Burkina Faso : La révolte des masses fait chavirer le coup d'État manqué

burkina_coupLa solution ne viendra que par une action politique des travailleurs indépendante de la bourgeoisie

Il y a moins d’un an aujourd’hui qu’un mouvement de masse des travailleurs et des jeunes a contraint le dictateur du Burkina Faso, Blaise Compaoré, à quitter le pouvoir. Depuis lors, aucun évènement politique significatif n’est survenu dans ce pays enclavé, qui a à présent bénéficié d’une couverture médiatique internationale avec le récent coup d’État survenu dans le pays. Le gouvernement de transition a été renversé le mercredi 16 septembre 2015 lors d’un coup d’État organisé et perpétré par l’unité d’élite de 1300 hommes du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), loyal à Compaoré. Les putschistes ont installé le général Gilbert Diendéré, ancien chef d’état-major de Compaoré, en tant que nouveau dirigeant du pays.

Par Abbey Trotsky, DSM (section du Comité pour une Internationale Ouvrière au Nigeria et parti-frère du PSL)

Au cours de ce processus, le dirigeant du gouvernement de transition, M. Michel Kafando, ainsi que son Premier ministre, M. Yacouba Isaac Zida, qui dirigeaient le pays depuis qu’une insurrection populaire avait renversé le dictateur Blaise Compaoré en octobre dernier, ont été arrêtés. Ces évènements ont immédiatement déclenché une guerre de position sérieuse entre les putschistes et la masse des travailleurs et de la jeunesse dans les rues, poussées par leur instinct révolutionnaire à exprimer le mécontentement de masse contre le coup d’État.

Pour des milliers de jeunes et de travailleurs qui ont convergé dans les rues de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, ce coup d’État n’était pas seulement un moyen technique d’empêcher le processus de transition en cours, mais aussi une tentative de revenir à l’ancien régime par des voies dérobées. Parmi les revendications des putschistes, ceux-ci s’opposaient au projet de démantèlement de leur régiment de garde présidentielle par le gouvernement de transition, qui projetait de les faire intégrer l’armée régulière. Leur deuxième préoccupation était la loi électorale qui interdisait de se présenter aux élections du 11 octobre aux membres du parti de Compaoré, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), ainsi qu’à tous ceux qui avaient soutenu les efforts entrepris par Blaise Compaoré pour modifier la constitution afin de se maintenir au pouvoir.

La détermination parmi les travailleurs à tout faire pour ne pas permettre aux putschistes de s’installer au pouvoir était si grande, malgré la mort de plus de 10 personnes (et 100 blessés), que la confrontation entre la masse des travailleurs et des pauvres et la garde présidentielle n’a cessé de croitre. C’est pourquoi les troupes de l’armée régulière ont été envoyées le 20 septembre dans la capitale Ouagadougou, afin de court-circuiter cette colère croissante des masses. La première chose que l’armée a faite en réinvestissant la capitale a été d’ordonner aux manifestants de rentrer à la maison. L’armée avait exprimé son opposition au coup d’État dans un ultimatum aux putschistes, par lequel elle réclamait la réinstallation immédiate du gouvernement de transition. Or, il était clair que cette même armée dans un premier temps n’était pas prête à mener une véritable bataille. C’est ce qu’on a vu avec l’accord détestable signé avec le RSP devant le Mogho Naba (le roi des Mossis, le chef traditionnel le plus influent du pays).

Selon l’accord signé entre l’armée et le RSP, ce dernier devait quitter toutes les positions dont il s’était emparées à Ouagadougou, tandis que l’armée devait se replier à 50 km de la capitale et garantir la sécurité des membres du RSP et de leurs familles. Ce genre d’accord négocié par le plus important chef traditionnel et les puissances régionales montre bien que la classe dirigeante est fort consciente du fait que le véritable pouvoir ne se trouvait ni entre les mains du RSP, ni entre celles de l’armée, mais bien dans la rue. Les deux factions de la classe dirigeante, dans leur lutte pour le pouvoir politique, ont été contraints de trouver une stratégie pour faire retomber la colère des masses, de peur de voir ces mêmes masses s’emparer du pouvoir à leur place.

C’est pour la même raison que la Cédéao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest), agissant selon les ordres de ses maitres impérialistes (la France, l’Europe, les Nations-Unies) a bien été forcée d’exprimer son opposition à ce coup d’État. Le véritable souci de ces puissances n’est pas la démocratie pour les masses, mais bien au contraire, la crainte que de telles aventures militaires puissent déclencher une véritable révolte populaire qui irait jusqu’à menacer le système capitaliste lui-même. Sans compter le risque toujours présent d’instabilité politique, de guerres civiles, de rébellions et d’interventions militaires qui existe dans de nombreux pays du continent africain.

L’ombre de Thomas Sankara s’étendait sur l’ensemble du mouvement qui a chassé Compaoré l’an passé et encore une fois cette année. Le capitaine Thomas Sankara, qui a dirigé le pays de 1983 à 1987, a été tué lors d’un coup d’État organisé par Blaise Compaoré et par le même putschiste d’aujourd’hui, Gilbert Diendéré. Pendant les quelques années passées au pouvoir, même s’il n’est pas parvenu à bâtir une véritable économie socialiste et démocratique, Sankara a captivé l’ensemble du continent par ses réformes socioéconomiques progressives ainsi que par sa rhétorique anti-impérialiste. Surnommé le « Che Guevara d’Afrique », l’image de Sankara montre à la jeunesse africaine la possibilité d’un autre mode de développement, qui tranche radicalement avec les dogmes néolibéraux et la logique irrationnelle du « marché » prescrite par le FMI et la Banque mondiale ; une logique qui produit des taux de croissance fantastiques tout en maintenant le peuple dans la pauvreté et en aggravant les inégalités.

L’impérialisme est effrayé par l’idée que des mouvements populaires indépendants puissent se développer en Afrique parmi la jeunesse radicalisée et les masses des travailleurs et des pauvres. Cette frayeur s’est accentuée depuis les révoltes de masse de 2011 en Tunisie et en Égypte. L’impérialisme craint à juste titre que sans son intervention, ces mouvements pourraient dépasser les simples revendications démocratiques pour également s’orienter vers une lutte contre le système capitaliste et contre la domination impérialiste du continent, les véritables causes de la misère, de l’ignorance et de toutes les guerres.

C’est pourquoi l’impérialisme a cru bon d’intervenir en Libye pour tuer Kadhafi, afin de couper court au mouvement qui avait pourtant tout d’abord commencé par une révolte populaire indépendante, pro-démocratique et anti-impérialiste. Le résultat aujourd’hui est la déstabilisation de la Libye et sa division entre divers groupes armés et milices sectaires, tandis que les conditions sociales n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles étaient avant la révolte des masses.

L’intervention de la Cédéao pourra-t-elle résoudre la crise politique au Burkina Faso ?

La rapidité avec laquelle le pouvoir putschiste s’est désintégré au Burkina démontre l’énorme force que représentent les jeunes et les masses laborieuses du pays. À chaque étape de leurs négociations, les agents des différentes agences régionales et impérialistes, tout comme le gouvernement de transition, étaient conscients du fait que la seule solution de se sortir de cette crise était de trouver une solution qui puisse satisfaire les masses dans la rue. Par exemple, le plan proposé par la Cédéao de ne pas pourchasser les dirigeants du coup d’État et de laisser participer aux élections les politiciens pro-Compaoré a été rapidement jeté à la poubelle dès qu’il est apparue qu’elle était vomie par les manifestants et par la société civile, pour qui « Le général Diendéré a du sang sur ses mains, la garde présidentielle ne mérite aucun pardon ». Plusieurs personnes disaient aussi « Les propositions de la Cédéao ne sont pas acceptables. Nous allons prendre notre destin en main. Le futur de cette nation nous appartient à nous ». Le président de la transition Kafando a donc été forcé de se conformer à la pression de la rue en déclarant que « En ce qui concerne les propositions de la Cédéao pour une sortie de crise, il est évident que nous ne les suivrons que si elles prennent en compte les aspirations des Burkinabés ».

À présent, la garde présidentielle tant détestée a été démantelée après une brève bataille. Les principaux responsables du coup d’État tels que Diendéré ont été arrêtés. Mais la vérité reste que le processus de transitions tel qu’il est à présent formulé ne peut déboucher que sur la formation d’un gouvernement pro-capitaliste qui va non seulement échouer à répondre aux aspirations de la masse des Burkinabés sur le plan socioéconomique, mais aussi très certainement encore plus aggraver la situation pour ces masses.

En tant que marxistes, nous devons toujours être à l’avant de la lutte pour les droits démocratiques. Cependant, nous devons aussi toujours rappeler que le fait de remporter quelques droits démocratiques ne peut pas mener en soi à un véritable changement dans la vie de la population, pas tant que le système d’exploitation capitaliste ne sera pas remplacé par une alternative socialiste et démocratique.

Nous parlons d’un pays où sur 18 millions d’habitants, 50 % ont moins de 500 francs par jour. Plus de 70 % de sa population est sans emploi. Le salaire minimum est de tout juste 30 000 francs. Le pays est classé 183e sur 186 pays en terme d’indice de développement humain (un indice prenant en compte le revenu, l’éducation et la santé des populations). Dans un tel cadre, il est évident que la seule voie qui s’offre véritablement aux Burkinabés est de ne pas avoir la moindre illusion dans l’une ou l’autre faction de la classe dirigeante capitaliste, civile ou militaire. Au lieu de ça, les masses laborieuses et la jeunesse doivent rester unies dans la lutte pour les droits démocratiques aussi bien que dans le combat pour mettre un terme à la misère de masse causée par le capitalisme.

Pour une alternative socialiste populaire et indépendante

La révolte populaire de 2014 au Burkina Faso a porté en avant le mouvement Balai citoyen, un mouvement de la société civile qui a joué un rôle crucial dans la mobilisation populaire qui a mené au renversement du régime de Compaoré, et à nouveau, à la défaite du général Diendéré. Même si les dirigeants de ce mouvement se disent inspirés par l’héritage de Sankara, les idées et le discours de ce mouvement restent très limités pour l’instant. Il est urgent et nécessaire de comprendre qu’il n’y aura pas de démocratie véritable, pas de fin à la misère qui prévaut dans le pays, tant que l’on n’aura pas construit un parti politique prolétarien et indépendant, qui représente les véritables intérêts de la majorité des masses pauvres et qui s’oriente dans une lutte pour sortir du système capitaliste. Cela veut dire que la classe des travailleurs doit s’organiser en-dehors de toute influence de la bourgeoisie et des partis et dirigeants pro-capitalistes qui dépendent de la bourgeoisie (nationale ou étrangère). Cette idée deviendra certainement de plus en plus populaire après les élections, lorsqu’il sera devenu clair aux yeux des masses qu’aucun des partis politiques en présence ne défend véritablement les intérêts des travailleurs, des jeunes et des pauvres.

Une des principales faiblesses du mouvement de masse est que, bien que des travailleurs aient rejoint les manifestants dans les marches et sur les barricades à titre personnel, la classe ouvrière n’est pas intervenue dans le mouvement de façon organisée et en tant que classe, via ses propres organisations. Cela, malgré la présence de syndicats puissants tels que la Confédération générale des travailleurs du Burkina (CGTB), qui avait organisé une grève nationale de deux jours en 2008 contre la cherté de la vie.

Alors que toute l’expérience historique nous montre que tant que la classe des travailleurs ne s’organise pas avec tous les pauvres pour mener une lutte révolutionnaire contre le capitalisme et pour une nouvelle société socialiste, une victoire permanente ne peut être assurée. Par conséquent, la lutte pour la démocratie et pour une vie meilleure nécessite que les mouvements de la société civile comme le Balai citoyen et les syndicats organisent une conférence nationale à laquelle seront conviés l’ensemble des travailleurs, des jeunes, des paysans, des chômeurs et des simples soldats et policiers qui eux aussi vivent dans une misère crasse. Cette conférence devra s’étendre à tous les quartiers, villages, écoles et entreprises du pays afin de débattre de la stratégie à adopter. Une telle conférence permettrait non seulement d’approfondir les échanges et les débats sur la nature des crises politiques et économiques qui frappent avant tout les travailleurs et les jeunes et sur la manière de défendre les droits démocratiques, sociaux et économiques de la population, mais constituerait également la plateforme rêvée en vue de la création d’une nouvelle formation politique prolétarienne, d’un parti politique des travailleurs, des jeunes et des pauvres, capable de se lancer dans la lutte pour le pouvoir politique.

Ce n’est qu’en s’emparant du pouvoir politique par une révolution sociale que les travailleurs et les pauvres pourront commencer à envisager la possibilité d’en finir avec les crises économiques et politiques qui ravagent le Burkina Faso. Cela nécessite tout d’abord de faire passer les ressources et les richesses du pays entre les mains du public, sous le contrôle des masses laborieuses. Par exemple, les mines, le coton et les institutions financières doivent être nationalisées et gérées par des représentants élus des travailleurs. Ainsi, on sortirait d’une situation où les trois plus grandes banques du pays, qui contrôlent 60 % des capitaux, appartiennent à une petite élite d’hommes d’affaires nationaux ou étrangers. En récupérant la mainmise sur les secteurs stratégiques de l’économie, nationalisés sous contrôle démocratique des travailleurs et dans le cadre d’un plan socialiste, on verrait alors s’ouvrir la possibilité de mettre un terme à la misère et à la pénurie de masse. Ce sont ces éléments qui doivent se trouver au cœur du programme d’un nouveau parti des travailleurs indépendant, pour apporter la solution au marasme social et économique qui frappe les pauvres du pays, unir l’ensemble de la population à travers tout le pays, et éviter de plonger dans une guerre civile qui ne fera que desservir les intérêts des différents groupes bourgeois parasites qui luttent pour le pouvoir, soutenus chacun par différentes puissances impérialistes.

Comme il est inévitable qu’un tel programme socialiste sera saboté et boycotté par l’impérialisme qui cherchera à contrer la volonté indépendante du peuple, il sera nécessaire d’appeler à la solidarité révolutionnaire des travailleurs et des jeunes de toute l’Afrique et du reste du monde pour contrer les velléités d’intervention contre-révolutionnaire.

L’exemple des révolutions et mobilisations de masse en Afrique du Nord et au Moyen Orient en 2011 nous a bien montré qu’une révolution dans n’importe quel pays d’Afrique peut très rapidement s’étendre d’un pays à l’autre comme un feu de brousse en parcourant tout le continent, ce qui rendra impossible l’intervention impérialiste et nous permettra d’avancer vers la victoire.

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