, des alertes au complot… Et les titres de la presse bleue deviennent de plus en plus fantaisistes de jour en jour.

Au lieu d’utiliser contre lui-même les chiffres donnés par le pouvoir, qui montrent selon nos calculs (et ceux d’Essy Amara, d’ailleurs) qu’Alassane n’a été réélu que par 29 % des Ivoiriens, le FPI-Sangaré préfère balancer un taux de participation sorti d’on ne sait où, de 11 %, et s’y tenir.

Le FPI-Sangaré considère que les « 89 % » qui n’ont pas voté ont suivi son appel au boycott. En réalité, on sait bien que le faible taux de participation, de 35 % (52 % des 67 % d’inscrits), est dû à toute une série de facteurs, notamment la peur de voir les élections dégénérer, la crainte de représailles, le manque d’intérêt d’un scrutin dont on connaissait déjà le vainqueur, l’absence de tout candidat crédible… L’appel au boycott a été un facteur, mais un facteur parmi d’autres.

En réalité, lorsqu’Alassane Ouattara déclare au lendemain des élections que « le FPI sera vidé de sa substance », il ne fait qu’observer le processus déjà en cours au sein du FPI à l’heure actuelle.

Affi : la solitude pour avenir

En vérité, comme le titrait l’Éléphant déchainé la semaine passée, le FPI a enfin tenu son congrès. C’était là le seul véritable enjeu de ces élections. Affi, qui prétendait avoir la majorité des membres du FPI derrière lui, parviendra-t-il, oui ou non, à obtenir un score honorable ? Avec ses 9 % sur un taux de participation réel de 35 %, Affi a donc obtenu le vote de 3 % des Ivoiriens. Pas terrible. Alors que 1 756 504 personnes avaient voté pour Gbagbo au premier tour des élections de 2010, Affi fait 290 780 voix, sachant que ces élections auraient dû compter 3 millions d’électeurs supplémentaires…

Affi, contrairement à ses opposants «frondeurs», a cherché à tirer les leçons de la défaite de 2010. Le problème est qu’il a tiré des conclusions totalement opposées aux nôtres. Pour Affi et son groupe, le FPI a perdu le pouvoir parce qu’il a été «trop radical», parce qu’il n’a pas cherché à bien négocier avec la «communauté internationale», parce qu’il a été  trop dans l’idéologie». Le camp Affi a donc développé une nouvelle doctrine «social-démocrate» pour qui l’idéal socialiste est une idée du passé, une utopie. Le camp Affi s’est en outre fourvoyé en prétendant que, Sarkozy ayant perdu le pouvoir, «Ouattara avait perdu ses fétiches».

Ce camp accepte le capitalisme et le compromis. Il ne faut donc pas s’étonner d’y retrouver la plupart des membres de la « bourgeoise FPI », tels que Marcel Gossio, Christophe Gnéhiri, etc. des individus riches pour qui les affaires priment sur l’idéologie et la lutte. Pour cette bourgeoisie, le combat du FPI est essentiellement axé sur un partage du gâteau plus équitable entre bourgeoisie étrangère et bourgeoisie nationale. Sans compter qu’Affi N’Guessan lui-même n’est en liberté que par une décision de justice qui lui a accordé un sursis tandis que Simone Gbagbo a été condamnée à 20 ans de prison.

Le camp Affi s’est de plus décrédibilisé aux yeux des militants sincères par son refus d’organiser le congrès, par ses nombreux recours judiciaires à l’encontre de ses camarades de parti, par ses attaques à peine voilées contre la personne de Laurent Gbagbo. Le but d’Affi et de ses amis est de faire du FPI un parti « normal », de tourner la page des années Gbagbo. Il ne faut donc guère s’étonner de sa défaite électorale retentissante.

D’où vient le soutien à Alassane ?

Malgré les nombreuses irrégularités qui ont entaché le scrutin, on ne peut dire qu’Alassane ne jouit d’aucun soutien dans la société. Son premier atout est la passivité et la résignation. En l’absence de la moindre alternative crédible à sa politique, il a pu déployer toute la force de sa machine de répression pour faire taire les quelques mouvements d’opposition qui tentaient de se constituer, allant jusqu’à attaquer une marche de mamans de Yopougon qui voulaient protester contre les enlèvements d’enfants. Pour beaucoup d’Ivoiriens, même si tout ne va pas bien et que les ministres RHDP se complaisent dans la corruption et l’impunité, «au moins, le pays avance, nous avons une certaine stabilité et nous pouvons réaliser nos projets». Personne n’est prêt à prendre le risque de jeter à nouveau le pays dans le chaos pour mettre en place un politicien qui appliquera de toute manière le même programme qu’Alassane. La réconciliation, la démocratie, «ça ne se mange pas».

Alassane Ouattara est quand même parvenu à accomplir de grands travaux d’infrastructure (et pas seulement un ou deux ponts), à améliorer le revenu des paysans, à diminuer la fréquence des coupures d’eau et d’électricité, à faire revenir toute une série d’investisseurs étrangers… Même si les fruits de la croissance tardent à se faire sentir dans la poche des Ivoiriens (ce qui est normal vu la nature néolibérale de sa politique), même s’il mène une politique avant tout à destination des riches, même si de très nombreuses promesses n’ont pas été tenues, de l’avis de beaucoup de gens, le pays est mieux géré qu’avant.

Non, Alassane n’est pas indéboulonnable, mais en l’absence d’une alternative, d’une stratégie de lutte capable de redonner la foi à la majorité désabusée, et d’un projet de société crédible, il reste en place « par défaut ».

Vers où allons-nous à présent ?

Il est clair que l’ensemble des facteurs de déstabilisation et de mécontentement sont toujours là. Mais la population ne trouve aucune force et aucun leader crédible capable d’organiser et de donner une voix à ce mécontentement, de l’orienter sur le chemin de la lutte et de donner des objectifs et des mots d’ordre clairs.

Alassane n’ayant plus de nouvelle échéance électorale devant lui, on aurait pu s’attendre à ce qu’il cherche à mettre en place un gouvernement d’« union nationale » auquel toutes les forces politiques du pays auraient été conviées. Malheureusement, galvanisé par sa victoire, le pouvoir RHDP continue dans la même arrogance qui le caractérise. « Je suis un libéral et qu’est-ce que j’aurais à faire avec des gens du FPI qui sont socialo-marxistes ? ». On trouvera peut-être l’un ou l’autre petit poste pour KKB et Banny… C’est tout.

Alassane va surtout chercher maintenant à consolider son régime pour assurer sa succession, en faisant fusionner le PDCI et le RDR avec la bénédiction de Bédié, en modifiant la constitution pour créer un poste de vice-président qui pourrait être taillé sur mesure pour Guillaume Soro… avant d’éventuellement prendre sa retraite pour raisons médicales d’ici 2-3 ans.

Vu que de nombreux capitalistes étrangers attendaient la fin du scrutin pour lancer leurs projets d’investissement dans le pays, il est probable que nous allons assister à une réelle croissance de l’économie. Déjà, le chocolatier Cémoi a annoncé la construction de la toute première usine de chocolat d’Afrique de l’Ouest, qui devra engager 400 personnes, tandis que la brasserie Heineken sera la première à s’installer dans la nouvelle zone industrielle au PK24 pour faire travailler 700 ouvriers. On s’attend encore à l’extension du port d’Abidjan, à la construction d’hôtels sur le littoral « déguerpi » à Port-Bouët, à l’ouverture du grand magasin Carrefour à Marcory, à plus d’unités de transformation de l’anacarde et du coton… L’arrivée de ces grands groupes, venus pour exploiter le travail des Ivoiriens, renforcera le pouvoir potentiel de la classe ouvrière en tant qu’acteur de transformation sociale.

Comment assurer la victoire de la démocratie, la souveraineté, le développement et la juste répartition des richesses ?

Nous devons être clairs sur le fait qu’Alassane Ouattara n’est qu’un élément de la chaine de domination impérialiste sur notre continent. Fidèle à sa logique libérale, il mène une politique d’amélioration du «climat des affaires» censée permettre l’épanouissement d’entreprises capitalistes sur notre territoire. Nous ne devons pas nous leurrer : ce n’est pas comme cela que nous arriverons à une situation de développement partagé et de mieux-être pour tous, vu que la présence de ces entreprises sur notre sol sera conditionné au fait que les salaires resteront bas, que les travailleurs ne pourront bénéficier de conditions de travail décentes, que les taxes à payer resteront minimes, que l’État s’engagera à subsidier leur implantation (entre autres par la mise en place de soi-disant « partenariats public-privé »), et que la police sera toujours là pour chicoter les grévistes. Tout cela en persévérant dans le discours de division afin d’empêcher une lutte commune de l’ensemble de la population de Côte d’Ivoire contre le système et pour un mieux-vivre commun.

Alassane est remplaçable. Ce n’est pas étonnant si la plupart de la campagne électorale s’est réalisée à l’étranger, dans des salons à Paris et à New York, avant même d’avoir commencé ici. L’impérialisme a déjà préparé ses pièces de rechange au cas où Alassane venait à faillir. Tant qu’Alassane satisfait ses patrons étrangers, tant qu’il maintient les Ivoiriens au travail, ils le soutiendront. Au cas où il ne parviendrait plus à maintenir la stabilité nécessaire à la bonne marche de l’exploitation capitaliste, ils le remplaceront par un autre candidat bourgeois, que ce soit via des élections ou via un coup d’État et un soi-disant «régime de transition».

Notre rôle en tant que révolutionnaires est de ne pas nous laisser berner par toutes ces petites manœuvres et d’y voir clair à travers l’ensemble du processus. Notre rôle est d’expliquer patiemment aux masses que la croissance obtenue sous Ouattara n’est qu’un leurre qui ne profite pas aux populations de Côte d’Ivoire, mais à quelques grands patrons étrangers et à leurs représentants ivoiriens.

Notre rôle est de pouvoir identifier et mobiliser les masses populaires autour de thèmes de campagne qui correspondent aux véritables problèmes des habitants de Côte d’Ivoire : cherté de la vie, mauvaise qualité de l’enseignement, désorganisation des transports, bas salaires, dégradation de la fertilité des terres agricoles, manque d’accès à la terre, au crédit, aux services publics, au logement, etc. Dans tout cela, nous devons adopter un discours qui permettent aux populations du Nord comme du Sud d’ouvrir les yeux et de comprendre la véritable nature des enjeux et des diverses forces politiques en présence.

Notre rôle est d’encadrer les masses et la classe ouvrière dans la création de véritables organes de lutte syndicale afin de pouvoir déployer le plein potentiel de notre force de frappe, par des grèves, des occupations et des marches de solidarité, le tout partie prenante d’une véritable stratégie pour le changement.

Enfin, il nous faudra toujours expliquer qu’aucun développement, aucune indépendance véritable ne sera possible tant que nous resterons dans le cadre du capitalisme et que nous suivrons des politiciens petits-bourgeois dont le seul but est de tromper les masses pour obtenir un compromis avec l’impérialisme et s’accrocher à la « mangeoire » étatique.

Cela veut dire que nous devons œuvrer patiemment mais obstinément à la création d’un nouveau parti politique, un parti prolétarien autofinancé et totalement indépendant de la politique bourgeoise, armé d’un programme socialiste et tissant des liens forts avec des groupes révolutionnaires dans toute l’Afrique de l’Ouest (notamment via le Comité pour une Internationale Ouvrière), afin de rompre une bonne fois pour toute avec le capitalisme et tout son cortège de misère, d’ignorance, de division, de mensonges, de violence et d’oppression.

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