[INTERVIEW] Impact de l'austérité à l'Institut Royal Météorologique

Pascal Mailier est délégué syndical, météorologue et chef de travaux à l’IRM, l'Institut Royal Météorologique de Belgique. Nous l’avons rencontré à la manifestation nationale en front commun du 7 octobre et lui avons posé quelques questions.

Propos recueillis par Pierre (Namur)

Pourrais-tu nous expliquer en quelques mots quel est le rôle de l’IRM ?

Pascal Mailier : L’Institut royal météorologique de Belgique (IRM) est un des 10 établissements scientifiques fédéraux (ESF) qui relèvent du SPP Politique scientifique. Notre mission principale, qui est clairement définie par arrêté royal, consiste avant tout à assurer la sécurité et l’information de la population et à donner un appui aux autorités dans le domaine de la météorologie et de la climatologie. Le public nous connaît surtout pour nos prévisions et avertissements météorologiques diffusés dans les médias. Mais nous sommes aussi très sollicités par les autorités, par exemple le Centre de Crise du gouvernement, et des secteurs-clés de l’économie comme l’énergie et le transport. Sans nous, il n’y aurait tout simplement pas d’avertissements en cas de conditions météorologiques dangereuses (canicules, tempêtes, orages, neige, brouillard, verglas, pluies diluviennes, etc).

C’est un service qui travaille pour le pays 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Nous avons aussi acquis une expertise dans le domaine des prévisions climatiques. Ce type d’expertise est devenu très important dans le contexte actuel de réchauffement global. Une équipe de chercheurs permet aussi à l’IRM de rester à la pointe au niveau des connaissances scientifiques et de disposer des outils les plus performants. À côté de la météorologie, de la climatologie et de la gestion des réseaux d’observation, l’IRM a encore d’autres missions de service public et de recherche scientifique à remplir dans le domaine de la géophysique, notamment l’étude du magnétisme terrestre. Sur le plan académique, nous participons activement à l’enseignement dans les universités et collaborons à plusieurs programmes de recherche nationaux et internationaux. Finalement, l’IRM défend les intérêts de la Belgique au sein d’institutions internationales comme l’Organisation météorologique mondiale, EUMETSAT et le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme. Deux de ces organisations internationales, à savoir EUMETNET et ECOMET, ont d’ailleurs choisi d’établir leur siège chez nous !

Environ 200 personnes travaillent à l’IRM, dont une bonne quinzaine sont affectées au service des prévisions. Malheureusement, malgré l’importance de notre établissement pour le pays, le nombre d’employés à l’IRM est en chute libre, non seulement suite aux mesures d’austérité, mais aussi aux départs volontaires causés par un mécontentement croissant au sein du personnel, statutaire ou non. Depuis plusieurs années, toutes les fonctions dirigeantes – y compris notre Directeur général – sont occupées par des « faisant fonction » ou des « ad interim » . Cette politique délibérée de maintien d’une situation de « provisoire permanent » en évitant de nommer des fonctions de management a contribué à la longue à une dégradation de l’ambiance de travail et du moral des travailleurs vu le manque d’actions décisives, de vision et de perspectives.

Par quelles mesures d’austérité êtes-vous touchés ?

La clique ultra-libérale actuellement au pouvoir n’a que le mot « croissance » aux lèvres, mais c’est clairement l’effondrement des services publics fédéraux qu’elle vise sans avoir l’honnêteté de l’avouer. Le diktat d’austérité imposé dogmatiquement par gouvernement « Charles De Wever » fait particulièrement mal. Sur le plan des effectifs, les réductions punitives du budget « Personnel » de 4% en 2015 et de 2% chaque année suivante sans tenir compte des besoins spécifiques des établissements sont particulièrement handicapantes. Sans compter une dotation en chute libre qui doit s’accompagner d’une diminution vertigineuse sur les frais de fonctionnement (environ 13,5 millions d’euros sur 5 ans pour l’ensemble des ESFs). Il ne s’agit pas ici d’un simple régime : on nous met brutalement au pain sec et à l’eau !

Conséquences ? Elles sont tout à fait comparables à ce qui arrive aux anorexiques : tout se déglingue ! Si on veut démolir le service public fédéral, il n’y a pas de meilleure manière de s’y prendre ! Dans certains services – par exemple les ressources humaines, la comptabilité, l’équipe d’entretien – on n’a plus le personnel nécessaire pour fonctionner normalement. Le service des prévisions a atteint le seuil critique en-dessous duquel il ne peut plus tourner correctement. Les conditions de travail se dégradent bien entendu à vue d’oeil. La charge de travail de certains collaborateurs les mènent dangereusement près du point de rupture, et je ne serais pas surpris que des cas de burn-out se déclarent bientôt à l’IRM comme cela s’est produit chez nos voisins de l’Observatoire royal de Belgique.

Les économies imposées sur le fonctionnement de base commencent aussi à causer des soucis concernant notamment la sécurité et l’hygiène – l’état et l’équipement de certaines toilettes est lamentable – je passe les détails ! Ce n’est pas du tout la faute du personnel d’entretien qui fait vraiment son possible avec un effectif réduit. Vu le sous-investissement systématique, nous craignons également des répercussions négatives sur la qualité du service. Je pense entre autres aux instruments des réseaux d’observation et à leur entretien. Pour la petite histoire, mon PC aurait déjà dû être remplacé depuis 2 ans – je suppose qu’on attend qu’il tombe en panne ?

Comment le personnel réagit-il à ces mesures ?

Le réveil a été lent, mais pas mal de collègues commencent réellement à se poser des questions sur l’avenir des ESFs. Ces inquiétudes se reflètent d’ailleurs dans la recrudescence des demandes d’affiliation. Ce qui m’a aussi frappé, ce sont les départs soudains d’agents statutaires qui ont décidé de démissionner de la fonction publique fédérale pour aller travailler dans le secteur privé. Le manque de perspectives professionnelles résultant des mesures d’austérité n’y est pas pour rien.

Comment vois-tu ton rôle de délégué syndical ? Nous nous sommes rencontré à la manifestation nationale du 7 octobre, que penses-tu qu’il faudrait donner comme suite au mouvement ?

J’ai été positivement surpris et encouragé par le grand nombre de participants à la manifestation du 7 octobre, mais en revanche je dois dire que mobiliser les collègues de l’IRM pour la manif n’a pas été facile. D’après les multiples discussions que j’ai eues lors de la distribution de nos tracts, il y a plus d’une raison pour cette inertie. La première, et à mon avis la plus inquiétante, c’est l’impression qui règne que quoiqu’on fasse, ça ne servira à rien puisque le gouvernement n’écoute pas. Je pense qu’il n’y a rien de plus toxique pour la démocratie que ce sentiment d’impuissance ! En plus, le bourrage de crâne anti-syndical diffusé par les partis de droite et la presse populiste stigmatisent les syndicats comme des saboteurs de l’économie, avec leurs grèves qui empêchent les braves gens de travailler et leurs revendications folles qui mettent notre compétitivité en péril. Il est vrai que ce gouvernement propage un message culpabilisateur simpliste à caractère religieux qui fait mouche dans l’inconscient collectif judéo-chrétien : le diable (les socialistes) nous a conduits au péché (la dette publique), et pour avoir l’absolution du Père (la Commission européenne) il va falloir faire pénitence et souffrir (faire des économies). Il y a aussi la promesse d’un paradis après avoir d’abord nécessairement mordu la poussière.

Maintenant qu’on a des écoles publiques, la sécurité sociale, etc, on a vécu dans un confort relatif qui donne à penser que ces acquis sociaux sont garantis pour toujours. Malheureusement rien n’est plus faux, mais au lieu de se replier derrière les grands discours accusateurs il faut convaincre par nos actions quotidiennes, c’est-à-dire par l’exemple, que la conservation de ces acquis est un combat permanent dans lequel les syndicats ont toujours un rôle fondamental à jouer. Je pense aussi que malgré certaines constantes de la société comme la lutte des classes, les syndicats paraissent trop souvent comme des dinosaures qui répètent toujours les mêmes slogans et stratégies fossiles. Le monde est en évolution rapide et je crois que nous devons être plus créatifs et innovateurs dans nos actions.

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« […] Le potentiel pour de nouvelles actions a été confirmé aujourd’hui [7 octobre 2015]. Organisons les actions provinciales prévues avec autant de militants et de collègues que possible, avec des assemblées du personnel et des réunions militantes interprofessionnelles afin de préparer un plan d’action jusqu’à la chute du gouvernement et avec lequel développer la discussion sur l’alternative politique qui fera entendre nos “recommandations”. »
100.000 manifestants contre le gouvernement: on peut stopper l’austérité… avec un plan d’action jusqu’à sa chute

« […] La volonté de combattre existe toujours. Mais pour cela, il faut que les directions syndicales prennent la lutte véritablement au sérieux et commencent à la structurer de façon convenable. Sinon, nous risquons de foncer droit dans le mur et de subir des défaites majeures. »
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« […] Nous subissons actuellement le meilleur de ce que la bourgeoisie et son gouvernement peuvent réaliser en termes de stratégie par des moyens « normaux » : un gouvernement de droite, une presse aux ordres, le ban et l’arrière-ban des faiseurs d’opinions mobilisés pour convaincre du bienfait de l’austérité. Malgré ça, les sondages d’opinions ne sont pas géniaux pour ce gouvernement. Mais nos réponses ne sont pas encore à la hauteur des attaques. En utilisant mieux nos outils et nos atouts, nous pouvons construire des victoires. »
Le contre-feu du patronat et du gouvernement

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