Liège : Grève de 24 heures dans la sidérurgie

Début janvier, la FGTB-Métal avait annoncé qu’elle partirait en grève le 21 du même mois si le Haut Fourneau n°6 de Seraing n’était pas relancé, comme l’avait annoncé la direction du groupe pour cette date. Les filiales d’ArcelorMittal et les sous-traitants ont donc été à l’arrêt, avec la participation de 7.000 grévistes.

Nicolas Croes

Mais Francis Gomez, le président de la FGTB-Métal à Liège, insiste sur le fait que la FGTB ne se bat « pas pour polluer, mais pour l’avenir de toute une région ». La phase à chaud liégeoise représente tout de même 2.700 emplois directs et 10.000 emplois indirects.

Et on comprend la nervosité des travailleurs. Ils ont d’abord subi la fermeture du Haut Fourneau, annoncée en 2003 et effective en 2005. Puis, dans une interview accordée au « Soir » du 16 mai 2007, le numéro 2 de la multinationale avait officialisé la décision de rouvrir le haut fourneau de Seraing, et une première date de relance avait été fixée pour le mois de novembre 2007. Date reportée. Tout cela pour arriver enfin au blocage actuel, officiellement en raison du problème des quotas de CO2.

Mais Liège Info a relayé l’avis d’un chercheur universitaire selon lequel le problème se situerait plutôt au niveau du coût de l’énergie, qui plomberait les résultats d’ArcelorMittal. Pour ce chercheur, donc, les quotas seraient un bon alibi pour retarder la réouverture du HF6. Pourtant, l’unité liégeoise à chaud de Cockerill a augmenté en 2007 son chiffre d’affaires de 1,890 milliard d’euros (contre 1,766 en 2006) et la croissance du revenu brut a été de 110% en une seule année. Et déjà 20 millions d’euros investit dans la relance du haut fourneau depuis cet été. En pure perte ?

Les responsables ?

ArcelorMittal, la Région, le fédéral et l’Union Européenne

De son côté, la FGTB réclame qu’ArcelorMittal investisse dans des outils visant à réduire la production de CO2. Elle explique : « l’absence de quotas est la conséquence de la décision de fermeture prise par Arcelor en 2003. Cette décision était une idiotie, tout le monde l’admet aujourd’hui. (…) Le groupe Mittal a les moyens de faire un effort : le marché de l’acier tourne à plein ; les profits sont énormes ; Liège est bénéficiaire. »

Et c’est vrai, la famille Mittal, principal actionnaire d’ArcelorMittal, se porte bien. Par exemple, Lakshmi Mittal est, selon le magazine américain Forbes, la cinquième personne la plus riche au monde, avec une fortune estimée à 32 milliards de dollars… et sa famille devrait recevoir sous peu 637,5 millions d’euros de dividendes issues de leurs actions ! Comme pour illustrer dramatiquement de quelle manière cette richesse a été accumulée, l’annonce de ces résultats avait été précédée, une semaine plus tôt, par celle de près de 600 licenciements d’ici avril 2009 en France, dans une aciérie sur un site de Moselle, à Gandrange. Plusieurs centaines de personnes ont ainsi défilé devant le siège de la multinationale basé au Luxembourg trois jours à peine après la grève de 24 heures dans la sidérurgie liégeoise.

Mais la multinationale a fait son choix et « Mittal met la pression plus fort que prévu et menace de partir ailleurs, dans les pays où on peut polluer comme on veut », comme l’a déclaré Francis Gomez. En fait, il était à l’origine prévu que les quotas de CO2 allaient être rapidement donnés au HF6, la Région Wallonne a affirmé que c’était possible, pour ensuite négocier des quotas supplémentaires à utiliser à partir de 2010.

Toujours selon Francis Gomez, « Jean-Claude Marcourt (ministre PS de l’économie, de l’emploi et du commerce extérieur de la Région Wallonne, NDLR) avait fait des promesses mais on ne voir rien venir. » La FGTB en appelle aussi au fédéral (qui a déjà financé l’achat de dix millions de tonnes de quotas de CO2 pour la Flandre) et enfin à l’Union Européenne, « dont la législation va à l’encontre de l’activité industrielle tout en permettant le transfert des pollutions vers l’Afrique et l’Asie ».

Egidio Di Panfilo (FGTB-SECa) a fait une proposition pour faire pression sur l’Europe : « La région pourrait refuser de ratifier le traité de Lisbonne si l’Europe refuse de revoir sa position sur les quotas. Ce serait un moyen de mettre la pression ». Mais au vu de l’empressement témoigné par « nos » parlementaires régionaux pour ratifier la défunte proposition de Constitution Européenne sans débat – par crainte de voir se développer des mobilisations similaires à celles de la France et de la Hollande – au vu aussi de la manière dont l’Union Européenne a réagi à l’échec de cette proposition – en mettant en place le traité de Lisbonne tout aussi asocial – nous doutons de l’efficacité de cette proposition. Mais proposer à nos politiciens d’agir de cette manière serait toutefois une bonne occasion de les démasquer une fois de plus…

Toujours sur cette même question des quotas, la FGTB ironise : « Mittal veut-t-il ainsi faire de notre région un laboratoire et prouver l’absurdité du mécanisme actuel de quotas de C02 ? ». Il est vrai que la politique des quotas ne règle rien : quand un capitaliste fait face à un barrage contre ses bénéfices, il va voir ailleurs. « C’est un risque pour Liège, puis pour les autres sidérurgies d’Europe qui vont être bientôt confrontées au même problème » affirme la FGTB.

Et quand un capitaliste va voir ailleurs, il en profite ! Les pays où les normes environnementales sont (quasi) inexistantes sont généralement aussi laxistes en termes de législation du travail. Ainsi, 30 mineurs sont encore décédés en janvier de cette année dans une filiale d’ArcelorMittal au Kazakhstan. Les travailleurs y sont payés au rendement et sont donc encouragés à prendre tous les risques pour gagner un peu plus de quoi joindre les deux bouts. Depuis 2004, près de 100 mineurs travaillant pour le leader mondial de l’acier ont ainsi perdu la vie dans des accidents miniers au Kazakhstan. Un responsable régional d’Arcelor Mittal, qui ne manque pas de culot, a déclaré que ces morts étaient dus à « une catastrophe naturelle ». Une catastrophe naturelle, oui, mais uniquement sous le capitalisme…

Et la grève ?

Francis Gomez tire un bilan positif de la participation de 7000 travailleurs à cette grève : « c’est une vraie réussite, nous avons atteint notre but ». De plus, durant la journée, une centaine d’ouvriers sont partis rejoindre d’autres militants de la FGTB devant le siège d’Electrabel, rebaptisée pour l’occasion « Electracash », pour y revendiquer la diminution des tarifs du gaz et de l’électricité ainsi que l’instauration d’un chèque énergie pour les plus pauvres. Mais il y a au moins une autre raison, moins réjouissante, de se souvenir de cette journée…

Comme le dénonce un tract du SETCa diffusé aux piquets, cette grève restera dans les annales de l’histoire sociale de Cockerill comme la première où un représentant syndical a demandé à la direction d’envoyer des huissiers à chaque piquet ! En effet, la CSC avait jugé la grève « trop prématurée » et l’un de ses responsables, Gino Butera, a même été jusqu’à menacer la direction de dénoncer l’ensemble des accords syndicaux si ces huissiers n’étaient pas envoyés.

Un autre responsable de la CSC, Jordan Atanasov, a déclaré, après avoir estimé que la grève de la FGTB mettait pression inutilement sur le dossier des quotas, que « si rien ne bouge dans les prochaines semaines, nous prendrons également position ». La FGTB a elle aussi parlé d’actions futures, et un calendrier d’actions devrait bientôt être rendu public, en direction de Mittal, de l’Etat belge, de la Région wallonne et de l’Europe. Mais avec ses méthodes, la direction régionale de la CSC a sérieusement mis des bâtons dans les roues de toute future action en front commun syndical. Ce sera à la base de la CSC de démontrer qu’ils ne soutiennent en rien les méthodes antisyndicales de certains.

Pour la suite

Pour les responsables de la CSC, l’attitude du syndicat socialiste est « incohérente et unilatérale » car « la grève pourrait compromettre tout le processus de relance du HF6 et le maintien d’une sidérurgie intégrée au-delà de 2012 ». Face à l’ampleur de l’adversaire, le n°1 mondial de l’acier, il est vrai que l’on peut être intimidé. La production de la sidérurgie liégeoise ne représente-t-elle pas que 0,002% au niveau mondial et un peu plus de 2% au niveau d’ArcelorMittal (2,6 millions de tonnes pour 2008, selon les prévisions initiales, contre 118 millions pour le groupe) ? Mais il ne faut pas confondre la quantité et la qualité du travail qu’effectue la sidérurgie liégeoise. De plus, le centre de recherche d’ArcelorMittal à Liège engage un treizième des chercheurs du groupe, ce qui renforce déjà plus la position de Liège.

Mais c’est un fait que face à ce géant, en plus de mots d’ordres syndicaux combatifs à Liège et en Belgique pour préserver ET l’emploi ET l’environnement, la solidarité internationale s’impose. Il ne s’agit pas d’un combat de « David contre Goliath », mais d’une multitude de David dont la soumission seule fait la puissance d’un Goliath. Les travailleurs Belges, Kazakhs ou Français d’ArcelorMittal font face au même ennemi et à la même logique de profit au détriment de leurs emplois et/ou de leur sécurité.

Des motions de solidarités peuvent être une occasion de renforcer, même de peu, la combativité des travailleurs d’autres pays et d’ici, mais peuvent surtout être une excellente opportunité pour faciliter et amplifier le développement dans les entreprises des discussions sur la stratégie syndicale à adopter, sur la base d’exploitation sur laquelle sont fondés les profits d’ArcelorMittal (et des autres entreprises d’ailleurs), sur le double jeu des partis traditionnels, etc. Ce climat de discussion renforcerait de beaucoup les mobilisations, y compris de la part de la base de la CSC contre les mots d’ordre de sa direction.

Comme l’affirme le tract de la FGTB-Métal, « Mittal est un patron comme les autres. Avec lequel on discute d’abord, mais qu’on combat s’il le faut. Et la lutte paye. » Pourquoi ne pas imaginer un lutte en commun avec les travailleurs français, par exemple avec une manifestation commune au Luxembourg, qui pourrait aussi être l’occasion du dépôt d’une motion de solidarité envers les travailleurs exploités partout dans le monde par ArcelorMittal, en prenant appui sur la situation au Kazakhstan ?

Beaucoup de choses peuvent être faites, mais beaucoup de doivent être faites, comme de mener la discussion sur l’absence actuelle de représentativité pour les travailleurs. Les liens entretenus par la direction de la FGTB avec le PS, et le SP.a en Flandre, freinent tout développement de la combativité des travailleurs et renforcent le syndicalisme de service – dans une situation où la pénurie de moyens se généralise en conséquence des nombreux cadeaux fiscaux et autres accordés au patronat – au détriment du syndicalisme de combat.


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