LE FORUM social mondial (FSM) s’est tenu pour la première fois dans la ville de Porto Alegre au Brésil. Ce choix n’était pas dû au hasard. Le maire PT de Porto Alegre y a introduit le «budget participatif». C’est donc la population qui décide, via des comités de quartier, de la ventilation des dépenses communales entre les différents départements: la voirie, l’enseignement, la police, le logement social, etc.
Nombre de militants anti-mondialistes y ont vu une alternative à la démocratie en trompe-l’oeil que nous connaissons. Le «hic», c’est que la population n’a rien à dire sur l’enveloppe globale du budget communal. Celleci est fixée par les élus sur base des recettes fiscales et des subventions du gouvernement régional ou fédéral. Comme l’enveloppe budgétaire ne suffit pas à satisfaire tous les besoins, la population est contrainte de choisir. Par exemple, entre l’éclairage d’une rue ou l’engagement d’une institutrice. Pas question de remettre en question la propriété privée des moyens de production qui est le corollaire de la démocratie bourgeoise. C’est donc la démocratie des propriétaires d’entreprises et de biens mobiliers, immobiliers et fonciers.
On oublie souvent que la démocratie bourgeoise, sous sa forme originelle la plus pure, excluait du droit de vote les ouvriers et les femmes. Le suffrage universel est une altération de ce modèle originel qui a été imposée par la lutte du mouvement ouvrier. Dès lors que les travailleurs pouvaient voter, le personnel politique de la bourgeoisie devait rivaliser d’artifices pour faire passer les intérêts de la minorité exploiteuse pour l’intérêt général.
Mais les yeux des travailleurs finissent par s’ouvrir tôt ou tard. Aujourd’hui, les politiciens se livrent à une surenchère «d’initiatives citoyennes» pour «réconcilier le citoyen et la politique». Autant de tentatives de ravaler la façade décrépie de la démocratie bourgeoise. Ses défenseurs n’en sontil pas réduits à soutenir qu’elle est «le pire système à l’exception de tous les autres»? Quel aveu de faillite!
Le mouvement ouvrier n’a pas seulement ébranlé les fondements de la démocratie bourgeoise. Il a aussi généré une forme de démocratie autrement plus authentique. Cette démocratie ouvrière a vu le jour pour la première fois en 1870 lors de la Commune de Paris. Les ouvriers insurgés ont alors élu des représentants qui étaient révocables à tout moment. Ils ne gagnaient pas plus que le salaire moyen d’un ouvrier. Les élus ne se retranchaient pas derrière la soi-disant séparation des pouvoirs, mais ils étaient responsables de l’exécution et du respect des décisions qu’ils prenaient.
La Commune a pris une série de mesures en faveur de la classe ouvrière et des classes moyennes, n’hésitant pas à opérer de profondes incursions dans le régime de la propriété privée. La propriété collective des moyens de production est en effet le corollaire de la démocratie ouvrière. La Commune sera écrasée dans le sang l’année suivante. Le siècle suivant verra son expérience reprise et généralisée par les conseils ouvriers. Les conseils ouvriers prendront le pouvoir en Russie en 1917. L’arriération du pays et l’isolement de la révolution provoqueront l’étouffement de la démocratie ouvrière par la bureaucratie stalinienne. Des conseils ouvriers apparaîtront dans de nombreux pays tout au long du XXème siècle mais ils seront réduits à l’impuissance par l’absence d’un parti révolutionnaire capable de les orienter vers la prise du pouvoir. A chaque fois le régime bourgeois rétablira son autorité, le plus souvent par une contre-révolution violente.
La démocratie ouvrière n’en reste pas moins le seul régime dans l’histoire qui a permis à la majorité de la population de se gouverner ellemême. Elle brisera tôt ou tard le carcan de la démocratie bourgeoise et du régime de propriété qu’elle incarne.