Allemagne : Grève illimitée à l’hôpital Charité, un conflit d’importance nationale

dag4charite1Ce lundi 22 juin, des centaines de travailleurs se sont lancés dans une grève illimitée afin d’exiger plus de personnel à la Charité, le plus grand hôpital universitaire d’Europe, où travaillent un total de 13.000 personnes, dont 4.400 infirmières. Les trois premiers jours ont été marqués par la combattivité, dans une ambiance électrisante. Plus de 600 travailleurs sont jusqu’à présent impliqués dans l’organisation de l’action de grève. 1.000 des 3.000 lits de l’hôpital sont touchés. Les 200 opérations qui sont menées quotidiennement sont annulées. Stephan Gummert, membre du SAV (Sozialistische Alternative, section allemande du CIO) et l’un des meneurs de la grève, a déclaré lors de la manifestation du deuxième jour de la grève: «Depuis hier, je vois à nouveau rire les visages de ceux qui sont en colère à cause des horribles conditions de travail à l’hôpital – et qui comprennent que l’ensemble du système est malade.»

Par Aron Amm, Socialiste Alternative (section allemande du Comité pour une Internationale Ouvrière)

Des dimensions historiques

Cette lutte est unique à plus d’un titre. Entre la Seconde Guerre mondiale et 1989, pas une seule grève n’a éclaté dans un hôpital à travers toute l’Allemagne. Cela a changé ces deux dernières années.
A la Charité il y a vingt ans de cela, un petit groupe d’activistes de gauche, principalement socialistes, ont commencé à construire une section du plus grand syndicat du secteur public (ver.di). Des membres du SAV ont joué un rôle de premier plan dans ce processus de construction. Le développement d’un tel groupe combattif a permis d’organiser des grèves impressionnantes en 2006 et en 2011. Ces luttes et la conquête de quelques améliorations ont contribué à élargir le noyau militant de base et à paver la voie pour ce nouveau conflit.

Après la lutte de 2011, le groupe de ver.di a demandé aux travailleurs quelles étaient les questions les plus brûlantes qui devaient être traitées – l’écrasante majorité a souligné que la pression au travail était trop forte et qu’il était nécessaire d’employer plus de travailleurs. Une nouvelle lutte a donc été lancée à la Charité il y a deux ans, conduisant à la première grève dans un hôpital en Allemagne exigeant un contrat de négociation collective qui régit le rapport entre infirmières et patients. Sur base de nombreuses discussions, les revendications concrètes sont maintenant: «pas de nuits prestée seul», ainsi que qu’un rapport entre personnel et patient de 1pour 2 dans l’unité de soins intensifs et de 1 pour 5 dans les services de médecine générale, ce qui signifie concrètement 600 nouveaux emplois au total.

Nationalement, les hôpitaux souffrent d’un déficit de 162.000 emplois en Allemagne. Le syndicat réclame une loi pour réglementer le rapport patients / infirmières. A la Charité, l’opinion générale est qu’il ne faut pas attendre. Trois militants syndicaux de l’hôpital universitaire d’Essen ont visité le piquet de grève à Berlin en soutien et ont déclaré: «Si vous remporté la victoire, vous ouvrez les vannes» en motivant les travailleurs des autres hôpitaux à suivre cet exemple.

L’autre Allemagne

Dans l’un des pays les plus riches de la planète, qui est également la puissance économique majeure de la classe des travailleurs est maintenant confrontée au plus grand secteur à bas salaires sur le continent européen, après la Lettonie. Par habitant, plus d’hôpitaux ont été privatisés qu’aux États-Unis. On estime que 40.000 patients et visiteurs contractent annuellement des maladies mortelles dans les hôpitaux.

Des piquets de grève actifs et vivants

Chaque matin, au sein des trois principaux sites de l’hôpital de la Charité implantés dans différentes parties de la ville, les grévistes se réunissent en assemblées. Puis, des «piquets volants» visitent toutes les salles et tentent de convaincre davantage de travailleurs de rejoindre la grève et le syndicat. D’autres groupes se dirigent vers les arrêts de transport en commun, le centre-ville et les quartiers pour distribuer des tracts et coller des affiches de soutien à la grève.

Mardi, une délégation de la Charité a visité un meeting d’un millier de postiers, eux aussi en grève. La compréhension est bien entendu grande, et l’idée était de voir comment coordonner la riposte et s’apporter un soutien à chacun. Mardi après-midi, 2.000 travailleurs de Charité et sympathisants de la lutte ont manifesté dans le centre-ville de Berlin au sein d’un cortège extrêmement combattif et inspirant. Des délégations de postiers, de travailleurs de chez H&M et d’autres secteurs ont encore étaient elles aussi présentes.

Des réunions de discussion pour les travailleurs (partiellement organisées par des membres du SAV) au sujet de questions comme les «grèves politiques» ont également lieu pendant la grève.

La démocratie dans la lutte

Officiellement, sept syndicalistes font partie de la délégation qui se rend aux négociations, tandis que 21 font partie de la commission chargée d’examiner les revendications et les offres possibles des employeurs. Afin d’impliquer le plus de gens possible dans ces discussions, d’énormes efforts sont entrepris pour construire un corps de «conseillers» dans le but que chaque groupe de travailleurs (infirmières, travailleurs administratifs, travailleurs chargés des questions techniques, etc.) soit impliqué. En outre, des réunions sont régulièrement organisées pour que les grévistes puissent discuter et décider des questions clés. La décision a aussi été prise de ne pas suspendre la grève au cours des négociations.

Solidarité et soutien public

Lucy Redler (dirigeante du SAV et porte-parole de la campagne de l’alliance des hôpitaux (« Krankenhausbündnis » en allemand) a commencé son discours lors de la manifestation des grévistes en disant «nous sommes les 99%». Un tabloïde berlinois, le «Berliner Kurier», a rapporté qu’un sondage organisé par leurs soins avait mis en lumière un soutien ou une compréhension de 99% des sondés par rapport aux raisons de la grève. Seul un pour cent s’est dit opposé au mouvement… Les 99% des habitants ne sont très certainement pas favorables à la grève, mais la grande majorité l’est. La société de gestion de la Charité a engagé une agence de publicité pour développer une campagne d’affichage sous le slogan «la grève n’est pas une solution» en imitant la mise en page traditionnelle du syndicat ver.di. Mais il est très difficile de trouver ces affiches ou ces autocollants dans les abords des sites hospitaliers, puisque non seulement les travailleurs mais aussi de nombreux patients les détruisent.

Il y a deux ans, une alliance («Les Berlinois pour plus de personnel dans les hôpitaux») a été créée pour soutenir la lutte à la Charité, une campagne dans laquelle les membres du SAV ont joué un rôle des plus actifs. Ce vendredi 19 juin, un meeting de 200 personnes a pris place dans les locaux du syndicat du secteur public avec des représentants d’autres hôpitaux mais aussi de Daimler, de Telekom et de nombreux autres lieux de travail et secteurs, qui tous ce sont exprimés en solidarité avec la riposte organisée par le personnel de la Charité.

Les députés de Die Linke («la gauche», un parti de gauche large à l’intérieur duquel nos camarades du SAV sont impliqués, NDT) ont distribué une déclaration de solidarité avec les grévistes et quelques figures de proue du parti ont visité les piquets de grève. Certaines sections de Die Linke, avec la participation de membres du SAV, ont produit des tracts et des banderoles de solidarité et ont organisé des activités destinées à expliquer l’importance de la lutte dans les quartiers de Berlin. Mais même si les instances dirigeantes de Die Linke à Berlin et au niveau national ont déclaré leur soutien à la grève, elles n’ont pas, jusqu’à présent, utilisé tout le potentiel qui est à leur disposition pour soutenir la lutte.

Un tournant dans la situation

Au cours de cette dernière année, la reprise économique généralement anémique en Allemagne a ralenti. Paradoxalement, les problèmes croissants (le manque de demande dans les pays dits «émergents» et la crise de l’euro) ont conduit à une diminution spectaculaire des prix du pétrole et de la valeur de l’euro, ce qui a donné encore un certain coup de pouce à l’économie allemande. Mais l’expérience de l’aggravation des conditions de travail et les augmentations salariales mineures ont alimenté la colère et conduit à une confiance plus élevée parmi une couche de travailleurs pour partir en action.

Le journal conservateur «Frankfurter Allgemeine Zeitung» appelé ce qui se développe maintenant comme étant une nouvelle «vague de grève». A ce stade, c’est un peu exagéré. Mais avec le débrayage des infirmières des écoles maternelles et des travailleurs sociaux (pour quatre semaines), avec la grève des postiers et celles des conducteurs de train et d’autres secteurs, cette année est déjà celle qui comprend le plus de journées «perdues» en raison d’une grève depuis 1992. Malheureusement, les dirigeants syndicaux ne relient pas ces différents foyers de lutte les uns avec les autres, ce qui est possible et surtout nécessaire.

Mais l’état d’esprit plus favorable parmi les travailleurs à entrer en conflit en Allemagne va de pair avec une ligne dure adoptée par la classe dirigeante dans de nombreux conflits. Carsten Becker, membre du SAV et porte-parole de du groupe ver.di à la Charité, avait déclaré durant la grève d’avertissement de 48 heures de mai dernier: «Nous n’avons plus de patience, mais nous avons de longue endurance.» Cela pourrait bien être nécessaire dans le conflit qui a éclaté à la Charité.

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