Interview de Jeremie Cravatte (CADTM), de retour de Grèce, sur la commission d’audit de la dette publique

dept-300x169Le 4 avril, Zoé Konstantopoulou, présidente du Parlement grec, a mis en place une Commission d’audit de la dette publique composée de 15 personnalités étrangères et de 15 grecques. Nous en avons discuté avec Jeremie Cravatte – permanent du Comité pour l’Annulation de la dette du tiers-monde (CADTM) et membre de la plateforme pour un Audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) – à son retour de la deuxième session de travail de la Commission à Athènes. Il nous livre ses impressions.

Par Nicolas Croes

Quelle est la nature de cette initiative?

Le mandat de cette commission consiste à identifier les caractères illégaux (dette contractée sans respecter le droit en vigueur), illégitimes (en violation de l’intérêt général et au bénéfice d’une minorité privilégiée), odieux (qui viole les droits fondamentaux de la population) et insoutenables (qui empêche de fournir les services de base à la population) de deux périodes d’endettement du pays, à savoir de 1990 à 2010 et de 2010 à 2015. Cette deuxième période est la plus urgente à analyser dans le cadre des négociations avec la Troïka. De plus, l’écrasante majorité de la dette publique actuelle provient de cette période et 80% de cette dette est aujourd’hui détenue par la Troïka.

Les médias dominants et l’establishment politique et économique nous parlent d’une ‘‘crise de la dette’’. Cette appellation n’est-elle pas un vaste mensonge?

En effet, cela cache le véritable problème. En Europe (et ailleurs) ce ne sont pas les dettes publiques, mais bien les dettes privées des entreprises, essentiellement financières (banques, assurances, fonds de pension) qui pose questions. Elles ont pris des risques au sein d’une économie capitaliste et leurs pertes se sont vues socialisées. Le cas de la Grèce est particulièrement emblématique à ce sujet.
Toutes les opérations menées depuis 2010 par les autorités grecques et les institutions de la Troïka (Fonds Monétaire International, Banque centrale européenne, Commission européenne) ont consisté à dégager les banques privées allemandes, françaises, italiennes, belges, etc. de leurs risques et de transférer ces derniers sur le dos des populations grecque et européenne. Selon les estimations, entre 75% et 90% de l’ensemble des prêts fournis à la Grèce depuis 2010 ont directement atterri sur les comptes de ces banques. La restructuration de la dette de 2012 – présentée par les médias dominants comme un cadeau fait à la population grecque – a en réalité permis un transfert de la dette grecque des mains d’investisseurs privés aux mains d’institutions publiques (FMI, BCE, 14 États membres de la zone euro et Fonds européen de stabilité financière FESF).

Les plans dits de ‘‘sauvetage’’ de la Grèce avaient pour seuls objectifs de sauver les plus grandes banques privées européennes, tout en servant de prétexte à l’application d’une politique de contre-réformes structurelles austéritaires (tout comme dans les pays dits du ‘‘tiers-monde’’ depuis les années 1980).

Quels débats cette remise en question de la dette publique suscite-t-elle au sein de SYRIZA?

Plus que de débats, il est malheureusement plutôt question d’un silence jusqu’à présent. Pourtant, lors de la séance d’inauguration de cette commission, tous les ministres du gouvernement, Tsipras et Varoufakis compris, étaient présents et ont annoncé soutenir le travail de la Commission. Mais force est de constater qu’ils n’en font pas grande publicité. La stratégie de négociation avec les créanciers a jusque maintenant montré que la direction de SYRIZA n’entend pas remettre en cause la légitimité et le paiement de la dette.

Une suspension de paiement permettrait toutefois de renverser le rapport de force. De plus, l’audit est de nature à donner des arguments au gouvernement pour une telle confrontation. Cette situation n’est pas très étonnante, mais l’absence de réaction de la plate-forme de gauche au sein de SYRIZA soulève davantage d’interrogations. Pour le moment, cette plate-forme ne donne pas l’impression de se saisir activement de cet outil pour renforcer une ligne de rupture face à la domination des créanciers et de l’establishment capitaliste européen en général. Inévitablement, cette rupture face aux créanciers en amènera d’autres revendications: contrôle strict des mouvements de capitaux, socialisation du secteur des banques et des assurances, voire expropriation d’autres secteurs-clés de l’économie.

AvecLesGrecs_affichesQu’elle le fasse ou non, c’est à la population grecque de se saisir de ce travail capable de déconstruire nombre de fausses idées sur les origines de la dette grecque et sur les solutions à y apporter. L’audit peut être un outil important dans le cadre de la mobilisation des masses grecques et internationales, qui reste l’élément décisif pour une réelle alternative au capitalisme.


Avec les Grecs : Manifestation 21 juin, 13h30 Gare Centrale à Bruxelles

Le PSL et les Étudiants de Gauche Actifs (EGA) participent à la plateforme “Avec les Grecs” qui rassemble une trentaine d’organisations, dont SYRIZA-Belgique, Initiative Solidarité avec la Grèce qui résiste, les Métallos Wallonie-Bruxelles de la FGTB, la CGSP-Wallonne, le Mouvement Ouvrier Chrétien-Bruxelles, l’Alter-Summit, le CADTM Belgique et de nombreuses organisations et associations de gauche. Une manifestation nationale prendra place dans le cadre de l’appel pour une semaine européenne d’action à l’occasion du prochain sommet européen.

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